Sophie Dominjon, PDG Dekra Industrial France : "Les seniors, on adore !"

Sylvia Di Pasquale

[Interview vidéo] Dekra Industrial fait partie d’une association multinationale où tous les bénéfices sont réinvestis ou partagés avec les salariés. Un fonctionnement sans actionnaires, qui limite la pression et tourne le dos à la recherche de rentabilité effrénée. Sa PDG, Sophie Dominjon, explique sa singularité d’employeur et détaille ses besoins sur le plateau de L’Invité RH.

Dekra Industrial est un employeur doublement dans l’actualité : d’abord  il fait du bien à notre planète puisqu’il mène des audits énergétiques dans les grandes entreprises afin de les rendre plus économes. Et en plus d’être en accord avec les objectifs de la Cop21, cette entreprise participe à l’application d’une directive européenne qui va rentrer en application le 5 décembre prochain. Elle oblige les grandes entreprises françaises à passer un audit énergétique.  Ce qui nécessite de former et de qualifier 15 000 auditeurs sur le marché. On en est loin. Dekra, comme les autres, peine à les recruter.

Cadremploi : Cette directive européenne applicable le 5 décembre prochain, n’est-ce pas un cadeau empoisonné pour vous ?

Sophie Dominjon : Non, c’est très vertueux pour la société toute entière. Notre empreinte carbone est très forte aujourd’hui et les entreprises ne pensent pas forcément à diminuer leur consommation d’eau ou d’électricité. Obliger les entreprises à faire un diagnostic énergétique, c’est leur faire prendre conscience qu’elles ont une consommation qui n’est pas maîtrisée, et qu’il est possible de réaliser des économies en y faisant attention, ce qui ne peut être que positif à tous points de vue.

Mais n’est-ce pas mission impossible ? Il faudrait 15 000 auditeurs formés à ces missions pour l’ensemble du marché. Comment allez-vous faire pour trouver les vôtres ?  

Il nous en faudrait entre 100 et 150. Nous en avons une trentaine aujourd’hui. Il va falloir recruter et former des gens qui ne sont pas nécessairement à la base organisés pour assurer ces missions, tout en sachant que c’est un cursus assez long.

Que fait précisément un tel auditeur chez Dekra ?

C’est un thermicien qui sait analyser une situation d’entreprise. Quand il arrive dans une entreprise, la première chose qu’il fait, c’est d'étudier les factures, et de déterminer s’il y a une surconsommation d’eau ou une surconsommation électrique par exemple. Ensuite il regarde dans le bâtiment les points névralgiques qu’il connaît. Il réalise une thermographie pour voir si le bâtiment a des déperditions. Si c’est une chaîne de production, il recherche les éventuelles pertes en ligne. À la fin, il peut faire des recommandations, situer où sont les pertes, où des économies sont possibles, et comment améliorer son empreinte carbone. C’est positif pour les entreprises car en termes de communication, c’est très bon pour elles.

Des thermiciens donc, mais aussi des ingénieurs environnement ? Des techniciens que l’on peut amener jusqu’au niveau ingénieur ?

Ce n’est pas dans notre logique, nous avons besoin de tous. Certains font des audits, d’autres interprètent les données, certains font de l’accompagnement sur de la prévention des risques en environnement. Il y a plusieurs graduations dans la compétence et toutes sont requises. Mais dans l’immédiat, nous avons besoin d’auditeurs et ce sont surtout des thermiciens.

Quels sont les bâtiments grand public que  Dekra a audités ?

Le plus connu c’est la Tour Eiffel ! Pour les bâtiment,s nous sommes plutôt dans le tertiaire, des grandes chaînes de magasins par exemple. Toutes les grandes entreprises (de plus de 250 salariés ou réalisant un chiffre d'affaires de plus de 50 millions d'euros) doivent faire cet audit énergétique.

Des sites sensibles aussi ?

Sur les sites sensibles, nous ne réalisons pas tant des audits énergétiques que des audits d’installation à des fins sécuritaires. Par exemple nous travaillons beaucoup avec le CEA sur la sécurité et la sûreté des installations.

Et cela fait partie de Dekra Industrial ?

Tout à fait.

Vous dites : "Dekra ce n’est pas une entreprise normale, c’est une association". Qu’est-ce qui fait votre singularité ?

En 1883, on se servait de machines à vapeur et beaucoup d’accidents y étaient liés. Une association s’est créée pour essayer de préserver la sécurité. Avec le temps, les problématiques liées à la sécurité ont grandi et cette association a perduré, pendant 125 ans. Dekra, qui était aussi une association, a gardé ce statut.

Qu’est-ce que cela change pour les salariés ?

Concrètement tout ce qui est gagné est réinvesti, soit sur les collaborateurs, c’est-à-dire en termes de formation, de salaire, soit sur les investissements, pour garder une certaine compétitivité. Aucun dividende n’est reversé à des actionnaires, pour la simple et bonne raison qu’il n’y en a pas.

Cela veut dire que vous ne recherchez pas la rentabilité ?

Si, mais pas effrénée. Nous n’avons pas besoin de faire une croissance de 20 % ou plus encore. Nous sommes sur une croissance relativement raisonnable.

Vos commerciaux doivent avoir des objectifs. Qu’est-ce qu’un objectif raisonnable ?

C’est cette année par exemple, faire 3 % de croissance.

J’ai l’impression que vous attirez des gens qui peuvent être lassés de courir après le chiffre d’affaires, comme c’est le cas dans les entreprises où il y a des actionnaires et où il faut avoir une rentabilité. C’est le cas ?

