Claire Mesnier, DRH d’Alpine : « Je suis présente sur une dizaine de grands prix de F1 tout au long de la saison »

Michel Holtz

REPORTAGE – Sa mission ? Féminiser les recrutements dans le secteur le plus masculin qui soit : l’automobile en général et la Formule 1 en particulier. Mais ce n’est pas l’unique objectif de la directrice des ressources humaines d'Alpine, la filiale du groupe Renault aux 1800 collaborateurs. Claire Mesnier doit, en outre, recruter pour atteindre les objectifs fixés : être champion du monde en 2026. La F1, cet univers tant convoité ou beaucoup rêvent de travailler ? Pas si simple. A trois jours du grand prix de Formule 1 de Spa Francorchamps en Belgique, retour sur une précédente compétition où nous l’avIons rencontrée dans les paddocks.

Claire Mesnier, DRH d'Alpine, recrute aussi sur les grands prix de F1. Sur la photo, au grand prix de France, au Castellet, le 24 juillet dernier. Photo Michel Holtz ©Cadremploi

Claire Mesnier, DRH d’Alpine : « Je suis présente sur une dizaine de grands prix de F1 tout au long de la saison »
Claire Mesnier, DRH d'Alpine, recrute aussi sur les grands prix de F1. Sur la photo, au grand prix de France, au Castellet, le 24 juillet dernier. Photo Michel Holtz ©Cadremploi

[REPORTAGE] Les gradins et la piste sont vides, mais le paddock* s’agite. Ce jeudi matin, dans la perspective du Grand Prix de France qui se déroule au Castellet, sur le circuit Paul Ricard, les ingénieurs courent d’un moteur à un châssis et le staff des différentes écuries file d’une réunion à l’autre.

Ce sont des hommes, pour la grande majorité d'entre eux. Parmi les pilotes, aucune femme ne prendra le départ dimanche. En coulisses, elles ne sont pas beaucoup plus nombreuses. Dans le motorhome* d’une des écuries, une femme, pourtant, enchaîne les rendez-vous et les réunions en visio avec ses autres équipes. Elle s’appelle Claire Mesnier et c’est la DRH d’Alpine, une entreprise plutôt particulière. Filiale à 100% du groupe Renault, la marque Alpine fabrique des voitures de série (la berlinette A110), mais elle dispose aussi d’une l’écurie de F1 qui porte son nom. Et la répartition des effectifs est plutôt sportive :

Sur les 1 800 collaborateurs d’Alpine, 1 200 travaillent pour la Formule 1.
Claire Mesnier, DRH d'Alpine

Elle consacre logiquement plus de temps au team (c’est ainsi qu’on appelle l’écurie) qu’à l’usine qui produit les autos de tous les jours.

Une DRH qui se coupe en quatre

Pour autant, faut-il être tombée dans la marmite automobile pour travailler dans le saint des saints, la discipline reine du sport auto, à savoir le championnat du monde de Formule 1 ? « Pas vraiment. En fait, je suis rentrée aux RH chez Renault en 2001, directement après mes études, plus pour son côté laboratoire social français, que par passion pour la vitesse ». Un ange passe, à la silhouette de Jean-Paul Sartre, debout sur un baril devant l’entrée de Boulogne-Billancourt.

L’univers de la performance et du chrono, l’ex diplômée d’HEC puis d’un 3e cycle RH de Paris-Dauphine le découvre vingt ans après ses débuts dans le groupe : début 2021, lorsque Luca De Meo, le nouveau boss du groupe lui confie les ressources humaines d’Alpine, qu’il vient alors de faire entrer dans le grand cirque de la Formule 1.

Depuis, elle se partage en trois et même en quatre, naviguant entre le siège de l’écurie à Enstone dans l’Oxfordshire britannique où sont fabriquées les F1et où sont conçus leur aérodynamique et leur châssis, mais aussi Viry-Châtillon, dans l’Essonne, où sont créés les moteurs. Des allers-retours auxquels s’ajoutent les visites régulières à l’usine de Dieppe, où sont assemblées les Alpine de série. « De plus, je suis présente sur une dizaine de grands prix tout au long de la saison. »

Elle chasse tous les profils sauf les pilotes

 

Par amour du sport ? « Pas seulement. On ne recrute pas les ingénieurs de piste sur Cadremploi », sourit cette pragmatique. C’est dans les paddocks que les liens se nouent et que les bons candidats sont approchés, souvent en provenance d’autres écuries. Mais aussi à l’extérieur. Car dans ce milieu ultra fermé, seuls 60 professionnels sont autorisés à être présents à chaque course et dans chaque team, selon le règlement de la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile), et pas un de plus. Ce qui limite le nombre de candidats à la débauche. Claire Mesnier est chargée de les recruter, eux, comme le team manager, un rôle aujourd’hui tenu par le roumano-américain Otmar Szafnauer. Seul le recrutement des pilotes lui échappe : « Ils ne sont pas salariés, ce sont des contrats commerciaux qui les lient aux écuries ».

Une chance pour elle ? Elle ne s’aventure pas sur le sujet. Mais étant donné le houleux feuilleton de l’été qui a secoué Alpine, et qui a débuté par le départ de Fernando Alonso chez Aston Martin, qui a continué par l’adoubement de l’Australien Oscar Piastri, avant que celui-ci ne signe avec Mc Laren, la DRH doit être plutôt soulagée que Laurent Rossi, le directeur-général de la marque gère ces contrats en direct.

