Yes we Khan nous aussi

Sylvia Di Pasquale

Yes we Khan nous aussi

Et si on rêvait en ce joli mois de mai ? Si le temps d’un pont ou pendant un temps plus long, on rangeait notre cynisme comme on range nos affaires d’hiver ? On pourrait en profiter pour saluer comme il se doit la victoire de Sadiq Khan à la mairie de Londres, la plus grande ville d’Europe, le 7 mai dernier. Un exploit qu’il convient de saluer parce qu’il est musulman, n’en déplaise à d’aucuns. Et parce qu’il est ce fils d’immigré pakistanais chauffeur de bus, n’en déplaise à d’autres, persuadés que l’Occident est une civilisation de castes dans lesquelles chacun est condamné et enfermé. 

Même si ces castes existent toujours et la lutte des classes aussi. « Ceux qui considèrent qu’elle est dépassée appartiennent à la classe dominante, » insiste la philosophe Chantal Jaquet. Mais de temps à autre, un Sadiq Khan pulvérise les murs de verre ou d’un acier plus trempé et s’offre involontairement en exemple de réussite, en "transclasse"* passé de son milieu d’origine à celui de l’élite. Une manière de dire à tous "yes we Khan", du slogan évident de sa campagne. Mais attention au leurre, au mythe du self-made-man. Sadiq Khan ne s’est pas fait tout seul. L’homme n’a rien de l’autodidacte qui ne doit rien à personne. 

Ses études ? Brillantes. Son parcours pro ? Exemplaire. Avocat spécialisé dans les droits de l’homme, il est élu député avant de devenir ministre d’État du gouvernement de Gordon Brown. L’homme, qui n’est pas sorti de nulle part, incarne ainsi un vieux truc casé au musée des trente glorieuses : cet ascenseur social dont les machineries seraient encore, de temps à autres, en état de fonctionner.

Évidemment, Khan l’européiste transgresseur de classe a été élu par les Londoniens. Un détail d’importance, comme le rappelle le journaliste du Guardian Jon Henley au micro d’Europe 1« le cas de Londres est tellement particulier. C’est une ville qui se sent profondément européenne, et qui va sûrement voter solidement pour rester en Europe. Le reste de l’Angleterre, c’est un autre cas. »  Les électeurs de la capitale anglaise, comme ceux de Paris appartiennent à la classe sociale dans laquelle leur nouveau maire a atterri. Pas à celle qu’il a quitté. Mais puisse son élection les rapprocher. Et puisse-t-elle encourager tous ceux qui, à leur niveau, moins médiatique, moins politique, entendent bien bousculer les hiérarchies sociologiques établies dans les entreprises et ailleurs. Yes we Khan. 

@Syl_DiPasquale © Cadremploi

Dessin de Charles Monnier

 

*transclasse est un néologisme forgé par la philosophe Chantal Jaquet d’après le terme anglais trans-classing (passé d’une classe sociale à l’autre). Ouvrage : Les transclasses ou la non-reproduction, Chantal Jaquet, PUF 2014.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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