Vivre plusieurs carrières en même temps : le phénomène slasheur prend de l'ampleur

Jeanne Ably

À la trappe le fatal métro-boulot-dodo : le slasheur mène sa carrière sur tous les fronts, défiant toute routine et maîtrisant l’art du zapping avec une dextérité de jongleur. Selon une étude publiée en octobre 2015 à l’occasion du Salon des micro-entreprises, ils seraient plus de quatre millions et demi en France (16 % des actifs) à pratiquer l’ubiquité professionnelle. Parmi eux : de nombreux cadres surdiplômés qui cumulent statuts et fonctions sans craindre de bousculer tous les codes, même celui du travail. Une priorité : se faire plaisir.
Vivre plusieurs carrières en même temps : le phénomène slasheur prend de l'ampleur

Une démarche assumée et même revendiquée

Popularisé en 2007 au pays des self-made-men, le terme de slasheur prend racine dans l'ouvrage de la sociologue Marci Alboher, One Person/Multiple Careers, best-seller outre-Atlantique. Si le fait de multiplier les activités par nécessité de joindre les deux bouts n’est pas nouveau, il résulte désormais d’un choix (pour 64 % des slasheurs, selon cette même étude) et touche une nouvelle catégorie de travailleurs, plus diplômés. En cause notamment : le contexte économique actuel –  pour le moins incertain – et les mutations rapides du marché qui incitent de plus en plus de jeunes cadres, désillusionnés par le schéma traditionnel – le même train-train toute sa vie – à rentabiliser leur passion : «  L’attachement à l’entreprise est moindre chez les jeunes générations qui aspirent désormais à se ménager des centres d’intérêt en dehors de leur travail et à mener leur barque comme ils l’entendent, loin des contraintes d’une hiérarchie », analyse Alain Bosetti, président du Salon des micro-entreprises.  Un mode de fonctionnement  dont il n'y a plus à rougir : « Alors que mot d’ordre était jadis de cacher sa pluriactivité, pour ne pas avoir l'air instable, la qualité de slasheur constitue aujourd’hui un vrai atout, car elle induit une multiplicité de facettes, indice de richesse de personnalité », assure Myriam Prot-Poilvet slasheuse professionnelle.

 

Le digital, facteur principal du boom des slasheurs

À l’apparition de cette nouvelle génération de travailleurs indépendants nés le smartphone à la main et la télécommande dans l’autre, Alain Bosetti attribue d'autres causes : d'une part la création en 2009 du statut d’auto-entrepreneur, qui a simplifié l’exercice légal d’une deuxième activité ; et d’autre part l'essor des nouvelles techniques, qui facilitent le travail à distance ainsi que la mise en relation de prestataires et de clients potentiels. S'ils craignent de se voir fermer des portes, les slasheurs peuvent en développer de nouvelles compétences via un panel très large de logiciels de photo, de vidéo, de musique, etc. Sans oublier les réseaux sociaux, qui permettent à ces zappeurs professionnels, conscients de l’importance croissante du personnal branding, de se faire connaître et d’élargir sans cesse leur visibilité, économie faite des contraintes de temps et d’espace : «  À l’inverse d’une plaque sur la porte d’un cabinet, qui ne donne aucun indice sur ce que vous êtes vraiment, Internet offre une tribune pour faire valoir et exprimer votre point de vue unique. D’où l’importance de bâtir un véritable storytelling autour de soi », note Myriam Prot-Poilvet.

 

Des profils variés

Si le phénomène laisse place à une multitude de profils qu'il est parfois difficile de classer, on distingue pourtant deux grandes catégories de slasheurs : ceux qui multiplient les activités et émergent le plus souvent grâce à Internet, et ceux qui n'alternent que deux emplois : un rémunérateur ("faire bouillir la marmite" !), et un autre plus proche du violon d'Ingres, exercé majoritairement sur leurs temps de loisir. D’autres encore, en transition, profitent d’un congé formation pour tâter d'un nouveau métier et changer de vie, ou testent leur projet d’entreprise avant d’effectuer le grand saut. Dans tous les cas, si la majorité des slasheurs ont entre 25 et 35 ans (étant entendu que 22 % des jeunes actifs possèdent au moins deux activités) et sont des femmes (85 % de slasheuses), la tendance s’étend bien au-delà de la dite génération Y. Pour amorcer leur retraite ou opérer leur reconversion, les quadras et quinquas se mettent à leur tour à slasher. Ils sont ainsi nombreux à créer leur micro-entreprise à côté de leur activité principale, pratique facilitée par un statut d’auto-entrepreneur qui permet de monter son entreprise sans prendre de risques financiers.

Jeanne Ably
Jeanne Ably

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