 

Fernando Alonso au Grand Prix de France 2022. Photo Michel Holtz ©Cadremploi

La concurrence des Gafam

Elle n’en est pas moins occupée, car même en F1, qui est, à priori, un job de rêve pour les fans du genre parmi les ingénieurs, le turnover existe. « Il est de l’ordre de 10 à 12% dans notre écurie ». Des cadors qu’il faut remplacer rapidement sans parler des nouveaux qui doivent les rejoindre. Car les effectifs doivent augmenter pour répondre aux nouvelles ambitions du groupe : faire d’Alpine le champion du monde de F1 en 2026.

Que manque-t-il à l’écurie pour le devenir ? « La différence de chrono entre nos autos et les meilleures correspond aujourd’hui à un battement de cils » résume Otmar Szafnauer, son team manager. Des microsecondes qui nécessitent de substantiels investissements en matériel, mais aussi en compétences humaines, et ce dernier point est du ressort de la DRH. En plus des ingénieurs autos, elle recrute également des informaticiens. Un domaine dans lequel il ne doit pas être très difficile d’attirer les meilleurs lorsque l’on est classé 4e au championnat du monde des constructeurs ? « Pas forcément, car on est en concurrence avec les Gafam ». Même les écuries en tête ont du mal à attirer ces as.

Recruter des femmes pour vendre des voitures aux femmes

L’objectif F1 n’est pas le seul figurant sur la feuille de route que Luca de Meo a confié à Claire Mesnier. Elle doit aussi féminiser la marque. Pour de nobles raisons post-#Metoo ? Pas seulement. « Dans notre clientèle, il n'y a que 7 % de femmes, c'est moins que chez Porsche », une marque pourtant connue pour ses autos viriles.

Alors la DRH s’emploie à recruter des filles, en F1, comme à l’usine de Dieppe, pour que d’autres femmes s’identifient à elles, et qu’elles soient convaincues que les Berlinettes sont aussi des autos pour elles. Une nouvelle clientèle dont Alpine a bien besoin. A Dieppe, sont produites chaque jour neuf modèles A110, alors que la capacité de production de l’usine est de trente voitures quotidiennes.

Au bout d’un an et demi, l’effort de féminisation commence néanmoins à porter ses fruits. Aujourd’hui, le directeur de Dieppe est une directrice, et une dizaine de femmes travaillent dans le paddock. Comme Ellie Williams que Claire Mesnier a recruté l’an passé chez Lotus. Elle est en charge des pièces aérodynamiques des voitures de Fernando Alonso (jusqu’à la fin de la saison) et d’Esteban Ocon. Pendant la course, c’est elle qui est aux commandes des arrêts aux stands, donnant aux garçons chargés de changer les pneus, le feu vert qui autorise les pilotes à repartir en course.

 

Elie Williams, Photo DR ©Apine

Recruter dans d’autres secteurs d’activité

Dans l’auto, on compte 2% de filles dans les formations de base, 8% dans les meilleures écoles.

Mais cette féminisation de la profession n’est pas évidente. Les grandes écoles ? « À l''Estaca, la grande école d'ingénieurs en mécanique française, il n'y a que 8 % de filles ». Et dans les CAP, BEP, Bac pro et BTS spécialisés qu’elle recrute pour l’usine, c’est pire : « Elles sont à peine 2% ». Alors, lorsqu’elle le peut, elle va les débaucher ailleurs, pour la F1 comme pour la production de série. L’une des responsables logistiques du team vient de chez L’Oréal, l’autre a été débauchée chez Amazon. Car la logistique en F1, est un casse-tête, un énorme cirque ambulant de 60 personnes, de matériel et d’infrastructures démontables qu’il faut déplacer à travers la planète, de Bahrein à Melbourne et de Montréal à Sao Paulo. Alors, en plus de ces recrutements plus mixtes qu’avant, et pour sensibiliser plus encore les filles, Claire Mesnier a monté l’opération Rac(H)er.

Son but ? Susciter les vocations et les talents de pilotes des filles, dès 11 ans, en karting, pour les encourager à aller plus loin, à les pousser vers les écoles d’ingénieurs et les écoles de pilotage, jusqu’en F1, pourquoi pas. En parallèle, elle travaille avec une université britannique qui souhaite étudier les spécificités féminines en matière de pilotage au travers de leurs capacités cognitives. La vieille rengaine qui nous répète que les femmes savent faire plusieurs choses en même temps, contrairement aux hommes, ce qui est une qualité nécessaire dans un baquet de course, sera-t-elle établie ? Réponse dans quelques temps. Quant au couronnement d’une femme championne du monde de Formule 1, il faudra attendre encore un peu plus longtemps. Le temps que les fillettes en karting deviennent de grandes pilotes.

* Lexique :

  • Paddock : c’est la zone du circuit où les équipes travaillent, derrière la piste et les stands.
  • Motorhome : dans le paddock, c’est la partie non mécanique du garage, installées par les écuries (tout est démontable). Ces infrastructures regroupent des parties bureaux mais aussi des logements, une partie restauration. On peut même y faire la fête...
Michel Holtz
Michel Holtz

Journaliste économique et social, Michel Holtz scrute les tendances de l’emploi, du management et de la vie professionnelle des cadres, toujours à l’affût des nouveaux outils et des dernières transformations de la vie au travail.

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