Le corporate, la nouvelle dictature de l'entreprise ?

Tiphaine Réto

Un lipdub à la cafet', une soirée déguisée sur une péniche en plein Paris avec son manager, une course de 10 km aux couleurs de l'entreprise... Les occasions de montrer son adhésion pleine et entière à l'image de sa boîte ne manquent pas. A-t-on le droit de dire non ?

Faire du play back les bras en l'air sur une chanson de Mika, tout ça pour sa boite ? Hors de question pour Marie : « Je fais des trucs ridicules chez moi, dans ma salle de bain. Mais au boulot, je n'en vois franchement pas l'intérêt, si ce n'est celui de me ridiculiser devant mes collègues. » La mode des lipdub, heureusement pour Marie, s'essouffle un peu dans les entreprises. On peut dire merci, sans doute, aux Jeunes Populaires qui l'ont définitivement ringardisé en voulant changer le monde. Mais du calendrier à la fête de fin d'année costumée, les idées fourmillent dans l'univers du « corporate » pour faire déborder les salariés de bonne humeur. Qu'importe ceux qui, à l'image de Marie, adorent leur travail sans comprendre ces petits jeux là. Alors, Marie, pas drôle ou simplement raisonnable ?

Créer du lien dans l'entreprise

Il y a, indéniablement, de bons côtés à ce genre de manifestations. « On dit parfois que l'entreprise intègre mal les jeunes et jette un peu vite les plus vieux. On dit aussi que l'on ne fait plus toute sa carrière dans la même boîte. Ces évènements qui visent à se sentir partie intégrante d'un groupe est un moyen de (se) rassurer », note Hervé Resse, consultant en communication. A priori, c'est donc positif : la culture d'entreprise et tout ce qui peut lui permettre d'être favorisée en bonne entente est plutôt quelque chose d'essentiel.

C'est ce qu'a compris l'agence de communication Heaven. Sur le blog de cette dernière, les « anges » de la boîte (comprenez « ses salariés ») laissent libre court à leurs pensées en tout genre : « C'est, dans l'idée, une sorte d'agrégation des profils facebook, flickr, twitter et autres de nos collaborateurs. Chacun peut alors valoriser et partager ses passions », assure Diane Leray Lemoine, directrice associée de l'entreprise.

Résulat : un turn-over quasi inexistant dans l'entreprise et des équipes motivées et efficaces, selon la directrice. L'âme des « anges » appartient-elle pour autant à leur employeur ? « Absolument pas, prévient Diane Leray Lemoine. Tout se fait sur la base du bénévolat et plusieurs personnes ont souhaité ne pas participer. C'est sans problème pour nous, puisque cette initiative, comme les autres, a été proposée par nos collaborateurs et non pas imposée par notre direction. » Tout devrait partir des salariés ? Cela serait-il le secret ?

Attention aux dérives

Quoi qu'il en soit, le libre choix n'est pas la règle partout. Ou la règle n'est pas respectée. Annabelle, elle, a gardé un souvenir amer d'une séance photo à laquelle elle avait refusé de participer pour le site internet de sa boîte : « Rien ne m'a été dit en face, bien sûr. Mais j'ai eu l'impression de passer pour la rabat-joie de service. Puisque je ne voulais pas poser, on ne m'a absolument pas inclue dans le projet, me mettant ainsi automatiquement à l'écart pendant quelques mois. Pourtant, j'aurais certainement pu participer autrement, non ? »

Il y a des dérives, confirme Hervé Resse. « Autrefois, « corporate » signifiait « entreprise ». Aujourd'hui, il désigne la « culture d'entreprise ». Ce que certains traduisent par, peu ou prou, « le salarié doit, 20h par jour, incarner sa boîte ». Le « corporate », qui n'a rien de gênant à l'origine peut alors devenir un pression supplémentaire. »

Mon image appartient-elle à ma boîte ?

Des phénomènes pernicieux. Car souvent, rien, dans un contrat de travail, ne fait mention au droit à l'image. « Les entreprises sont donc dans l'obligation de faire signer une autorisation d'utilisation de leur image aux salariés, explique Blandine Poidevin, avocate aux barreaux de Paris et de Lille. C'est un document spécifique qui précise le contexte de la prise de vue et de diffusion. » Rares sont les attaques en prudhommes sur ces dossiers. Mais rares sont aussi les refus de signer ce genre de documents. « Vous pouvez bien évidemment ne pas vouloir entrer dans le jeu, reprend Hervé Resse. Mais vous pouvez aussi, ça se comprend, hésiter davantage si vous êtes stagiaire plutôt que grand patron... »

Le refus du corporate pourrait-il freiner votre évolution professionnelle ? Aucune étude ne le prouve. Mais il est permis de se poser la question. Pour le conseiller en communication, c'est à chacun de peser le pour et le contre : « Participer à un lipdub est une chose. Passer trois jours de séminaires avec les commerciaux ou assister à une soirée d'entreprise en est une autre. Certaines font aussi partie de votre vie professionnelle. Et si vous refuser tout en bloc, c'est peut-être parce qu'il est temps pour vous de vous interroger sur votre envie de rester dans l'entreprise ? »

Tiphaine Réto © Cadremploi.fr

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