Combien de salariés abandonnent leur poste et que deviennent-ils ?

Michel Holtz

ANALYSE - 123 000 salariés ont abandonné leur poste au premier semestre de l’an passé, selon l’étude inédite que vient de publier la Dares, le service statistiques du ministère du Travail. Comment expliquer ce phénomène ? Et que deviennent ces salariés partis sans avoir prévenu ou obtenu l’accord de leur employeur ?
Combien de salariés abandonnent leur poste et que deviennent-ils ?

Abandon de poste : ne pas confondre avec d’autres tendances

La tentation est grande de mélanger, dans un curieux pot au feu, les tendances du moment. Et de se dire que la fameuse « grande démission » ou le « droit à la paresse » à la mode ont forcément un lien avec le chiffre tombé hier : 70% des licenciements pour faute grave ou lourde sont liés à des abandons de poste selon la Dares, le service statistiques du ministère du Travail, dans son étude* publiée le 22 février.

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Une première étude qui ne permet aucune comparaison

L’analyse simpliste serait donc de corréler ces éléments en expliquant que le travail n’est plus ce qu’il était depuis le Covid, et que la quête de sens tant vantée a gagné du terrain. Mais il est peut-être des explications moins ésotériques à ce phénomène. D’abord, s’agit-il réellement d’un phénomène ? C’est la toute première fois que l’organisme se penche sur la question. Les abandons de postes étaient-ils moins nombreux les années auparavant ? Assiste-t’on à une explosion d’équipages lâchant le navire ? On n’en sait strictement rien.

Plus d’un tiers des abandons de poste dans des secteurs en pénurie

Ensuite, examinons les secteurs où cette pratique est la plus répandue. Ils culminent dans le commerce, le transport et l’entreposage, trois branches en pénurie de candidats. A l’inverse, ils sont rares dans l’industrie.

Qui dit pénurie de candidats – ce dont ne souffre pas l’industrie –, signifie que les salariés ont la main sur le choix de leur employeur. L’actuel ne leur convient pas ? Ils abandonnent leur poste et vont se faire embaucher ailleurs où l’herbe de leurs conditions de travail et le salaire leur semblent meilleurs.

Cette enquête de la Dares est donc un message envoyé aux entreprises notamment de la logistique, frappées de plein front par ces abandons de poste. Ce message tient en peu de mots, qui n’ont rien à voir avec une supposé quête de sens : il suffit de rendre vos jobs plus attractifs, et vos managers moins répressifs pour que vos salariés ne prennent pas leurs jambes à leur cou.

Sur les 123 000 abandonnistes, 41 000 proviennent de ces trois secteurs, soit plus d’un tiers. De quoi allumer quelques signaux d’alerte dans les branches concernées.

Des employeurs qui poussent leurs salariés à abandonner leur poste

Autre facteur plus méconnu pour expliquer les abandons de poste : ils peuvent être suggérés par l’employeur lui-même.  Une pratique commentée par un DRH interrogé par Cadremploi, qui éclaire cette pratique d’une lumière particulière. Lorsqu’un employeur souhaite se séparer à l’amiable d’un salarié ou laisser partir un salarié qui lui demande une rupture conventionnelle, mais qu’il ne veut pas lui verser d’indemnités, il doit le licencier pour faute grave ou lourde, ce qui permettra au moins au collaborateur de toucher ses indemnités chômage. Mais comment éviter les recours aux prudhommes en cas de dossier mal ficelé ? En lui demandant d’abandonner son poste, pardi. C’est ce qu’a vécu Guillaume Chevalier, ex-cadre dans une société d’aménagement d’autoroute. Lire son témoignage ici :

Les indemnités chômage, avant qu’il ne soit trop tard

Cette enquête démontre également que les salariés français sont plutôt très bien informés. La réforme de l’assurance chômage est dans les esprits depuis un an, et plus précisément depuis la réélection d’Emmanuel Macron. Or, le nouveau texte prévoit justement que l’abandon de poste ne soit plus qualifié en tant que licenciement – ce qui donne automatiquement droit aux indemnités chômage, à condition de remplir les conditions nécessaires. Dès l’entrée en vigueur de la loi, l’abandon de poste sera assimilé à une démission, ce qui compliquera l’accès aux indemnités en question, puisqu’il faut en passer par une commission pour les obtenir.

Les décrets d’application sont attendus pour fin mars 2023.

Que deviennent ceux qui ont abandonné leur poste ?

L’enquête de la Dares ne prend en compte que les abandons qui se sont déroulés au premier semestre 2022, et dans le lot, 43% de ceux qui n’ont plus donné signe de vie à leur entreprise se sont inscrits à Pôle emploi, et ont touché leurs indemnités dans les trois mois.

On peut supposer que ce taux n’a pas baissé tout au long de l’an passé. Il se pourrait même qu’il ait augmenté depuis le début de l’année 2023 et qu’il connaisse une véritable embellie ce mois-ci et le mois prochain, jusqu’à la publication des décrets d’application et l’entrée en vigueur de la loi. On peut même supposer qu’après l’application des textes, le nombre d’abandons sera en nette diminution.

On le voit, le phénomène de l’abandon de poste peut servir d’avertisseur aux employeurs peu regardant sur le bien-être au travail et aux managers toxiques. L’amélioration du bien-être au travail leur permettra d’éviter que leurs salariés ne les fuient à la première occasion. C’est juste du bon sens qui, souvent, est la clé qui permet de résoudre les problèmes de quête de sens.

 

* Etude DARES FOCUSN°12, Combien de salariés abandonnent leur poste et que deviennent-ils ?

Michel Holtz
Michel Holtz

Journaliste économique et social, Michel Holtz scrute les tendances de l’emploi, du management et de la vie professionnelle des cadres, toujours à l’affût des nouveaux outils et des dernières transformations de la vie au travail.

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