Le bonheur, grand absent de la vie au bureau

Sylvia Di Pasquale

Depuis le temps que l'on se posait la question. Et qu'on n'en dormait plus. C'en était même une idée fixe : le bonheur est-il contagieux ? Est-il soluble dans la vie de bureau ? Et comment attrape t-on cette maladie rare ? Vous avouerez qu'il n'y a pas beaucoup de questions plus fondamentales depuis que l'homme marche sur ses deux Weston.

Et voilà qu'au comble de l'errance métaphysique, le British Medical Journal - auprès duquel le Herald Tribune passe pour un France Dimanche, en moins scrupuleux - publie le résultat d'une étude. Attention, il ne s'agit pas d'un sondage bâclé représentatif de 25 quidams interrogés au hasard. Mais d'une bonne grosse enquête menée pendant 20 ans par des types dont les CV sont si longs qu'ils feraient disjoncter les serveurs de Cadremploi qui, pourtant, en ont vu passer.

Voilà donc que Nicholas Christakis, de la Harvard Medical School, et James Fowler de l'Université de Californie à San Diego ont décrété, pas plus tard que cette semaine, que « les variations dans le niveau de bonheur d'un individu peuvent se propager par vagues à travers des groupes sociaux et générer une large structure au sein même d'un réseau, créant ainsi des groupes de gens heureux ou malheureux ». Je sais, un truc fort comme ça, balancé à la face du monde sans ménagement, peut provoquer des mouvements de foule incontrôlables.

Pas de panique. En langue vous-et-moi, cela signifie que le bonheur est contagieux et se propage par vagues. On n'est pas beaucoup plus avancé ? Alors fouillons un peu les résultats publiés par le BMJ (c'est comme ça qu'on appelle le British Medical Journal, avec un air entendu). Selon l'étude, il suffit qu'un ami s'installe à moins de 800 mètres de chez vous pour qu'illico, vos chances d'être heureux augmentent de 42 %. Pas rien. Si les voisins immédiats sont des gais lurons, le coef de joie de vivre grimpe de 34 %. Plus étonnant, le fait de vivre avec un conjoint joyeux ne fait grimper le thermomètre du bonheur que de 8 points. Voilà de quoi nous plonger dans un abîme de doutes sur les bienfaits de la vie de couple. Passons, pour s'en aller voir du côté du boulot.

Et là, c'est le drame. Les chercheurs sont formels : côté bonheur, le bureau c'est mort. « L'environnement professionnel ne permet pas la propagation du bien-être entre les gens », assènent-ils. Eh oh, les chercheurs, qu'est-ce que vous racontez ? Les ricanements complices, les courses de chaises à roulettes, les lancers de boulettes en papier, et puis les rituels « sas » de début de soirée au bar d'en face avant de rentrer, les déjeuners à dire du bien de tout ceux qui ne sont pas autour de la table... Tout ça, tous ces rituels auxquels s'adonnent des millions de salariés, ce serait du flan ?

Finalement, deux conclusions s'imposent à cette étude. Soit les duettistes américains ont raison. Et dans ce cas, il faut revoir toute la politique de cohésion sociale de la planète (remarquez, par les temps qui courent, ça ne fera qu'un chantier de plus à mettre en œuvre). Soit les deux chercheurs ont tort sur toute la ligne. En fait, Nicholas et James connaissent des problèmes de couple, d'où le score lamentable que produit le conjoint sur l'échelle du bonheur. En plus, comme ils bossent ensemble depuis trente ans, ils ne peuvent plus s'encadrer. Du coup, leur vie perso transpire dans leur étude. Entre ces deux hypothèses, nous, on choisit la seconde. Alors, on replie le BMJ, et on s'en va retrouver les copains de bureau au café d'en face.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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