Facebook et licenciement : les statuts qui les ont fait virer

Céline Chaudeau

On a beaucoup entendu parler de ces salariés qui se sont fait licencier après avoir insulté leurs employeurs sur Facebook. Mais qu’ont-ils publié exactement ? Le point sur les six jugements déjà rendus sur le sujet et qui font aujourd’hui jurisprudence. Un bilan accompagné de l'analyse de l'avocat spécialisé Eric Rocheblave.

1 - « Bienvenue au club des néfastes »

Un samedi soir, en 2008, trois cadres d’une société de conseil en informatique médisent sur le compte de leur entreprise. Sur Facebook. Ils prétendent entre autres, en plaisantant, appartenir au « club de néfastes » et se vantent de se « foutre de la gueule » d’une supérieure hiérarchique « toute la journée sans qu’elle s'en rende compte ». Sauf que cette discussion informelle sur le « mur » du réseau social est rapportée à la direction par un autre « ami Facebook » qui a vu ces commentaires sur le réseau. Tous trois sont alors licenciés pour faute grave. En 2010, le conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt valide la décision en relevant qu’une page, même personnelle, prend un caractère public dès lors que son contenu peut être lu par plusieurs personnes (Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010). Attention : le jugement a été infirmé depuis par la cour d’appel de Versailles (arrêt du 22 février 2012), certes, mais sur la base d’une question de procédure.

2 - « Qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! »

Cette salariée d’une grande enseigne d’ameublement dira qu’elle souhaitait juste réconforter un ancien directeur récemment remercié. « Cette boîte me dégoûte, écrit-elle sur son « mur ». Ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde ! ». Licenciée pour faute grave pour avoir dénigré son entreprise, elle est déboutée aux prud’hommes en première instance et en appel. En raison, notamment, du degré de confidentialité insuffisant des paramètres de son compte (arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 15 novembre 2011) : son compte a ainsi été considéré comme étant « public » et non « privé » par le Tribunal.

 

3 - Marre de « certaines grosses connes » et de ces « horaires à la con »

Parce qu’elle s’était plainte en termes fleuris de ses conditions de travail, une salariée d’un hypermarché a été licenciée pour faute grave. Morceaux choisis : elle évoque « des réflexions de bâtards », « certaines grosses connes » ou encore ses « horaires à la con ». Déboutée en première instance aux prud’hommes, l’intéressée a toutefois gagné en appel au motif que son employeur n’avait pas prouvé le « trouble objectif caractérisé » causé à l’entreprise (arrêt de la Cour d’appel de Rouen, 15 novembre 2011).

4 - « De belles balletringues anti-professionnelles »

Contrarié par le non-renouvellement de contrat d’un de ses collègues, un animateur radio s’énerve et qualifie sur Facebook sa direction de « belles balletringues anti-professionnelles ». L’employeur, ayant récupéré une capture d’écran de la page, décide alors de se séparer de l’animateur pour faute grave à cause de ses propos « injurieux ». Débouté dans un premier temps aux prud’hommes, l’animateur obtient quand même gain de cause en appel pour rupture abusive de son contrat. Il obtient 17 160 euros de dommages et intérêts (arrêt de la Cour d’appel de Douai du 16 décembre 2011).

5 - Une caricature qui ne fait pas rire

Certaines images postées en ligne peuvent aussi se payer cher. Un assistant culturel a ainsi publié sur son profil une gravure représentant le roi Louis XVIII avec une légende jugée diffamatoire : « Elle me rappelle une directrice que j’ai bien connue ». Il faisait allusion à une directrice, victime d’une chute. Congédié, il a saisi les prud’hommes, en vain. Malgré ses regrets exprimés lors de l’audience en appel, le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été confirmé (arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 28 février 2013).

6 - Il parle de ses vacances… en arrêt maladie

Le statut est explicite : « après 2 semaines et 3 jours de vacances, ça va être dur très dur ». Problème : cet employé d’une entreprise de jardinage est censé rentrer d’un arrêt maladie ! Dans sa lettre de licenciement, son patron a expliqué s’être penché sur son compte Facebook et y avoir trouvé des choses « intéressantes ». Son avocat a eu beau objecter que le profil appartenait à un couple - d’où l’impossibilité d’identifier l’auteur des propos -, le licenciement a été confirmé (Cour d’appel d’Amiens du 21 mai 2013).

Céline Chaudeau © Cadremploi.fr

 

« Il ne suffit pas de paramétrer la confidentialité de son compte Facebook pour être protégé »

Trois questions à Eric Rocheblave, blogueur et avocat spécialisé en Droit du Travail.

A ce jour, que dit la jurisprudence sur Facebook comme motif de licenciement ?

Par définition, elle évolue et il y a encore des divergences entre les juridictions civiles – dont dépendent les prud’hommes - pénales et administratives. Mais la tendance claire, au niveau de la Cour d’appel, est de dire que Facebook est un espace public où l’on renonce à une certaine discrétion. En gros, la jurisprudence s’appuie sur ce qu’elle a jadis dit des blogs : on peut parler de son employeur à condition de peser ses mots. C’est une règle de base en droit : on ne dénigre pas son employeur en public. Or, contrairement aux blogs, les statuts Facebook sont souvent plus impulsifs, expéditifs et moins mesurés dans le langage…

Constatez-vous une augmentation des licenciements liés à des statuts Facebook ?

Facebook est désormais au cœur des palais de justice en matière de relations de travail. J’ai vu passer des affaires où, sur la base de photos ou de statuts, on a reproché à des salariés d’être en vacances ou de travailler ailleurs pendant un arrêt maladie. Certains cadres qui revendiquaient des paiements d’heures supplémentaires ont été confondus grâce à la géolocalisation des statuts. Et certains commentaires, perçus comme de la diffamation envers l’employeur, peuvent même donner lieu à des amendes. Un statut Facebook à lui seul est rarement invoqué pour justifier un licenciement et ne ressort pas forcément dans la décision de justice finale. Mais l’usage de Facebook ou ce qu’il s’y dit est mentionné dans quasiment un dossier sur deux !

Comment le salarié peut-il se protéger et se défendre?

Contrairement à une idée reçue, il ne suffit pas de paramétrer la confidentialité de son compte pour être protégé. Ce qu’on poste sur Facebook est un motif potentiel de grief mais aussi une preuve que l’on peut présenter dans un tribunal grâce à une simple capture d’écran que l’on peut verser au dossier. Il faut savoir que la preuve est libre en matière prudhommale : si elle a été obtenue de façon déloyale, c’est au salarié de le prouver… Au final, si un salarié est licencié à cause d’un statut Facebook, il gagnera surtout aux prud’hommes en contestant la qualification de la faute invoquée. En fonction du contexte et de l’ancienneté du salarié, la « faute grave » ne sera pas forcément retenue.

Propos recueillis par C. C.

Céline Chaudeau
Céline Chaudeau

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