Ces chômeurs qui n'en peuvent plus de ne pas travailler

Sébastien Tranchant

Ils en ont ras-le-bol de ne pas trouver de boulot. Conséquence: de nombreux demandeurs d'emploi passent à l'offensive pour tenter se faire remarquer. Mais les fortunes sont diverses.

Tous les moyens sont bons pour créer du buzz. A l'heure où le chômage explose (+ 170 000 inscrits à Pôle emploi entre janvier et fin février) et où les opportunités d'emplois fondent comme neige au soleil, une course à la visibilité semble gagner les demandeurs d'emploi. Mais les fortunes sont diverses. On se souvient de Yannick Miel, ce jeune diplômé de 23 ans, actuellement en mission auprès de Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives, et qui s'est mis en vente quelques jours sur le site d'enchères eBay. On se souvient aussi de Jean-Pierre Le Floch, cet ancien directeur administratif et financier de 51 ans, qui s'est fait remarqué il y a quelques semaines en promettant 50 000 euros à celui qui lui trouvera un job. Sans succès pour le moment. Plus récemment, on peut évoquer la démarche d'Audrey C., 24 ans, diplômée en communication et multimédia, qui a publié sur son blog une « lettre ouverte aux membres du gouvernement »  ou encore le cas navrant de Marion , 25 ans, diplômée en archéologie, réduite à joindre des confiseries dans ses courriers pour espérer être lue. Il y a désormais tous ceux qui choisissent, comme Stephen Nahoum, 32 ans, bilingue et diplômé d'une bonne école de commerce, de tracter leur CV dans la rue pour augmenter leurs chances d'être remarqués. Phénomènes nouveaux ? Pas vraiment. Déjà au début des années 80, un certain Eric Besson, actuel ministre de l'Immigration, s'était payé une demie page dans le journal Le Monde pour dire qu'il avait échoué au concours de l'ENA et qu'il cherchait du travail...

Discours désarmant

Se lever tôt, décrocher des diplômes, avoir envie de travailler semble ne plus suffire aujourd'hui pour convaincre les recruteurs. « Ce n'est plus comme avant où l'on faisait confiance au candidat, regrette Jean-Pierre Le Floch, détenteur d'un CV béton  mais au chômage depuis 10 mois. Désormais, on recherche toujours les mêmes têtes, les mêmes profils. Résultat : crise ou pas crise, beaucoup sont sans emploi et beaucoup peinent à recruter. C'est dommage. Je suis fatigué de subir un système de pensées sur lequel j'ai l'impression de ne pas pouvoir agir. » Tout aussi remontée, Audrey C., sans emploi depuis juillet 2008, en a assez de se voir rétorquer sans cesse : « A salaire égal, je prends systématiquement le profil plus expérimenté même pour un poste de junior. » « Comment voulez-vous lutter contre ce genre de discours, fulmine-t-elle. Ce n'est pas parce qu'on est jeune qu'on a rien à apporter à une entreprise !» Audrey se serait bien contentée de quelques missions intérim en attendant un emploi stable. Pas de chance, ce secteur aussi boit la tasse.

« Il n'y a plus de relation »

Conséquence logique de la remontée en flèche du chômage : entreprises et cabinets de recrutement croulent sous les CV. Depuis le début de la crise, chez Hudson notamment on reçoit 30 % de candidatures spontanées en plus. Un flux important qu'il est devenu plus « difficile de gérer ». « Nous envoyons le plus souvent un accusé de réception type car nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour personnaliser chaque suivi » reconnaît un manager du cabinet. Une gestion dépersonnalisée des candidatures, également adoptée par d'autres maisons, très mal ressentie par les candidats. « Après 200 candidatures et 15 entretiens, l'absence de réponse frôle les 100 %, confie Jean-Pierre Le Floch. Quand on a été reçu en rendez-vous et qu'on vous promet une réponse rapide, j'ai beaucoup de mal à accepter le silence. Je ne trouve pas cela correct sans compter que les barrages téléphoniques ont tendance à se multiplier. Il n'y a plus de relation, on ne vous dit plus rien, vous êtes seul. »

Rester fier de soi

Raison de plus selon eux pour se la jouer perso en sortant des sentiers battus. « Mes compétences n'étant pas forcément très visibles sur un bout de papier, j'ai voulu présenter mon CV de façon décalée sur le thème du sitcom 'Un gars, une fille' devenu pour l'occasion 'Un gars, une firme' » explique Stephen Nahoum, archétype du cadre parisien dynamique, qui a pris l'habitude de distribuer son CV dans les quartiers de la Défense et de l'Opéra. Un CV transformé en prospectus publicitaire qui pour le moment ne trouve pas preneur. « Je ne suis pas encore découragé car ce genre d'initiative m'aide à garder le moral, déclare Stephen. C'est un moyen pour moi de rester fier de ce que je fais... » Pour Fabrice Lacombe, président de Michael Page France, « rechercher à promouvoir sa candidature est une bonne chose mais il faut raison garder. Tomber dans l'excès peut être contre productif » prévient-il. Audrey C. le reconnaît volontiers : « Ce n'est pas normal de devoir interpeler le gouvernement, de se vendre aux enchères, ou encore de payer pour espérer travailler. C'est même dérangeant. Mais cela a le mérite de faire réagir et de montrer une autre facette de la réalité actuelle. » Une réalité que beaucoup refusent encore de voir.

Sébastien Tranchant
Sébastien Tranchant

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