Demain, tous artisans

Sylvia Di Pasquale

L’image de l’artisanat est à peu près dans le même état que celle de la ministre en charge de ce secteur : on connaît mal l’un comme l’autre. Pour tous ceux qui ignoraient l’existence de la seconde, elle s’appelle Sylvia Pinel et vient de présenter 33 mesures pour développer l’attractivité de la « première entreprise de France », alias la boucherie, couverture-zinguerie, boulangerie ou plomberie, pour ne citer que quelques stars parmi les cinq-cents activités qu’elle recouvre. Pourquoi 33 mesures ? Les pessimistes y verront un mauvais signe, celui de l’âge du Christ au moment de la crucifixion. Quant aux optimistes, ils reconnaîtront les mots du médecin auscultant la gorge d’un malade.

Sur la voie de la guérison ? Elle sera longue, tellement les professions dites manuelles sont dévalorisées en France. Tellement elles peinent à pourvoir leurs 50 000 postes vacants chaque année. Tellement la majorité d’entre-elles ne trouvent pas de repreneurs. Sur les 30 000 patron(nes) artisans qui partent à la retraite chaque année, 63 % ferment boutique sans que personne ne prenne la relève.

Alors ce Pacte pour l’artisanat, ou ces 33 vœux pieux, sont destinées à faciliter les reprises, à aider les artisans à se financer, à inciter les jeunes à s’orienter vers ces filières et à renforcer l’attractivité de ces métiers. Vaste programme ou peine perdue ? Les grincheux rappelleront à Sylvia Pinel qu’elle appartient à un gouvernement français. Un pays où la valorisation de la culture et de l’intellectualisme universel est plus qu’une valeur fondamentale : un gène, au même titre que la râlerie, la grève et la blanquette. Un pays champion du monde du diplôme et du bac pour tous.

On aura beau claironner qu’un bon artisan armé d’un seul CAP peut gagner sa vie aussi bien qu’un cadre auréolé d’un diplôme d’école de commerce ou d’ingénieur. Mais à quel prix ? Celui d’une véritable vocation et surtout, d’une multi compétences de gestionnaire, d’entrepreneur, de commercial et de professionnel archi-qualifié, créatif et doué de ses mains. C’est beaucoup pour un seul super héros.

Julien Millenvoye en a rencontrés quelques-uns. Et à lire son ouvrage* à paraître le 7 mars prochain, à suivre le parcours exceptionnel de ces pâtissier, coiffeuse, fraiseur, mécano, tailleur de pierre,…, on se dit que ces jeunes doués, motivés et bourrés de talent peuvent effectivement susciter des vocations. Voire inspirer des cadres en quête de reconversion. A condition qu’ils aient le boson de l’entrepreneuriat, cette fameuse particule sans laquelle leur envie d’artisanat ne tiendrait pas.

Car ce que ne suggèrent jamais ces odes à l’artisanat, c’est qu’en dehors de la création d’entreprise, il n’y a que peu de salut. La situation même de ces TPE les contraint à ne payer que de petits salaires. Et la seule évolution possible dans ce secteur reste l’entrepreneuriat. Des mesures précises du plan de Sylvia Pinel souhaitent d’ailleurs encourager et former les jeunes dans ce sens. Pas un mot pour le moment pour les moins jeunes, attirés par une reconversion. Mais le Pacte a vocation à évoluer. Après les années du « tous diplômés», verra-t-on celles du « tous artisans-entrepreneurs » ?

J’ai un métier de Julien Millenvoye – Editions Globe – 14,50 euros. Sortie le 7 mars prochain

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr – 28 janvier 2013

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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