Philippe Lamblin (Avril) : "Le premier DRH, c’est le manager"

Sylvia Di Pasquale

Élu DRH de l’année 2015 par ses pairs, Philippe Lamblin veut révolutionner sa fonction. Il nous explique comment.

Cadremploi : Les DRH sont souvent critiqués. Y en aurait-il de bons et de mauvais ?

On n’est pas là pour se faire aimer. Même chose pour les chefs d’entreprises  qui entreprennent. Ceci étant, certains DRH exercent cette fonction de façon différente.

Philippe Lamblin : Vous et d’autres DRH dites « Il faut révolutionner la fonction RH ».  Que faut-il changer ?

Avoir davantage de proximité avec les salariés. Si l’on est à cette fonction, c’est que l’on aime les gens. Nous devons  chercher comment mettre l’enthousiasme des collaborateurs et leurs capacités au service d’un projet que l’on doit partager.

Avez-vous le temps d’aller sur le terrain ?

Oui, il faut prendre ce temps, quitter son clavier d’ordinateur. Plutôt que de  faire de gros rapports, avoir des rapports humains car ces rapports-là n’ont pas de prix. Si la fonction est un peu décriée, c’est que beaucoup de RH se sont abrités derrière de magnifiques logiciels et des solutions digitales. Dont on a certes besoin mais qui ne sont que des outils. Le DRH est sur le front pour faire partager un projet avec une communauté d’hommes et de femmes. 

Le rôle du DRH est-il de rappeler aux dirigeants et aux managers d’être exemplaires ?

Le DRH doit d’abord bien choisir l’entreprise pour laquelle il travaille. Il est des dirigeants qui ne méritent pas d’avoir de bons DRH. Par exemple, on ne peut pas dire une chose et faire son contraire. Chez Avril, par exemple, quand on a décidé de ne plus boire une goutte d’alcool dans l’entreprise, (sauf circonstances très exceptionnelles), on a commencé par démonter la cave à vin de la direction générale. Exemplarité. Ce n’est qu’après que l’on a pu interdire l’alcool dans les usines en lançant une campagne de prévention et de sécurité au travail. Depuis deux ans, on a ainsi diminué de 44% les accidents du travail. On a formé les gens et on a surtout fait en sorte qu’ils se sentent acteurs de leur santé et de la sécurité.

Vous proposez à vos cadres d’aller passer une journée à la ferme. Dans quel but ?

Nos actionnaires sont des fermiers. Lors de séminaires d’intégration à l’intérieur des usines, ils invitent ainsi les cadres du groupe à découvrir leurs métiers. Je pense que cela ferait du bien à d’autres entreprises de dupliquer cette idée. 

Peut-on vraiment « prendre son pied » (c’est vous qui le dites) dans un travail posté ?

Je connais des cadres dirigeants qui ne prennent pas leur pied ; Et au contraire, des gens de la base qui le prennent…  L’essentiel est de reconnaître les gens dans leur travail là où ils sont. Une dame qui travaille à la chaine qui embouteille des bouteilles d’huile a autant d’importance pour moi que le directeur général. Il faut regarder comment valoriser son travail. Par exemple, lors d’un concours sécurité que nous avons organisé, une dame de notre usine de Coudekerque a trouvé une méthode pour rendre nos bouchons à vis plus efficaces. Le DG et moi-même sommes venus la féliciter sur le site et lui remettre un prix. Ce n’est certes pas une invention révolutionnaire mais ça ne s’invente pas dans un bureau. La reconnaissance matérielle est certes importante mais ça passe aussi par la reconnaissance des hommes et des femmes et de leurs capacités à apporter de la valeur ajoutée dans l’entreprise.

Dans votre service, vous avez un responsable du Bien-être. Que fait-il concrètement ?

Il était en charge de la santé et de la sécurité, notamment de toutes les formations aux visites sécurité terrain ; il va plus loin aujourd’hui. En écoutant les signaux faibles de l’entreprise, il a entendu que les hommes et les femmes d’Avril veulent partager des choses ensemble, le projet de l’entreprise certes mais aussi être reconnus avec tous leurs talents. C’est pourquoi, en ce moment à notre siège du 11 rue de Monceau à Paris, il a organisé une exposition itinérante de photos prises dans le monde entier par nos salariés eux-mêmes. Pour les voir, il faut prendre les « Escaliers de la forme ». Qui permettent en plus de rester en forme… 

Une solution pour diminuer les temps de transport de vos salariés ?

