Manager dans la joie, c’est quoi cette blague ?

Céline Chaudeau

Ce n’est pas une plaisanterie mais une réflexion managériale très sérieuse : la joie et le rire auraient des vertus pour le bien-être et la productivité en entreprise. Il suffit juste de s’y mettre.

Il en rit encore. L’an dernier, comme la plupart de ses collaborateurs, Sylvain Breuzard s’est prêté au jeu : le PDG de Norsys a passé la journée au bureau avec… deux chaussures différentes. « Nous organisons chaque année un festival de l’humour avec des manifestations et des happenings de ce genre », explique le patron de cette société de services numériques (ex SSII). Parmi ses autres idées incongrues : un concours de photos décalées. « Cela ne nuit pas à notre travail, bien au contraire. Ce genre d’initiative suscite du sourire mais surtout des échanges, du dialogue mais aussi du bien-être… et de la productivité. »

La joie au service de la performance

Qui a dit que la joie était contre-productive au bureau ? Pas Paul-Hervé Vintrou. Auteur du guide Manager dans la joie, cet ancien PDG a longuement réfléchi au sujet. « On dit d’un manager qui est sérieux et pas joyeux qu’il est austère. S’il est joyeux mais pas sérieux, c’est un glandeur. Pourtant, il y a une vraie place entre les deux pour des managers sérieux, joyeux et plus performants. » Pour ce consultant, la joie serait même une qualité professionnelle. « Les études montrent que la joie est bonne pour la santé déjà. Elle génère du charisme et du rayonnement. Elle suscite du bien-être, de la fluidité et de l’audace. Et, par conséquent, de la performance pour l’entreprise. »

Mieux encore : les vertus de la joie et du rire seraient communicatives. « Les enquêtes montrent une vraie attente des salariés à ce niveau-là, témoigne Elodie Arnéguy, consultante en gestion du changement et co-auteure du Petit traité de l’humour au travail. Dans une récente étude, 96 % des salariés interrogés déclaraient que l’humour était important, très important, voire indispensable en entreprise et 63 % déploraient le manque d’humour au travail. » Or cette chercheuse confirme son intérêt pour l’entreprise. « Non seulement l’humour n’empêche pas de travailler sérieusement, mais il génère une vraie complicité et une meilleure cohésion des salariés. De même, si le manager en prend l’initiative, le rire crée aussi une relation plus humaine en décalage avec des hiérarchies traditionnelles et favorise la communication. »

Retrouver la joie : mode d’emploi

Encore faut-il le mettre en pratique. « L’impulsion doit partir du manager », insiste Paul-Hervé Vintrou. De son propre aveu, il a effectué un gros travail sur lui-même. « J’ai récemment croisé un ancien collaborateur qui m’a rappelé, à juste titre, que je n’avais pas toujours été très joyeux. J’ai changé quand j’ai compris que je pourrais aller plus loin avec la joie. » Pour y parvenir, ce consultant invite les intéressés à se reconnecter avec la joie via un travail quotidien. « Je pratique encore des "mémos de la gratitude" qui marchent bien. Il s’agit de se remémorer, chaque jour, des instants qui nous ont remplis de joie à la maison comme au bureau pour pouvoir reproduire certaines choses. »

« La joie ne se décrète pas, confirme Elodie Arnéguy. Elle est n’est utile et communicative que si elle émane du manager de façon sincère. » Mais rien n’empêche l’entreprise de se faire aider. « On peut déjà commencer par faire venir un prestataire extérieur comme une ligue d’improvisation qui propose une animation décalée. »

Pour rire, demandez le programme

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard : même les coachs s’y mettent. Fabrice Loizeau, formateur auprès de l’Institut français du yoga du rire, témoigne ainsi d’une demande croissante de la part des entreprises. « Nous proposons une forme de team building née des travaux d’un médecin indien, poursuit cet intervenant. Le rire est un excellent anti-stress qui limite les risques psychosociaux et améliore la productivité. Des employés riant ensemble 15 minutes par jour pendant 15 jours montre par exemple peuvent entrainer une amélioration de l’efficacité générale au travail, avec une augmentation des compétences et de leurs qualités relationnelles. »

« Quand un salarié me dit qu’il n’est pas là pour rigoler, j’essaie de lui prouver qu’il a tort, confirme Clémentine Dunne, fondatrice de l’association Cœur de Rire et intervenante en entreprise. En effet, le rire est une ressource méconnue, une énergie qui donne envie de bouger, de partager, de communiquer avec autrui. » Et il serait excellent pour la santé. « À chaque éclat de rire, l’organisme produit de la dopamine : plus on rit, plus on a envie de rire, et mieux on se sent. »

À chacun sa méthode et ses certitudes. Sylvain Breuzard, en tout cas, garde les siennes. « L’entreprise devient trop souvent un lieu de tristesse et de tension avec des salariés, même en open space, qui ne communiquent plus que par écrans interposés. » Ce patron n’a jamais regretté d’avoir injecté de la joie et de l’humour dans son management. « Régulièrement, mes collaborateurs se félicitent de la bonne ambiance dans l’entreprise. Et notre turnover est plus faible qu’ailleurs… »

Céline Chaudeau
Céline Chaudeau

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