Oui, c’est le revers de la médaille de l’actionnariat. Il y a de la pression, des dividendes à obtenir, et les collaborateurs qui sont dans cet univers depuis longtemps, et se sentent sous pression, en viennent à se demander s’ils pourraient continuer à exercer leur métier dans une atmosphère différente. Et c’est vrai que nous attirons de nouveaux talents chez Dekra, car nous pouvons proposer un tel environnement de travail.

Dans ce genre de métier, plus on est âgé, et meilleur on est, est-ce le cas chez vous ? Si vous gardez vos seniors, est-ce que vous en attirez et en recrutez ?

Oui, nous adorons les seniors. Nous avons envie de profiter pleinement de leur expérience. Un senior est reconnu et valorisé chez Dekra. Nous avons une école de formation extraordinaire, ce qui est un moyen de continuer à les aider à se développer jusqu’à la fin de leur carrière. Donc les seniors chez nous ne sont pas un "effort", on en a besoin,  ils sont clefs dans notre dispositif.

Vous pouvez aller jusqu’à les débaucher dans des secteurs d’activité qui vous intéressent ?

Quand vous êtes sur un marché, il n’y a rien de tel que quelqu’un qui le connaît déjà, et qui en est un professionnel. Nous prenons des acteurs qui sont intéressés par la perspective de passer de l’autre côté, et qui aimeraient fournir des solutions autour de la sécurité.

Par exemples des ingénieurs environnement qui travaillent chez Renault, EDF, etc. ?

Oui, sans problème. Nous pouvons en plus les former sans difficulté.

Comment situez-vous les salaires que vous proposez ?

Au niveau du marché. Et comme je le disais, dès que nous gagnons de l’argent, nous redistribuons.

Cela peut représenter combien de mois de salaire en plus dans une année ?

Cela dépendra des années et des marchés. 2014 a été une année assez faible, car le marché était assez tendu, 2016 devrait être une meilleure année, car nous sentons une dynamique qui repart à la hausse.

Est-ce que les salariés de Dekra peuvent être mobiles entre les différentes entités du groupe ?

Oui, dans le groupe nous sommes 35 000. En France, 3 100 sur la partie industrielle et 1 700 sur la partie automotive. Nous travaillons beaucoup sur la mobilité mais aussi sur la diversité. Quand il y  des missions techniques qui s’appauvrissent, nous reformons nos collaborateurs, car la formation est quelque chose de clef chez nous. Nous avons des accréditations, nous devons proposer des personnes absolument compétentes, et donc nous proposons une diversification. Nous avons des personnes bicéphales, voire tricéphales, capables d’approcher des missions assez différentes, et c’est ce qui fait la richesse du travail avec nous au sein du groupe.

Pour revenir à vos recrutements, est-ce qu’après les attentats de Charlie Hebdo de janvier, et ceux du 13 novembre, vos clients n’ont-ils pas tendance à vous demander d’être encore plus vigilants sur vos recrutements ? Parce que vous envoyez des auditeurs donc des gens dont vous êtes responsables sur des sites sensibles (Tour Eiffel, usines...)

La première chose pour nous c’est de répondre à l’exigence de notre client. Lorsque nous amenons un collaborateur sur un site sensible, c’est que nous avons au préalable vérifié son casier judiciaire, réalisé une enquête de proximité (famille, voisins..) et sur internet. La personne n’est labellisée qu’après ces vérifications très strictes. Nos clients ne nous demandent pas d’être d’avantage vigilants, ils ont resserré d’eux-mêmes la sécurité, c’est le cas par exemple sur les sites publics, parmi lesquels nous avons beaucoup de clients. Nous mettons plus de temps qu’avant pour rentrer sur les sites, chose que nous comprenons parfaitement, car la sécurité est notre cœur de métier. Et quand on doit montrer patte blanche, on se plie aux process de nos clients.

On peut penser que la diversité va quand même en prendre un coup…

C’est notre ADN la diversité, qu’elle soit culturelle, hommes/femmes … Nous voulons la préserver.

Vous êtes une femme d’ailleurs, dans un univers d’hommes, car il s’agit quand même principalement de métiers masculins. Vous devez avoir un taux de féminisation assez faible ?

Sur 3 000 personnes, nous avons 700 femmes, c’est quand même pas mal pour un univers d’hommes !

Avez-vous réussi à faire progresser la mixité depuis que vous êtes là ?

Déjà il y a moi ! Nous sommes deux femmes au comité de direction, sur une dizaine il est vrai. Mais nous allons arriver à faire évoluer les femmes sur des postes à forte responsabilité. Je peux prendre l’exemple d’une femme qui est arrivée comme assistante, et qui aujourd’hui est directrice d’agence, et manage 300 personnes.

Allez-vous faire de la discrimination positive pour y arriver ?

Non. Parce que cette évolution doit être le fruit de la compétence. Après, je ne dis pas que je n’en fais jamais, mais j’essaie de ne pas le faire de façon ostensible. C’est vrai que lorsque vous avez une personne valeureuse et vertueuse, et que c’est une femme, vous avez envie de l’encourager. J’encourage les femmes à essayer de casser ce plafond de verre qu’elles ont au-dessus de la tête. Ne pas se dire "les positions au-dessus, ce n’est pas pour moi". Allez-y, Mesdames !

Qu’est-ce qu’il y a encore d’allemand chez Dekra en France ?

La qualité.

Depuis Vokswagen, la qualité ne sonne plus de la même façon…

Chez nous ce n’est pas que la frénésie du résultat et de l’objectif, nous investissons sur les hommes, sur la formation, sur la qualité… Nous sommes, chez Dekra, garants de la qualité. Quand nous disons à un client ce que nous allons faire, nous le faisons, et correctement. C’est cela notre différence.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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