Christophe, 47 ans « Viré en dix minutes après vingt ans de carrière, j'ai appris à n'être plus grand-chose puis à me relever »

Gwenole Guiomard

SERIE « FRANCHEMENT » épisode 12 – Christophe, 47 ans, a eu un parcours stratosphérique en multinationale, payé jusqu’à 180 000 euros par an. Puis un matin de 2019, son boss le licencie en dix minutes. Sans même lui expliquer pourquoi. Un choc et une descente aux enfers plus tard, il réussit à se relever et évolue désormais dans le monde des start-up, où il ne se fait aucune illusion. Il raconte sans filtre sa chute et sa renaissance. Cadremploi donne régulièrement la parole à des cadres qui ont connu des transitions professionnelles pénibles ou heureuse au contraire. Retrouvez d’autres confidences de cadres en bas de l’article.

Christophe (le prénom a été changé) évoluait dans le secteur du médical

Christophe, 47 ans « Viré en dix minutes après vingt ans de carrière, j'ai appris à n'être plus grand-chose puis à me relever »
Christophe (le prénom a été changé) évoluait dans le secteur du médical

Un départ sur les chapeaux de roue et une chute vertigineuse. C’est ainsi que se résume la première partie de carrière de Christophe, 47 ans, qui préfère garder l’anonymat pour témoigner plus librement.

« J’ai débuté ma carrière dans une multinationale. J’ai une double culture franco-italienne avec un bac obtenu à Martigues, une passion pour le jeu d’échecs, un père ingénieur, une mère donnant des cours de religion et d’italien. Mes études d’ingénierie avaient comme objectifs de m’assurer un parcours professionnel sans risque et d’assouvir ma curiosité intellectuelle. Je les ai conclues par un Mastère spécialisé à HEC payé par mon grand-père. Mon père était alors au chômage. D’où ma volonté aussi de me débrouiller par moi-même le plus possible.

Viré en 10 minutes après 20 ans de carrière

A cette époque, je tutoyais les étoiles. J’ai vite été embauché dans une multinationale de la santé avec le sentiment de faire partie des meilleurs et intégré dans un programme pour hauts potentiels, c’était très courant à l’époque. On bossait beaucoup mais je m’éclatais avec de grandes responsabilités alors que j'étais encore très jeune.

Je suis passé par beaucoup de pays, revenu en France, puis de nouveau reparti en Suisse pour développer une entreprise pendant 10 ans. Après vingt ans de bons et loyaux services au sein de ce grand groupe, j’étais payé 180 000 euros brut par an. Une ascension professionnelle régulière et sans encombre. Le bonheur ? ça y ressemblait.

Sauf qu’il y a eu ce mercredi de mars 2019. J’ai été convoqué par mon boss. Je me demandais à quel poste j’allais être promu. Il m’a tendu une lettre de démission, la mienne. Je n’avais plus qu’à la signer. Mon contrat s’arrêtait là.

En cinq secondes, mon cerveau s’est effondré. Mon boss m’a dit « Great man at the wrong time » sous l’œil faussement empathique de la responsable, des ressources humaines, qui n’avait rien d’humain.

J’ai eu une sensation très profonde de mort. Je n’ai jamais su pourquoi j’avais été viré. C’est cela qui est sans doute le plus douloureux. Pas de signes avant-coureurs, rien. Vingt ans sans aucun questionnement, fauché en pleine ascension par un gars que je connaissais depuis dix ans, que je respectais et que je protégeais. J’ai continué mes appels dans la journée, de mon bureau et n’y suis jamais plus revenu.

Une année blanche

Toute mon équipe a été démantelée et moi, je suis rentré en France, sidéré, pour une période qui a oscillé entre formation sur tout et n’importe quoi, un couple en perdition, des visites chez le psychanalyste. Je n’étais certes pas à la rue car mon employeur avait financé mon départ et un outplacement. Mais dans ma tête, c’était tout comme. Une blessure égotique béante. Personne n’avait plus besoin de moi. Nul ne m’appelait pour me demander mon avis.

J’ai eu, pendant cette année, trois chances :  ma famille et mon couple qui a finalement connu un second souffle, des amis fidèles et des activités fascinantes comme le soutien bénévole aux start-up. Cela m’a occupé le cerveau. J’ai eu des hauts et des bas mais n’ai jamais pensé au suicide.

Réembauché puis licencié au bout de 6 mois

J’ai aussi mis le pied dans le monde des start-up. J’ai ainsi retrouvé un travail mais le gars qui m’a embauché s’est fait virer. J’ai senti que mon tour allait venir. C’était un jeudi. J’ai pris un avocat et j’ai attendu mon licenciement. La nouvelle patronne était une joueuse court-termiste. Moi, en amateur éclairé de jeu d’échecs, j’ai continué à travailler dans une ambiance toxique.

Mon avocat m’a permis de mettre à distance cet environnement harcelant. Micro management, placardisation, pressions, réductions de périmètre, décisions absurdes : tout y est passé. Cet épisode a duré six mois et s’est conclu aux prud’hommes, sans affect.

C’est finalement mon seul conseil. Dans ce monde des start-up, mais aussi dans les autres, il faut savoir que tout peut s’arrêter du jour au lendemain.

De nouveau salarié, sans illusion

Aujourd’hui, j’ai repris un poste de directeur général, salarié. Je gagne 86 400 euros brut par an, soit deux à trois fois moins qu’il y a deux ans. L’équilibre managérial entre le PDG, les conseillers et moi-même est parfois précaire. Mais cela ne m’empêche plus de dormir. C’est totalement insécurisant mais c’est ainsi.

J’ai désormais appris à tomber pour mieux me relever. Je n’avais pas cette résilience. C’est chose faite.

Je maintiens à jour mon réseau. Je me forme et rencontre des amis le week-end. Je me pensais intouchable dans ma première partie de carrière. J’ai appris à n’être plus grand-chose, à chuter puis à me redresser. J’ai même arrêté mes visites chez le psychologue…

Mon prochain gadin sera donc moins dramatique. Je ne ferai probablement plus partie des effectifs dans un à deux ans. Dans les start-up, tout va très vite. Il faut apprendre à vivre sereinement dans l’insécurité.  D’autant, qu’à mon âge, 47 ans, ce sera très difficile de retravailler dans une planque, un grand groupe. Mes collègues qui ont suivi cette filière s’y ennuient à refaire le même boulot depuis 20 ans. Ils sont lessivés ».

Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

Vous aimerez aussi :