Je suis malvoyant. Et alors?

Pascale Kroll

A 35 ans, bardé de diplômes et d'expériences à l'international, Stéphane Forgeron a le profil rêvé pour les recruteurs. Son parcours a pourtant été chaotique. Pourquoi tant de galères ? Il est malvoyant...

« Je ne vois pas le nom des rues. J'évite les obstacles in extremis. Mais je suis parfaitement autonome à mon poste de travail. » Catégorisé malvoyant, Stéphane Forgeron lit sur ordinateur grâce à certaines adaptations, notamment un système d'agrandissement d'écran. Il est brailliste. Une différence qui peut faire peur à nombre de recruteurs.
« Etre une personne handicapée est surtout handicapant en raison des préjugés, constate-t-il. La France ne sait pas gérer la différence. On juge d'abord mon handicap et après mes compétences. Aux Etats-Unis, au contraire, on part du principe que la différence peut être compensée et que la personne différente détient des atouts. »


Un CV digne d'un haut potentiel

Son CV béton et ses expériences à l'international auraient pourtant pu faire tomber les blocages psychologiques liés au handicap : titulaire de diplômes en linguistiques et en commerce international, ce candidat émérite parle couramment l'anglais, l'espagnol et le portugais.

Après plusieurs mois de recherche d'emploi en 2000-2001, ne trouvant pas d'offres répondant à ses attentes notamment car il ne sortait pas d'une grande école, il est retourné sur les bancs de l'école. En visant cette fois HEC, couplée à un MS de Telecom Paris.


« Le conseil me ferme totalement ses portes »

« HEC a grandement facilité ma recherche d'emploi, souligne Stéphane Forgeron. Auparavant, les recruteurs trouvaient tous les artifices pour ne pas me recevoir. Après, dix entreprises m'ont reçu en entretien. Cinq d'entre elles étaient prêtes à m'embaucher. » Mais, contrairement à ses camarades de promotion, Stéphane a dû faire une croix sur son rêve : travailler dans le conseil.

« Ce secteur, comme l'audit, ferme totalement ses portes aux candidats handicapés, constate-t-il amer. On m'expliquait qu'il était inenvisageable de me recevoir car les tests de sélection n'étaient pas adaptés à ma situation. C'est surtout le blocage psychologique qui est important dans ce secteur. On ne me donnait jamais la vraie raison ou alors les recruteurs affirmaient que ce serait leurs clients qui tiqueraient. Clients qui, soit dit en passant, se sont dotés d'une mission handicap. »


« Surtout reçu par des banques dotées d'une cellule handicap »

Pour accroître ses chances, Stéphane Forgeron a visé les secteurs de la banque, des services et de l'industrie, réputés plus ouverts aux candidatures de personnes handicapées.
« J'ai surtout été reçu en entretien par des entreprises du secteur bancaire dotées d'une cellule handicap. Elles essaient tant bien que mal de trouver des solutions pour démystifier le handicap dans leurs équipes. »


« L'insertion s'est trop bien passée ! »

Depuis juillet 2007, Stéphane Forgeron est salarié dans une grande banque française en tant qu'acheteur senior en prestations informatiques et de conseil au sein de la direction des achats groupe. Heureux ? Pas tant que ça.
« Je me suis trop bien intégré à mon équipe et à mon environnement de travail ! indique-t-il bizarrement. A tel point que mes collègues ne me considèrent plus comme différent. Cela peut être un problème car ils oublient que je peux avoir des difficultés à réaliser certaines tâches, comme par exemple faire des powerpoint très conceptualisés. Tout est faisable, mais cela demande un effort important et le résultat n'est pas forcément bon. Je trouve que, sur un poste donné, en concurrence avec une personne valide, on sera toujours plus exigeant avec une personne non valide. Vous aurez beau sortir de la meilleure école, ce ne sera jamais suffisant. »

Ce cadre envisage aujourd'hui son évolution de carrière, « pour une fonction plus diversifiée d'envergure plus internationale ». Mais il va encore devoir se battre. Si, en France, on parle assez facilement de l'embauche des personnes handicapées, leur évolution, elle, est encore peu envisagée.

Pascale Kroll
Pascale Kroll

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