Je suis cadre et philanthrope, et alors ?

Sylvie Laidet-Ratier

Malgré des agendas professionnels très chargés, bien des cadres font du bénévolat après leur journée de travail. Leur credo : faire découvrir leur métier, aider les jeunes et les moins jeunes à trouver ou retrouver un job. Gros plan sur ces nouveaux philanthropes.

Combien sont-ils ?

Leur nombre est difficile à estimer car point de statistiques officielles aussi précises. Selon l'Insee, 36% des bénévoles français ont un niveau supérieur au Bac. Soit plus de 4,6 millions de personnes. « Avec la crise, il semble que les cadres se soient davantage mobilisés pour aider ceux qui ont moins de chances qu'eux. Et ce au sein d'association ou directement auprès de leur entourage », avance Jacques Malet, Président de Recherche & Solidarités.

Pourquoi s'engagent-ils ?

Première motivation : être utile à la société et agir pour les autres selon 80 % des cadres interrogés par le réseau Recherches & Solidarités. Viennent ensuite, la défense d'une cause (53%) et l'épanouissement personnel (46%). Un chiffre qui grimpe à 51% chez les cadres de 25 à 40 ans.

«C'est sans doute un peu égoïste mais le fait d'aider un jeune lycéen à trouver sa voie me fait plaisir et me permet d'être utile ailleurs qu'en entreprise », illustre Johanna Dannreuther, responsable éditoriale et affiliation du site voyagermoinscher.com et bénévole au sein d'Actenses. La devise de Philippe Beaupied, bénévole au sein d'un groupe Solidarités nouvelles face au chômage (SNC), résume bien son engagement : « on se sent mieux quand on reçoit si on redonne ». Ce quinquagénaire, ingénieur avant-vente chez Cisco, avoue également (à demi mot) que son engagement en faveur des chômeurs de longue durée redonne un peu d'éthique à son travail qui consiste à vendre des « outils de productivité ».

Tous ces bénévoles sont partisans de la théorie des « petites gouttes d'eau ». « Pour que les choses avancent réellement, il ne faut pas s'en tenir aux grands discours mais agir chacun à son niveau. Localement et sur le terrain » insiste Véronique Schweblin, chargée de l'analyse des compétences au sein d'Astrium Space Transportation et bénévole d'Elles Bougent, association qui promeut les filières scientifiques chez les jeunes filles.

Pour qui s'engagent-ils ?

« Les associations qui réussissent à capter le plus de bénévoles à forte valeur ajoutée sont celles qui ont un projet associatif clair dans lequel le bénévole reçoit d'emblée sa fiche de poste » observe Jacques Malet. Quand, ils s'engagent, les cadres veulent être utiles rapidement. D'où leur engagement sur des sujets qu'ils connaissent bien : la recherche d'emploi et l'orientation dans le monde professionnel. «J'aide un ado en difficulté à démystifier le monde du travail. Je lui montre que pour accéder à un métier, il n'y a pas qu'une seule voie possible mais de multiples chemins. Ainsi, je lui redonne confiance » insiste Johanna Dannreuther

Leurs modes d'action?

Deux types d'action cohabitent souvent : les journées (ou soirées) d'information ou d'échange et le coaching plus personnalisé. « Lors des rencontres avec des lycéennes, je présente mon parcours, mon métier et mon environnement de travail. Je réponds à leurs questions par exemple la compatibilité entre vie privée -vie professionnelle en leur racontant comment je m'y prends» raconte Véronique Schweblin de l'association Elles bougent.

Arnaud Bonhomme, dirigeant du cabinet conseil Abria participe tous les mois aux rencontres entre jeunes diplômés et professionnels organisés par le Café de l'avenir. Pour redonner confiance à ses jeunes Bac +2 en recherche d'emploi, il les écoute, les rassure, les conseille, les aide à se mettre en valeur sur leur CV, à se présenter... tout en restant en retrait. « Je ne leur parle ni de moi ni de ma réussite professionnelle. Je suis là pour les écouter et les aider à relever la tête, pas pour leur en mettre plein la vue » insiste-t-il.

Johanna Dannreuther, bénévole au sein d'Actenses, a opté pour le coaching personnalisé d'un adolescent en seconde de réadaptation. « Outre les réunions mensuelles, j'assure un suivi téléphonique et par mail au minimum une fois par semaine. Je le conseille sur ses méthodes de travail, je le canalise, je lui apporte un autre regard car je ne suis ni son prof, ni ses parents. Il n'y a pas de rapport de force » résume-t-elle. « Quand il a des questions précises, je prends le temps nécessaire pour y répondre, pour l'orienter vers les bonnes personnes. C'est un réel investissement. Moi j'aurai aimé que quelqu'un me parle du monde professionnel quand j'étais en seconde. Cela m'aurait aidé ».

« En général, les rencontres avec l'accompagné se déroulent en terrain neutre. Par exemple dans un café car il paraît peut opportun de faire venir ces chômeurs de longue durée dans les locaux d'une entreprise où ils vont nécessairement croiser des gens en costume ou tailleur et qui ont un boulot » souligne Philippe Beaupied, bénévole de SNC. Question de bon sens.

Leurs principales difficultés ?

Etre dans la sympathie plutôt que dans l'empathie. Pour être certain de ne pas commettre d'impair, Philippe Beaupied a tenu à suivre une formation à l'accompagnement de chômeurs de longue durée. « Le principal est de ne pas arriver avec des solutions toutes faites et des idées préconçues. Il faut savoir écouter et parfois accepter que l'accompagné n'arrive pas à parler » raconte-t-il.

Afin d'évacuer des parcours parfois un peu lourd, cet ingénieur avant vente, compte beaucoup sur les échanges avec son binôme dans l'association. Pour Arnaud Bonhomme, l'une des principales frustrations est de croiser des jeunes qui « s'en foutent, qui ne donnent plus de nouvelles après la rencontre. Mais quand on est bénévole, il faut l'accepter » conclut-il un brin fataliste.

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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