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Marie La Fragette

Une multinationale qui veut mettre un talent local à la tête d'une de ses filiales en Afrique, a priori, cela illustre une belle ouverture d'esprit. En apparence seulement. Cette semaine Marie La Fragette taille en pièce ces grosses boîtes bien-pensantes qui se targuent de faire du recrutement multiculturel.

Quand Sogital nous a parlé de multiculturalisme, nous avons vibré. Le recrutement multiculturel, c'est notre atout. Nous étions si j'ose dire au taquet.

Avec une expérience de plusieurs années sur des recrutements Afrique et Moyen-Orient, avant même que le concept apparaisse juteux aux grands noms anglo-saxons du recrutement, avec des spécialistes dans notre advisory board et, en toute modestie, une réflexion constante et stimulante en équipe multiculturelle sur les problématiques du management international, nous étions tout prêts à sortir l'artillerie lourde.

Pensez donc, une multinationale qui veut mettre à la tête d'une de ses filiales un talent local. Lorsque Madame RH et Monsieur DG nous ont pris à parti sur la vertu du choix d'un candidat du pays, nous n'avons pu que laisser éclater notre enthousiasme et tels des plombiers en pleine rupture de chauffe eau, nous avons sorti notre boîte à outils.

Tout heureux sur nos chaises, nous n'avons pas eu besoin de réfléchir. Comment créer des modèles en tenant compte des différences, comment partager la valeur, piloter les performances ? Nous avions tout un tas d'interventions enrubannées « valeur ajoutée de votre cabinet de conseil » avec petite carte clignotante et feu d'artifice interactif.

Nous entrevoyions la continuité de notre business avec notre client géant du BTP et modestement expliqué comment depuis 5 ans nous réussissions à recruter les managers au Moyen-Orient.

Mais en fait, non. Sogital ne voulait pas de notre boîte à outils, pas de valeur ajoutée, pas d'un recrutement multiculturel. Il voulait juste ce qu'il appelle un package local.

Nous avons commencé à nous sentir sceptiques à la description du profil demandé. Multiculturel mais pas trop. Il faut que ce soit un candidat du pays mais il est indispensable qu'il ait étudié en Europe. Et aux Etats-Unis. Et qu'il ait fait sa carrière en France parce que quand même, il faut qu'on se comprenne. Et dans une structure similaire à Sogitel.

Lorsque nous avançons les problématiques d'ethnies, le ton est vaguement ennuyé. On ne veut pas entrer dans ce type de considérations, on a qu'à prendre quelqu'un d'un pays voisin au pire.

Le multiculturalisme, c'est bien mais il ne faut pas que cela soit trop compliqué. La connaissance de la région, c'est bon pour les géologues, nous chez Sogital, on a pas le temps, on a du travail. Il faut donc trouver un Africain, n'importe quel pays, finalement, mais qui pense, se conduit et a les mêmes habitudes de travail qu'un occidental

Pas un Blanc qui connaît le pays, ça ne fait pas beau et ça coûte cher mais pas non plus un cadre européen d'origine africaine, il irait demander le salaire d'un expat, et puis quoi encore!

Idéalement, si l'on colle au cahier des charges, il faudrait qu'un camion transportant des écoliers africains se soit échoué par accident à Oxford pour repartir 25 ans plus tard au pays où les diplômés n'auraient eu d'autre aspiration que se faire recruter par Sogital pour un salaire annuel de 10000 euros.

Ce qui est assez rare comme conjoncture.

Et pour la convergence des talents, la communication des valeurs, on verra plus tard.

On a bien fini par trouver. Et sur les photos de team building, on a pu poser avec le « local » qui en fait n'était pas vraiment local mais un tout jeune cadre originaire d'un autre pays d'Afrique noire foncièrement différent ayant commencé sa carrière au Canada. Mais, comme l'a dit RH en englobant d'un geste large et flou tout un continent, « C'est quelqu'un de là-bas »...

Parfois, le multiculturalisme n'est qu'une histoire de portefeuille.

* A propos de Marie La Fragette

Marie La Fragette, 27 ans, travaille dans un cabinet de conseil en recrutement. Elle est l'auteur de pièces de théâtre et de « Chasse de tête » qui a obtenu le prix du Roman Femme Actuelle.

 

Marie La Fragette
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