Transformation numérique : comment manager dans l'incertitude ?

Sylvie Laidet-Ratier

Une visibilité sur le mois (et encore), des infos et des données qui tombent de partout, des concurrents qui débarquent de nulle part, des nouveaux profils à piloter, des outils de travail plus que jamais collaboratifs …. Le tout dans un environnement mouvant (et ce n’est rien de le dire car ce qui est vrai aujourd’hui, ne le sera peut-être plus demain), pas facile d’être un manager à l’ère du digital. Zoom sur les compétences indispensables et les pièges à éviter.
Transformation numérique : comment manager dans l'incertitude ?

Se "geekiser" un peu

Le pire serait de penser que la transformation digitale est un moment douloureux à vivre et que, passé ce virage, vous pourrez à nouveau manager comme avant. « Aborder les choses ainsi serait une grossière erreur. La digitalisation entraîne une nouvelle façon de travailler et de manager. C’est à chacun de se digitaliser. Sans être un geek lui-même, le manager doit impérativement intégrer dans son quotidien, les nouveaux modes et rythmes de travail, les écrans….liés à cette transformation numérique et ne pas espérer que d’autres le fassent à sa place », prévient Jeremy Stubbs, associé au sein de la communautés de talents La Voie des hommes et co-auteur de Manager au quotidien pour les nuls (First).

 

Donner la vision numérique à ses équipes 

Si pour certains collaborateurs, digitalisation va naturellement rimer avec opportunités, pour d’autres, ce sera porteur de danger et de déséquilibre, de "c’était mieux avant". « Pour entraîner les uns et les autres, le manager doit délivrer une vision globale et être transparent sur ce qu’il sait à date, ce qu’il pressent, ce qu’il ignore. Bref, rassurer ses équipes sur le fait qu’il va œuvrer à leur employabilité afin qu’en cas de changement de stratégie, elle soit prête. Le manager doit livrer une vision optimiste et professionnelle tout en restant modeste par rapport à ce monde en changement permanent. Dire "je ne sais pas" ne doit pas être un problème. Au contraire », illustre Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement Clémentine.

 

Savoir parler avec des matheux 

Les algorithmes ont visiblement pris le pouvoir dans à peu près toutes les entreprises. Et derrière ces monstres du calcul, des bêtes en maths (des ingénieurs, des statisticiens, etc). Autant dire des profils avec lesquels les managers n’ont pas vraiment l’habitude de bosser. « Et pourtant les managers doivent désormais prendre en compte la réelle valeur ajoutée de ces collaborateurs qui ont des pensées très techniques pouvant paraître opaques aux non spécialistes. Autrefois, on disait "les mecs de l’informatique", aujourd’hui, dans les boîtes, ce sont des stars. Sans les aduler, les managers doivent apprendre à comprendre leur langage et autres modes de pensées », insiste Jeremy Stubbs.

 

Lâcher ses équipes 

Même si sur le papier vous pilotez toujours une équipe, dans les faits, elle ne vous "appartient" plus vraiment. « Le travail en mode projet souvent induit par la digitalisation, impose au manager de lâcher son pré carré. Désormais, c’est une équipe par projet mais une équipe composée de différents intervenants issus de plusieurs services », observe Emmanuel Stanislas. « Le rôle du manager est de faciliter la communication entre ces univers souvent très éloignés. Il a un rôle d’arbitre : il a des responsabilités et des pouvoirs mais doit rester neutre. Pas question pour lui de défendre son équipe d’origine coûte que coûte. C’est le plombier de la communication, il doit veiller à ce que les échanges se déroulent bien et trancher quand c’est nécessaire. Pour les managers, ce changement de posture est compliqué mais tout aussi valorisant que leur ancien rôle », commente Jeremy Stubbs.

 

Passer en mode test and learn

Exit le management à papa basé sur le command and control, place au test and learn. La digitalisation impose de prendre des risques et d’innover, quitte à se tromper. « Aujourd’hui, on travaille en mode start-up sur les projets. On réfléchit ensemble une demi-journée, on développe en deux jours et on teste en situation réelle. Ceci implique d’être ouvert à la culture de l’échec. Si on se trompe, pas grave, on recommence. En tout état de cause, l’impact financier est moindre que si on mobilisait des ressources pendant 2-3 mois pour rédiger un cahier des charges, puis développer l’offre, etc. Du coup, les équipes osent davantage. Mieux vaut demander pardon que de demander la permission », explique Konstantinos Voyiatzis, directeur général Technologie et Systèmes d’informations stratégiques d’Endered. « En France, on aime les idées parfaites dès le départ. Or, désormais un manager doit s’autoriser à faire des erreurs et accepter que les autres en fassent. La principale question à se poser est "qu’avez-vous appris de vos erreurs ?", insiste Erwan Hernot, co-fondateur de C-Campus

 

Sur…veiller le monde extérieur 

Face à ce tsunami digital, le pire écueil serait de vivre en vase clos, persuadé d’avoir la science infuse. « Face à l’infobésité ambiante, le manager doit être capable de trouver la bonne information au bon moment. Pour cela, il doit faire de la veille concurrentielle mais aller bien au delà. Aujourd’hui tout part de l’expérience client », résume Philippe Détrie, fondateur de La Maison du Management. La problématique n’est pas la concurrence actuelle mais la concurrence future, celle susceptible de casser un business model. « Imaginez un fabricant d’ampoules qui aurait fait de la veille uniquement sur ses concurrents sans se tourner vers les acteurs de borne wifi. Eh oui, les futures ampoules devraient servir de bornes wifi », illustre Alexandre Okupny, community manager de La Voie des hommes. Pour anticiper au mieux, le manager doit sortir, s’ouvrir les neurones en fréquentant un écosystème innovant composés de start-up, de laboratoires, etc. « Il doit également offrir du temps à ses collaborateurs pour faire de la veille et s’autoformer en allant sur des salons, à des réunions professionnelles, en suivant des formations, en s’impliquant dans une démarche de mentorat inversé, etc », détaille le dirigeant de Clémentine. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, un manager doit se réjouir de l’absence de ses collaborateurs. Ce qui suppose donc une nouvelle dose de confiance et de lâcher prise. Un nouveau paradigme dans le management !  

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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