Démissionner et toucher le chômage : une mesure incitative… sur le papier

Michel Holtz

En théorie, le dispositif qui entre en vigueur au 1er novembre 2019 permet de quitter son entreprise en touchant une allocation chômage comme tous les salariés licenciés. Mais dans les faits, les contraintes et le flou qui l’entourent risquent de ne pas attirer beaucoup de candidats. L’Unedic a chiffré la mesure et une avocate spécialisée la décrypte pour Cadremploi.
Démissionner et toucher le chômage : une mesure incitative… sur le papier

C’était un frein pour de nombreux salariés. Jusqu’à présent, pour prétendre à des indemnités de chômage, il fallait être licencié, ou avoir signé une rupture conventionnelle avec celui qui allait devenir son ex-employeur (en dehors des cas de démission légitime).

1er novembre 2019 : droit au chômage pour les salariés démissionnaires (hors démissions légitimes)

Mais dès le 1ᵉʳ novembre, les démissionnaires pourront eux aussi toucher ces indemnités durant deux ans. C'est ce que précise le décret * évoquant la prise en charge par le régime Unedic des salariés démissionnaires.

Entre 17 000 et 30 000 candidats à la démission indemnisée par an

Peut-on pour autant s’attendre à des afflux de démissions et à un rush aux guichets de Pôle emploi ? Pas vraiment. Selon l’Unedic, qui gère le régime de l’assurance chômage, et vient de rédiger une note d’impact des nouvelles mesures, les entreprises ne seraient pas désertées. Loin de là. Selon l’organisme, la fourchette (large) de départs volontaires, serait comprise entre 17 000 et 30 000 par an, pour un coût compris entre 230 et 345 millions d’euros. Pour les indépendants, qui eux aussi pourront prétendre à l’indemnisation, le coût estimé par l’Unedic est encore plus faible et ne devrait pas dépasser 140 millions d’euros.

Cette mesure a été créée pour avoir un impact très très mesuré.

Les restrictions d’accès beaucoup plus rentables

Des sommes certes élevées, mais qui ne risquent pas de déstabiliser le régime. Toujours selon le rapport de l’Unedic, l’impact des différentes autres mesures (restrictions des conditions d’accès, dégressivité, etc.) permettraient une économie de plus de 2,5 milliards. Le solde resterait donc largement positif, avec un gain estimé de 2,05 milliards. « C’est d’ailleurs le but de l’opération », commente Émilie Videcoq. Pour l’avocate spécialisée en droit du travail du cabinet Bernard & Videcoq, cette mesure a été créée pour avoir un impact très très mesuré. Y compris sur le turn-over des entreprises, « qui, d’ailleurs, ne sont pas du tout montées au créneau ».

L'Unedic ne prend même pas la peine de mesurer l’impact de la mesure pour 2019.

Des contraintes et des zones de flou

Mais pourquoi une telle mesure, incitative sur le papier, ne rencontrerait-elle pas le succès ? « A cause des contraintes, du temps, et du flou », résume l’avocate. C’est que pour prétendre à l’indemnisation, les salariés doivent faire état d’un projet professionnel de création d’entreprise ou de reconversion professionnelle. Leur dossier constitué doit ensuite être soumis à une commission qui décide, in fine, si le candidat est apte à être indemnisé. Et, pour le moment, personne ne connaît les délais nécessaires à cette commission pour statuer. « En plus, on ne se sait même pas, aujourd’hui, quelles sont les pièces à fournir pour constituer ce dossier ». Quand c’est flou, il n’y a pas toujours un loup, mais plutôt un retard à l’allumage. Autant dire que la prudence devrait inciter nombre de démissionnaires potentiels à patienter, au moins jusqu’à l’année prochaine. D’ailleurs l’Unedic, dans son rapport, ne prend même pas la peine de mesurer l’impact de la mesure pour 2019. 

A qui va profiter la mesure ?

Reste que le dispositif peut convenir à certains salariés. Principalement ceux qui ne parviennent pas à un accord avec leur employeur leur permettant de signer une rupture conventionnelle. « A condition qu’ils ne soient pas pressés de toucher des indemnités et qu’ils aient un projet bien ficelé », ajoute Émilie Videcoq.

Quant aux seniors pressés de profiter des deux dernières années qui les séparaient de la retraite, ils en sont eux aussi pour leurs frais, puisque, par définition, ils n’ont plus de projet professionnel à proprement parler. Au final, le dispositif gouvernemental qui entre en vigueur ces prochains jours semble, pour le moment, plus spectaculaire qu’incitatif.

Lire aussi >> Assurance chômage : les nouvelles règles qui impactent les cadres

* Décret n° 2019-796 du 26 juillet 2019 relatif aux nouveaux droits à indemnisation

Michel Holtz
Michel Holtz

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