Que dit la loi en matière de surveillance au travail ?

Josée Pluchet

Un employeur peut souhaiter exercer une surveillance dans son entreprise, afin d’assurer la sécurité des biens (matériel ou marchandises), la sécurité des personnes, ou pour contrôler l’activité de ses salariés. Caméra de surveillance, accès aux mails, fouille des bureaux, géolocalisation, les moyens de surveillance sont nombreux. Mais tous les dispositifs de surveillance au travail sont-ils recevables ? Aujourd’hui, du fait des nouvelles technologies, la frontière entre vie professionnelle et vie privée est facilement franchie. Quels sont les droits de l’employeur, et ceux du salarié en la matière ? Cadremploi vous propose un tour d’horizon des modes de surveillance en entreprise.
Que dit la loi en matière de surveillance au travail ?

Les principes à respecter en matière de surveillance au travail

Si les règles peuvent varier selon le mode de surveillance envisagé, voici les principes généraux qui s’appliquent de manière générale. 

L’employeur a le droit de surveiller ses salariés

L’employeur, avec son pouvoir de direction, peut « contrôler et [de] surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail » (Cass, ch. soc., 4 juill. 2012, n° 11-30.266).

Mais cette surveillance doit néanmoins respecter plusieurs principes. 

Le respect de la vie privée des salariés

Selon l’article 9 du Code civil, « Chacun droit au respect de sa vie privée ».

Cela implique bien entendu que l’employeur n’a pas à s’immiscer dans la vie personnelle de son salarié, en dehors de l’exécution du contrat de travail.

Mais le droit au respect de la vie privée s’applique également dans l’entreprise, lorsque le salarié est sous la subordination de son employeur (CEDH, 5 sept. 2017, aff. Bărbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08).

Un salarié pourrait donc obtenir des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice subi suite à une atteinte à sa vie privée. 

Le respect des droits fondamentaux et libertés individuelles

L’article L1121-1 du Code du travail dispose que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

La loi impose donc que toute surveillance des salariés obéisse à 2 principes :

  • Qu’elle soit justifiée pat la nature de la tâche à accomplir (les motifs pourront par exemple être la sécurité des personnes, la lutte contre la concurrence déloyale, ou contre le vol).
  • Qu’elle soit proportionnée au but recherché (à titre d’exemple, la CNIL, dans une délibération du 6 septembre 2018, a considéré le pointage biométrique par reconnaissance des empreintes digitales excessif en l’absence de circonstances exceptionnelles). 

Bon à savoir : des preuves obtenues par des procédés illicites ne seront pas valables, et ne pourront pas justifier une sanction disciplinaire (le licenciement disciplinaire, notamment, serait sans cause réelle et sérieuse). 

La caméra de surveillance au travail

Sous certaines conditions, un employeur peut disposer des caméras de surveillance au travail et filmer ses salariés.

Un employeur peut-il filmer ses salariés au travail ?

Oui, si la surveillance est justifiée et proportionnée. La vidéosurveillance ne doit pas être générale et permanente.

Ainsi, pour des motifs de sécurité, un employeur pourra installer des caméras pour visionner les entrées et sorties de ses salariés, les issues de secours et les voies de circulation de l’entreprise. Il pourra également filmer la caisse d’un magasin ou un matériel particulier (mais non le salarié qui manipule l’argent ou ce matériel).

Par contre, il ne pourra pas filmer un salarié à son poste de travail, ni les toilettes, les lieux de pause, les locaux syndicaux ou les locaux des représentants du personnel.

Bon à savoir : concernant la visioconférence, la CNIL recommande aux employeurs de ne pas imposer aux salariés d’activer leur caméra, cela afin de protéger leur vie privée et celle des personnes présentes à leur domicile.   

Qui peut visionner les images de vidéosurveillance en entreprise ?

Les images prises par une caméra de vidéosurveillance pourront être visionnées par l’employeur et par toute personne qu’il aura habilitée (comme le responsable de la sécurité de l’entreprise).

Il devra veiller à ce que ces personnes soient formées et sensibilisées au respect de la vie privée et au traitement des données personnelles.

