Finir dignement une carrière devient aussi difficile que de la commencer

Sylvia Di Pasquale

Finir dignement une carrière devient aussi difficile que de la commencer

Les cadres seniors ont le blues. Et le duo Premier ministre - ministre du Travail n’ont pas décidé de leur remonter le moral : finies les indemnités chômage à taux plein, ils subiront désormais la fameuse dégressivité si leur dernier salaire dépasse 4 500 € bruts par mois, du moins tant qu’ils n’ont pas atteint les 57 ans. Une mesure qui entrera en vigueur au mois de novembre et qui figure dans la réforme du chômage rendue publique cette semaine.

Lire aussi >> Assurance-chômage : les indemnités des cadres visées par la réforme

 

Visiblement, pour Edouard Philippe comme pour Muriel Pénicaud, on n’est senior qu’à cet âge-là, on ne rencontre de difficultés pour trouver un emploi que trois ans avant que les 60 printemps ne viennent frapper à la porte du CV. Mais peut-être les ministres n’ont-ils pas eu vent des chiffres récents du Centre d'étude de l'emploi et du travail, pourtant rapportés par France Info, ni même de la mauvaise ambiance que rencontrent la majorité des seniors en entreprise ? 

Alors, soyons bons camarades et rappelons-leur quelques-unes des conclusions de ladite étude et de la réalité des entreprises. Ainsi, selon Kadija Charni*, la chercheuse du CEET, qui s’est certes basée sur le marché de l’emploi anglais, un tiers seulement des chômeurs âgés de 55 à 59 ans retrouvent un job après être passé par le Pôle emploi anglais.  Oui mais bon, la décision stoppant la dégressivité à 57 ans est une manière de couper la poire en deux. Pas vraiment, car, selon la même enquête, seule la moitié des séniors un poil plus jeune, ceux âgés de 50 à 54 ans, réussissent à sortir du chômage.

Bien sûr, ces chiffres ne sont pas les nôtres. En fait, ils pourraient être pire en France. Chez nous, l’emploi des seniors n’atteint pas franchement des scores mirobolants. Toujours selon le CEET, le taux d’activité des 55-64 ans ne dépasse pas 54,9 % en France, alors que la moyenne des pays de l’OCDE atteint 63 %. Evidemment, si le fait que les seniors – qui en entreprise sont considérés comme tels dès l’âge de 45 ans – tient justement, et bien évidemment, au fait que les entreprises en question hésitent à les recruter. Pourquoi ? Parce qu’ils n’auraient pas l’ouverture d’esprit des plus jeunes, ni la volonté de s’adapter à de nouveaux processus, citait – entre autres clichés qui ont la vie dure – la dernière étude menée par l’Apec sur les cadres séniors.

 

C’est une passe longue en direction des employeurs que vient d’opérer la ministre du Travail à propos des seniors.

 

Mais pourquoi seraient-ils réfractaires ? Parce que les entreprises, toujours elles, coupent le robinet de la formation dès 45 ans, pardi. Il n’y a qu’à regarder la ventilation du public de la formation professionnelle : les seniors y sont rares. Bref, le serpent se mord la queue, les anciens sont sans emploi, et ne vont pas être indemnisés correctement. Une fatalité qui fait dire à David Abiker, dans sa chronique du magazine Management joliment titrée le « senior des annonces », que « faire carrière après 50 ans, s’apparente à tenter un jogging sur des morceaux d’iceberg »

Alors que faire ? Muriel Pénicaud affirmait sur BFM, au lendemain de l’annonce des mesures, qu’elle voulait « ouvrir une concertation avec les partenaires sociaux », après avoir pris la mesure du tollé suscité par ses mesures. De quoi espérer un abaissement de l’âge couperet à partir duquel la dégressivité serait levée ? Pas vraiment, puisque la ministre a ajouté que « les entreprises, doivent ouvrir leurs chakras et se dire qu'il y a plein de compétences perdues chez les seniors ».

C’est donc une passe longue en direction des employeurs que vient d’opérer la ministre du Travail. Comment les entreprises vont-elles récupérer le ballon ? En organisant des cessions de formation au yoga pour leurs DRH et dirigeants, évidemment. Pendant ce temps, il sera demandé aux seniors chômeurs de rester le plus zen possible.

 

* Le retour à l’emploi diminue-t-il avec l’âge ? Le cas des travailleurs âgés en Grande-Bretagne,  Kadija Charni, post-doctorante au Cnam-CEET, Collection Connaissance de l’entreprise #148, Juin 2019.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

Vous aimerez aussi :