Les dérives de la rupture conventionnelle

Tiphaine Réto

Elle connaît un succès grandissant. Près de 300 000 ruptures conventionnelles auraient déjà été signées depuis 2008. Pratique pour les salariés mal dans leur travail, le système de ce départ à l'amiable cache pourtant des failles... et de graves dérives.

Depuis son lancement en août 2008, la rupture conventionnelle aurait mis fin « à l'amiable » à plus de 280 000 CDI. Un succès qui n'étonne pas Nathan Cassin. « C'est un moyen simple, facile et intelligent de quitter sa boîte », juge le jeune homme. Lui travaillait dans une entreprise du web, mais avait envie de « voir autre chose » sans prendre les risques de la démission. « La rupture conventionnelle m'ouvrait des droits aux allocations chômage. C'est beaucoup plus rassurant pour démarrer dans une nouvelle voie. » Comme le licenciement, la rupture conventionnelle donne droit au versement de 57 % du montant du salaire brut versé sur un maximum de 23 mois. Un matelas qui a permis à Nathan de se lancer sereinement en indépendant.

 

Des licenciements masqués

« La rupture conventionnelle a facilité la fluidité du marché du travail, note Yves Nicol, avocat spécialisé en droit du travail au barreau de Lyon. C'était une bonne idée à la base. On a tous connu un salarié démotivé qui n'osait pas démissionner. » Mais pour le spécialiste du droit « cette rupture du troisième type » a été pervertie par le système. « A mon sens dans 70 % des cas, ce départ « à l'amiable » cache un licenciement déguisé. On convoque une personne, on lui annonce qu'elle va être licenciée, on le laisse mariner et on lui propose, finalement, une rupture conventionnelle. »

 

Contrôles renforcés

L'avantage est double pour le salarié : il ne subit pas les dommages psychologiques d'un renvoi et peut négocier son indemnité de départ au même titre que pour un licenciement. « Mais c'est surtout intéressant pour l'employeur qui peut alléger sa masse salariale sans mettre en place un plan social et sans avoir à se justifier. » L'avocat n'est pas seul à pointer du doigt cette dérive et la vigilance de la direction du travail s'est accrue sur le sujet.

 

Une rupture d'à commun accord... surtout pour l'employeur

Reste que pour Yves Nicol, cette rupture n'est « à l'amiable que pour l'employeur » : « On observe aussi la tendance inverse au départ forcé. Votre rupture conventionnelle n'est valable que si votre entreprise est d'accord pour vous laisser partir. » C'est ce qui est arrivée à Géraldine. Salariée depuis trois ans dans un travail qui ne lui plaisait pas, elle a passé et réussi le concours d'infirmière. « Je devais rentrer à l'école en septembre. Mais quand j'ai demandé à mon employeur de signer une rupture conventionnelle, il a refusé parce qu'il ne voulait pas payer d'indemnités. J'ai été obligé de démissionner et de reprendre un petit boulot pendant mes études. » A 36 ans, le coup est dur...

 

Plus difficile à négocier avec l'ancienneté

« Ce genre de cas arrive plus souvent quand le salarié a beaucoup d'ancienneté dans l'entreprise, analyse Yves Nicol. Parce qu'il peut négocier sa prime de départ en fonction de son expérience... et l'employeur n'a pas toujours envie de faire un gros chèque pour voir partir un collaborateur dont il a besoin. »

 

Presque plus de démissions

L'avocat sourit. « La rupture conventionnelle était vraiment une bonne idée, mais personne n'avait voulu anticiper ces dérives. Aujourd'hui, j'en suis persuadée, c'est un système qui va être revu. Ne serait-ce parce que l'Etat ne peut plus l'assumer. » Depuis la mise en place de la rupture conventionnelle, les entreprises françaises n'enregistrent presque plus de démissions. Mais en décembre dernier, 79 % des salariés ayant négocié leur départ à l'amiable était inscrit à Pôle Emploi.

Tiphaine Réto
Tiphaine Réto

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