Si les images sont accessibles à distance, l’employeur doit veiller à en sécuriser l’accès (connexion https, mot de passe sécurisé...). 

Combien de temps sont conservées les images des caméras de surveillance ?

La durée maximale de conservation des images est fixée par l’employeur. En général, elle ne dépasse pas 1 mois.

Dans les faits, si un incident se produit, les images seront consultées dans les jours suivant cet incident. Si elles servent à l’appui d’une procédure (pénale ou disciplinaire), elles sont extraites du dispositif et conservées durant la procédure. 

Comment informer les salariés de la vidéosurveillance par caméras ?

En présence d’un dispositif spécifique de surveillance des salariés, l’employeur doit procéder à une information préalable des salariés (et des visiteurs) avant de collecter des données.

Notamment, si le dispositif induit le traitement de données personnelles, il doit informer les salariés sur (règlement UE n° 2016/679 du 27 avril 2016, article 13) :

  • la finalité poursuivie ;
  • la base légale du dispositif ;
  • l’identité et les coordonnées du responsable du traitement (le cas échéant du délégué à la protection des données) ;
  • le destinataire des données ;
  • la durée de conservation des données ;
  • le droit d’opposition pour motif légitime ;
  • le droit d’accès, de rectification ou d’effacement ;
  • la possibilité d’introduire une réclamation auprès de la CNIL.

Le délégué à la protection des données (Data protection officer, DPO) devra être associé à la mise en œuvre du dispositif. Les caméras seront inscrites sur le registre de traitements de données.

Ces informations doivent être portées sur des panneaux affichés en permanence et, de façon visible, dans les lieux concernés. L’affiche comporte également le pictogramme indiquant que le lieu est sous vidéoprotection.

Au surplus, les salariés doivent être informés personnellement de l’existence de traitements contenant des données personnelles les concernant au moyen de notes, de mail, d’une publication sur l’intranet de l’entreprise...

Bon à savoir : la loi impose une consultation des représentants du personnel sur les moyens ou techniques de contrôle, avant toute décision de mise en œuvre. 

Comment s’opposer à une vidéosurveillance illicite ?

Si le système de caméras installé par votre employeur ne respecte pas ces règles, vous pouvez saisir l’inspection du travail, le service des plaintes de la CNIL, ou les services de police ou gendarmerie.

Bon à savoir : si les caméras filment un lieu ouvert au public, les services de la préfecture seront compétents. 

Surveillance des salariés et fouille de bureau

Quelles sont les conditions à réunir pour que l’employeur soit autorisé à fouiller votre bureau ? Réponses ci-dessous.

Mon employeur peut-il fouiller mon bureau ?

L’employeur est chez lui dans son entreprise... Il peut donc entrer dans les bureaux et y consulter documents, et courriers, et cela même en l’absence du salarié.

Des documents qui se trouvent sur le lieu de travail sont présumés avoir un caractère professionnel.

Cependant, si les documents sont identifiés comme personnels sur le bureau, ou sont enfermés dans une armoire ou un tiroir fermés à clef, l’employeur ne pourra pas fouiller et y avoir accès hors la présence du salarié (Cass, ch. soc., 4 juill. 2012, n°11-12330)

Fouille du matériel informatique du salarié

L’employeur peut accéder au matériel informatique qu’il a mis à disposition de son salarié et peut donc consulter les fichiers de son ordinateur, d’une clé USB ou d’un disque dur, dont le caractère professionnel est présumé.

L’employeur peut surveiller l’utilisation d’internet par son salarié, en consultant l’historique de navigation ou les favoris (Cass, ch. soc., 9 févr. 2010 n° 08-4525).

Par exception, il n’a pas accès aux documents identifiés comme « personnels » par le salarié, en vertu du principe de respect de la vie privée. Notez cependant que la simple dénomination d’un dossier par le nom du salarié ou la mention « Mes documents » ne suffit pas à renverser la présomption de caractère professionnel (Cass, ch. soc., 10 mai 2012, n° 11-13884).

