Chasse en fête

Marie La Fragette

Travailler entre Noël et le jour de l'an, est-ce vraiment utile ? Cette semaine notre chasseuse de têtes va nous démontrer que malgré les apparences la réponse est oui.

On a tous dans le coeur un 24 décembre ou un 31 à hanter l'open space vide avec un bonnet pointu et une boîte de chocolats éventrée pour nous tenir compagnie.

Parce que vous êtes stagiaire, ou chef d'équipe ou que tout simplement, cette année, il faut bien garder le navire à votre tour, vous êtes dans la semi pénombre des bureaux désertés et vous avez le sentiment d'être victime d'un complot particulièrement tordu pour vous trouver là, seul, alors que chez vous, vous en êtes sûr, Tante Gertrude est déjà gaie en train de raconter des blagues croustillantes sur la vieille génération.

Et comme il n'y a rien de plus long que de regarder une journée passer, vous vous mettez au travail. Pas tout à fait à la même heure que d'habitude. Vous avez un peu erré dans les couloirs pour échanger des regards consternés avec les autres qui, comme vous, sont « de garde ». Vous avez bu un cappuccino avec un peu de poudre de cacao pour faire plus festif à la place de votre expresso, avez fait la bise au voisin du premier qui d'habitude se contente d'un vague signe de tête et montré à votre copine les paillettes de votre tee-shirt. Et là se sont arrêtées vos concessions à l'occasion.

Vous vous êtes dit que finalement, c'était un jour comme les autres et que comme vous, des tas de médecins, de pompiers ou de vendeurs d'huitres travaillaient et que ce n'était pas la mort et que dans 8 heures, vous aurez rejoint tante Gertrude si la neige n'était pas trop verglacée.

Mais comme vous n'êtes en fait ni médecin, ni pompier, ni vendeur d'huitre, la journée n'a pas été, malgré votre bonne volonté tout à fait normale.

Vous êtes chasseur de tête. Et votre travail consiste à appeler des gens pour leur proposer le job de l'année. Et vous le faites avec conviction. Du moins au départ.

Vous avez le sentiment de tomber comme un cheveu sur la soupe en ces jours cotonneux. Avec en fond sonore la chorale de Noël, le brouhaha des enfants et le moteur du couteau à crustacés, vous déclinez votre identité avec tout l'enthousiasme dont vous êtes capables. « Nous avons une opportunité de poste à vous proposer, êtes-vous à l'écoute du marché ? ». Mais généralement, un lourd silence accueille votre tirade.

Madame Paldrin, directrice marketing et communication dans l'alimentaire est à mille lieux de votre question. Elle attendait des nouvelles de son mari parti en urgence acheter des bulots et de sa cousine coincée dans les embouteillages. Elle a oublié avec les 20 personnes autour d'elle et le chauffage qui vient de lâcher dans la maison de campagne qu'elle était directrice commerciale et marketing.

Elle oscille donc entre l'agacement et la pitié. Elle pense, « pauvre fille qui se tape des coups de fil aujourd'hui et en même temps, mais qu'est-ce qu'elle vient m'embêter, si Jacques essaie de me joindre, je ne sais même pas comment prendre le double appel ». Généralement, vous promettez donc de la rappeler le 26 ou le 2 à une heure et une date descente et vous consolez d'avoir quand même noué le contact. Elle se souviendra de vous au moins...

Et parfois, vous tombez sur une âme sœur qui scrute, elle aussi, le paysage glacé par-dessus son écran en rêvant batailles de boule de neige, marrons au feu de bois et verre de champagne. Et là, c'est le jackpot parce que âme sœur a très envie de parler pour passer le temps. Et lui, qui peut être un jour habituel vous aurait zappé sous prétexte de réunions ou déjeuner important est là tout ouïe, prêt à rêver avec vous au poste de directeur marketing et communication pour grande enseigne en pleine croissance. Et vous décrochez le rendez-vous gagnant la veille de Noël ou le 31.

Et c'est pour ça que l'an prochain et encore les années suivantes, il y aura toujours dans les cabinets de chasse, un stagiaire, un patron ou un malchanceux qui se collera la grande déprime des fêtes, entre un cotillon et un Ferrero rocher...

* A propos de Marie La Fragette

Marie La Fragette, 27 ans, travaille dans un cabinet de conseil en recrutement. Elle est l'auteur de pièces de théâtre et de « Chasse de tête » qui a obtenu le prix du Roman Femme Actuelle.

 

Marie La Fragette
Marie La Fragette

Vous aimerez aussi :