"Senior" ? Restez polis !

Sylvia Di Pasquale

De quoi le glissement sémantique de "senior" à "collaborateur en deuxième partie de carrière" est-il le nom ?

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

"Senior" ? Restez polis !
Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Le jargonisme a encore frappé. Aidé par une langue d'un bois dont on taille les armoires normandes, il vient au secours de tout ce qui fâche. Prenez le terme « senior ». Ce n'est pas un simple mot, c'est une grenade dégoupillée lancée dans les bureaux des DRH français. Alors quand la mouise sévit dehors, et parfois à l'intérieur de l'entreprise, ils n'ont qu'une légitime envie : éviter la grogne à tout prix. Plus question alors d'appeler un chat un chat.

C'est ainsi que le senior est rebaptisé collaborateur en « seconde partie de carrière ». Ce glissement sémantique progressif a désormais sa caution professorale, son label « grandes école ». Il nous est offert par Maurice Thévenet, enseignant au Cnam et à l'Essec. Ce prof émérite en seconde partie de carrière (58 ans) a définitivement inscrit ce nouveau terme au dictionnaire académique de la novlangue au cours d'une interview accordée à Jean-Marc Sylvestre, journaliste économique en seconde partie de carrière (65 ans).

On ne doute évidemment pas un instant que les DRH, du moins ceux qui ne se sont pas encore précipités sur cette définition nouvelle du senior, ne s'en emparent très vite. Et rebaptisent illico leurs salariés de plus de 45 ans. Comment ? Pardon ? Non, vous avez bien lu, il n'y a ni coquille, ni erreur. Car Maurice Thévenet non content de graver dans le marbre (ou le bois) cette nouvelle appellation, vient également de rappeler la Loi de modernisation sociale de 2005 : on est senior à 45 ans.

Dans la foulée, il a créé un observatoire qui va se concentrer sur les particularités de cette deuxième partie de vie. Ce qui, au-delà de toute raillerie, devient plutôt indispensable au moment où de nombreux éléments totalement contradictoires confluent vers un constat explosif. Car l'allongement de la durée de vie et le recul - loin d'être achevé - de l'âge de la retraite déboulent en parallèle d'une intention non dite de se débarrasser - soyons fous et osons le mot - des seniors.

On ne va pas rappeler ici les évidences de salaires qui fâchent et qui incitent les entreprises à privilégier les juniors dans certains secteurs. Engager une discussion à ce sujet ne saurait donc nuire. Et si l'observatoire du professeur Thévenet y parvient, ce dernier ne l'aura pas créé en vain. A condition qu'il ne serve de prétexte aux entreprises pour qu'elles y participent en masse dans la seule intention d'user de son label. Histoire de répéter à l'envi, et à peu de frais, qu'elles se préoccupent sérieusement de leurs collaborateurs en deuxième partie de vie.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 12 décembre 2011

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Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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