En général, une utilisation des outils informatiques à des fins autres que professionnelles est tolérée si elle est modérée. Il peut être utile que l’employeur fixe des règles de bonne conduite dans le règlement intérieur de l’entreprise, ou dans une charte de bonne conduite annexée à ce dernier. 

Fouille des salariés

La fouille des sacs des salariés ne sera possible que si elle est justifiée et proportionnée au but recherché (sécurité des salariés, ou recherche d’objets volés par exemple).

Certaines conditions doivent cependant être réunies (Cass, ch. soc., 11 févr. 2009, n° 07-42068) :

  • le salarié a donné son accord préalable ;
  • il a été averti de son droit de s’y opposer et d’exiger la présence d’un témoin ;
  • le contrôle respecte la dignité et l’intimité de la personne.  

La surveillance des mails professionnels

L’employeur peut-il surveiller les mails des salariés ? Les courriers électroniques reçus sur la boîte mail du bureau sont présumés avoir un caractère professionnel : il en découle que l’employeur peut les lire même en l’absence du salarié.

Il peut d’ailleurs mettre en place un logiciel de contrôle de messagerie (par exemple dans le but d’éviter un encombrement des réseaux internes).

Néanmoins, si un message est identifié comme privé ou personnel, l’employeur ne pourra pas les consulter sans porter atteinte au respect de la vie privée et au secret des correspondances privées (Cass, ch. soc., 26 juin 2012, n° 11-15310). L’employeur n’a pas accès aux mails d’une adresse électronique personnelle du salarié, et cela même s’ils sont redirigés vers une boîte professionnelle (Cass, ch. soc.,26 janv. 2016, n° 14-15360).

Bon à savoir : ces solutions s’appliquent aux SMS reçus sur un téléphone mobile professionnel (Cass, ch. com., 10 févr. 2015, n° 13-14779)

Autres procédés de surveillance par l’employeur

Quels autres moyens de surveillance votre employeur peut-il utiliser au travail ?

Le badge biométrique

La CNIL a précisé dans son règlement type du 10 janvier 2019 relatif à la biométrie sur les lieux de travail que les badgeuses biométriques ne pouvaient être utilisées que pour contrôler :

  • l’accès aux locaux limitativement identifiés par l'organisme comme devant faire l'objet d'une restriction de circulation ;
  • l’accès aux appareils et applications informatiques professionnels limitativement identifiés de l'organisme.

Ce procédé nécessite, comme la vidéosurveillance, l’information des salariés et la consultation des représentants du personnel.

Le traitement biométrique doit être inscrit au registre des traitements de l’entreprise.

Bon à savoir : les simples badges électroniques permettant de vérifier les horaires d'entrée et de sortie du salarié dans l'entreprise et de contrôler son activité suivent les règles applicables à la vidéo-surveillance. 

La géolocalisation

Les dispositifs de géolocalisation des salariés sur les véhicules professionnels ont pour objectif de localiser un salarié durant ses heures de travail.

Ce procédé permet également la justification des frais de transport, le suivi du temps de travail (mais seulement lorsque ce suivi ne peut pas être réalisé autrement - Cass, ch. soc., 19 déc. 2018, n° 17-14631), ou d’assurer la sécurité du salarié et des marchandises transportées.

Une information préalable de salariés et une consultation des représentants du personnel sont nécessaires. 

Le contrôle téléphonique

Pour éviter que les employés utilisent le téléphone de l’entreprise de manière excessive, l’employeur peut contrôler la durée des appels, le coût des appels et les numéros de téléphone appelés.

Cependant, l’employeur ne peut pas utiliser comme preuve l’enregistrement d’une conversation personnelle du salarié sans l’avoir mis au courant.

Josée Pluchet
Josée Pluchet

Diplômée notaire, Josée Pluchet est passionnée de droit privé, du droit civil au droit du travail en passant par le droit de la construction ! Chargée de veille juridique pour plusieurs sociétés, elle suit avec intérêt et attention les évolutions législatives et jurisprudentielles. Rédactrice juridique, elle a à cœur de rendre le droit accessible aux non-juristes. Elle rédige pour Cadremploi des articles relatifs au droit du travail.

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