Souriez, votre recruteur vous googleglasse

Sylvia Di Pasquale

Après Gonzague et sa vidéo potache, l’agence TMP Worldwide vient de livrer sa riposte politiquement correcte de l’utilisation des Google Glass en entretien d’embauche. Et comme ça se passe dans le meilleur des mondes, la jeune candidate en face du recruteur enthousiasme son interlocuteur. Chaussé de ses lunettes made in Mountain View, ce dernier a accès, en direct, au profil de sa future recrue sur un réseau social, et dans la foulée lui dégotte un deuxième entretien avec un opérationnel, toujours par la grâce de ses bésicles connectées. C’est le recrutement en réalité augmentée, l’embauche 3.0, les RH qui mettent les deux pieds dans le XXIᵉ siècle. On applaudit des deux mains, si elles ne sont pas occupées à caresser les branches digitales des lunettes.

Mais pourquoi ne pas compléter la saynète ? Imaginons que chacun des deux protagonistes ait chaussé les fameux lorgnons de Sergey Brin. D’un côté, un recruteur qui googlise le candidat affiche dans son champ de vision et en temps réel ses photos de fin de soirée et sa mine enjouée par l’absorption de 17 Mojitos. En face, le candidat conserve le ton calme et courtois de celui qui tient à présenter son aspect le plus pro. Il a lui aussi des Google glass devant les yeux. Il enregistre toute la conversation et filme la scène. Il a même retrouvé cette interview du recruteur dans laquelle il déclare sans rire à un site spécialisé, que lui, ce qu’il cherche, ce sont des « personnes avec une vraie nature, pas des clones.» Pour lui, un entretien de recrutement « c’est la rencontre d’une personnalité, pas d’un profil ».

Il se la regarde donc tranquillou, pendant que l’autre, en face, lui pose des questions convenues par peur d’un faux pas filmé et judiciairement exploitable. Des questions auxquelles le candidat répond de la même manière contrite, par peur de ressembler à ce type avec une cravate autour de la tête et un énième cocktail en main. Le recruteur sait que le candidat le filme et le candidat sait que le type en face de lui se projette le diaporama des kick-off de sa précédente boîte. Sur l’air de « Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette…»

Match nul pour un entretien nul où chacun est resté sur ses gardes. Le candidat décrochera le job, ou pas. Le recruteur, lui, n’en saura pas plus sur sa recrue, qu’il l’embauche, ou pas. Il n’en apprendra pas plus, en tout cas, que ce qu’il a vu dans ses Google Glass. Ces nouvelles œillères d’une réalité diminuée.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr – 28 octobre 2013

Dessin par Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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