Episode 11 : Le feu

Le DRHache

A la longue, enchaîner les entretiens de recrutement peut lasser. Faire le clown, déstabiliser, recevoir des profils atypiques... Parmi les solutions qui s'offrent à lui, le DRHache choisit d'agrémenter ses semaines en recevant un profil bien particulier. Pour lequel il fait montre d'une indulgence inattendue.

L'un des pièges du métier de recruteur, c'est la monotonie. A force de voir passer dans son bureau des candidats qui se ressemblent, on a le vrai risque de se lasser, de les confondre et de finir par mener l'entretien d'une voix monocorde et désabusée. « Parlez-moi de votre mention très bien » devenant l'équivalent probable du généraliste diagnostiquant sa huitième otite de la semaine.

Pour ne pas tomber dans le piège de l'ennui, je peux faire moi-même le clown, ce qui est plaisant (dans le meilleur des cas) mais peu professionnel ; déstabiliser les prétentieux, ce qui peut être très distrayant, mais globalement au 23ᵉ entretien de la semaine j'ai un passage à vide ; et ça n'est pas en rigolant des profils de décavés qui passent dans mon bureau le vendredi matin (les soirées des grandes écoles ont lieu le jeudi) que je peux réellement combattre cette mélasse.

Les profils atypiques peuvent être enrichissants mais le retour sur investissement les concernant est faible : la normale sup de 32 ans brillantissime qui en a ras le bol du corps professoral et des mouflets armés éclaire votre journée de ses anecdotes. Mais elle convient d'elle-même à la fin de la discussion que ses motivations sont floues, ses connaissances financières encore plus et, si vous la prenez, vous savez pertinemment que le risque de rejet de greffe est de 92 pour cent.

Les profils dont je souhaiterais parler aujourd'hui sont autres : les grands sportifs, les grands joueurs d'échecs, tous ceux qui se sont rêvés à un moment de leur jeune vie tout au sommet d'une pyramide quelconque. La nature de l'activité importe assez peu, qu'il s'agisse de tir à l'arc, de tennis ou de pentabond dodécaédrique, le candidat s'es consacré corps et âme à une activité, s'y est vu beau et en est revenu.

Souvent ils sont passés par un sport étude, ont fait énormément de compétition, ont obtenu des places de podium au niveau national, européen ou même mondial avant de réaliser qu'ils n'atteindraient jamais le sommet, qu'ils n'avaient souvent pas le physique, le mental, plus souvent l'imbrication des deux qui fait les grands champions.

Pour expliquer un échec pas encore digéré, ils invoqueront une blessure, souvent une déchirure musculaire, mais n'approfondiront que rarement la partie sombre de l'histoire, la prise de conscience que non, ils ne feront jamais la première page des journaux.

A part le coté fascinant et le léger magnétisme qui se dégage lorsqu'ils en parlent, ce sont des candidats très intéressants car ils ont une force de travail, de concentration et de dépassement de soi qui peut leur garantir le succès dans les métiers très exigeants qu'ils visent en entreprise.


On essayera cependant de comprendre s'ils ont réellement fait le deuil de la passion qui les a animés pendant dix ans. Le risque de ces profils, c'est qu'ils soient brûlés par le feu qu'on voit dans leurs yeux lorsqu'ils parlent de leur discipline : manier des bilans et des comptes de résultat pourrait leur paraitre fade après s'être rêvé à genoux, les bras en l'air, sur la terre battue de Roland Garros.

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