C’est vrai que certains collaborateurs, surtout franciliens, ont une heure et demi de transport matin et soir. C’est le cas de mon assistante. Pour qu’elle puisse se détendre, je lui ai proposé de faire du sport entre midi et deux. C’est un de mes hobby ayant été président d’une grande fédération olympique.  Sauf qu’elle préférait faire de la relaxation. Elle a pensé au shiatsu. Nous avons monté un cours, qui fait aujourd’hui le plein pendant l’heure du déjeuner. Sans doute que l’absentéisme a baissé mais, plus important sans doute : on sourit davantage.

La course à pied est-elle une activité que vous encouragez dans votre entreprise ?

Nous avons proposé aux salariés de participer à une grande course dans le Nord, « La Route du Louvre ». Pour chaque kilomètre parcouru, nous reversons une somme aux Banques alimentaires, dont nous sommes solidaires et partenaires. Nous avons eus 80 inscrits, même de nos filiales à l’étranger, et nous avons refusé du monde.

La fonction RH doit-elle être partagée avec les managers ?

Le premier DRH c’est le manager ! Le RH est là pour aider les managers à embaucher et à faire grandir ses équipes. Arrêtons de parachuter des définitions de postes toutes faites et faisons plutôt participer les  collaborateurs. La génération Y nous le rappelle : « ce n’est pas un CDD ou un CDI qui m’intéresse, c’est le projet de l’entreprise ». Il faut que le manager, qui est un vrai DRH, comprenne que c’est son affaire de faire grandir son équipe.

Trouvez-vous que certains managers manquent de courage ?

Si un collaborateur fait mal son travail, un manager ne doit pas le laisser à son poste par dépit.  Le courage managérial, c’est être capable de parler en tête-à-tête, de regarder les gens dans les yeux et de leur dire : « Comment on s’améliore, comment te faire grandir dans ta fonction ici ou ailleurs. » ça ne s’apprend pas à l’école mais par l’entrainement. Nous commençons à former nos cadres à ces sujets car nous pensons que c’est important.

Un conseil aux patrons pour aider leur DRH ?

Laissez vos DRH aller se ressourcer en dehors de l’entreprise. Pour prendre des idées. Au moment où la présidence de la Fédération française d’athlétisme m’était proposée, mon patron m’a dit « Prenez-la ! Ça vous servira de formation et ça vous rendra plus fort dans votre métier. » Il avait raison. Alors à mon tour je dis aux patrons :  si vous avez des DRH qui ont envie de s’investir en dehors de l’entreprise, ne les bridez surtout pas, vous risqueriez de les perdre.

Début 2015, vous vous êtes séparés de 1000 collaborateurs de votre branche « volaille ». Sans casse ?

Nous avons parlé et expliqué à nos 1000 collaborateurs pourquoi nous préférions qu’ils rejoignent le champion d’Europe de la volaille, l’entreprise LDC, qui les as tous repris. Dans la branche volaille en France, 40% des poulets que nous mangeons viennent de l’extérieur de nos frontières. Toute la filière française a décidé que ce taux devait passer à 20% d’ici quelques années. Avec LDC, nous agissons pour reconstituer cette filière en France. Se séparer de 1000 salariés, sans jours de grève, sans protestation, je dirai que ça devrait être la norme. Une entreprise ça naît, ça vit et malheureusement ça meurt. Quand on est à sa tête, dans les situations difficiles, il faut prendre son courage à deux mains et être capable d’affronter les choses, pas avec des ordinateurs mais en face à face avec les gens. C’est ce que nous avons fait.

Peut-on être un bon DRH avec un mauvais patron ?

Je pense que le DRH doit choisir son patron. S’ils ne partagent pas le projet de l’entreprise, il faut partir. Certains patrons ne méritent pas leur DRH. Je pense aux caractériels qui changent d’humeur tout le temps. Chez mon patron actuel, j’admire sa capacité à ne pas générer du stress dans son environnement quand lui-même est stressé. Il est sur l’essentiel : nous faire confiance, déléguer, faire confiance aux jeunes.

Votre expérience dans le sport, comment vous en servez-vous à votre poste actuel ?

Présider un comité directeur de Fédération ou d’une ligue régionale, c’est comme présider un comité d’entreprise. C’est un training permanent. Il faut regarder les réactions des gens, les valoriser. Et puis, ça permet des rencontres insolites.

Pensez-vous qu’un DRH doit être enthousiaste ?

Je pense que la France est pétrie de bons patrons et de collaborateurs enthousiastes. Halte à la morosité ambiante. Aux DRH de faire leur coming out pour que les choses changent dans les entreprises.

Propos recueillis par Sylvia Di Pasquale.

Lire les autres interviews de Philippe Lamblin sur

- le Figaro.fr  : « Un DRH doit avoir du courage managérial » 

- BFM Business : "Les DRH sont des business partner, ils aident les entreprises à grandir":

- Cadremploi :"Je voudrais que les gens prennent leur pied au travail"

  

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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