Le code du travail s’en prend au cidre et au poiré

Sylvia Di Pasquale

C’est un bien beau texte de loi que voilà. L’une de ces législations tellement peu contraignante, tellement floue, qu’elle pourrait bien être appliquée, la peur au ventre, avec une rigidité maximum. Quoi ? Pardon ? De quoi s’agit-il ? Pourquoi, entre les pots de la coupe du monde et ceux des collègues qui partent en vacances, nous enquiquiner avec un décret d’application d’une loi à laquelle on ne comprend strictement rien. Justement. Le décret publié au Journal officiel du 3 juillet, entré en application le 4 et modifiant l’article R. 4228-20 du code du travail, qui lui-même complète l’article L. 4121-1 du même code (on respire et on s’essuie le front) risque de remettre en cause les pots en question.

Le but de cette législation compliquée est simple : engager la responsabilité des entreprises et les obliger à  « assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Pas moins. En gros, les décisionnaires d’une entreprise, qu’ils soient DRH ou dirigeants, peuvent laisser leurs salariés organiser tous les pots alcoolisés qu’ils veulent. Mais en cas de problème, ils sont responsables. Ce n’est évidemment pas le premier texte qui va dans ce sens, mais, jusqu’à présent, quelques types de boissons fermentées comme le vin, la bière, le cidre et le poiré échappaient à la contrainte légale. Et dieu sait que le poiré fait des ravages dans les pots de départ, où ils sont, bien entendu, comme chacun sait, très largement consommés en 2014.

Toute anecdote sur les us et coutumes ancestrales et dépassées de la consommation d’alcool mises à part, ce texte est d’une rouerie internationale. Car quel DRH ou quel dirigeant prendra le risque d’être pénalement responsable d’un accident de voiture survenu après une fête de la boîte ? Comment doit-il estimer que les « mesures prises sont proportionnées au but recherché » comme la loi l’exige ?  Faudra-t-il en passer par une consultation juridique dès qu’un collaborateur émet le souhait de boire un coup avec ses collègues parce qu’il part en vacances, qu’il part à la retraite ou qu’il part chez le concurrent ?

Dans les entreprises les plus culottées, celles qui n’interdiront pas tout rassemblement alcoolisé, on sera donc prié de prévoir son pot trois bons mois à l’avance pour que le dossier puisse être examiné et validé après 17 aller-retour entre la DRH, le service juridique et le cabinet d’avocats. On peut aussi mettre le CHSCT et les différents partenaires sociaux dans la boucle, histoire de ne froisser personne. Après toutes ces tergiversations, on pourra peut-être trinquer, avec une modération juridiquement responsable, autour d’un bon poiré. Si l’on parvient à mettre la main sur une bouteille de ce vieil élixir.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - Dessin de Charles Monnier

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Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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