Commerciaux : bientôt le grand remplacement ?

Aurélie Tachot

FUTUR DES METIERS – Après chaque crise, les regards se tournent vers la fonction commerciale. Aux vendeurs de nous remettre sur le chemin de la croissance ! Mais en sont-ils encore capables ? Aucune provocation dans cette question mais au contraire une crainte : face à la montée en puissance des outils de vente automatisée et confrontés à de nouveaux comportements d'achat, les commerciaux réussiront-ils à s’adapter ? Leur carence en compétences, notamment digitales, ne risque-t-elle pas de les rendre obsolètes ? Les IA, qui les ont déjà remplacés dans les phases d’avant-vente, vont-elles les augmenter ou les "grand remplacer" dans les prochaines années ? Nous avons interrogé des spécialistes des métiers de la vente et des experts des comportements d’achat. Eléments de réponse en attendant vos contributions.
Commerciaux : bientôt le grand remplacement ?

Ils témoignent

  • Martin Villelongue, Executive Director au sein du cabinet de recrutement Michaël Page, en charge de la division commerciale
  • Didier Perraudin, fondateur du cabinet de recrutement Uptoo, spécialisé dans les métiers de la vente
  • Isabelle Rouhan, présidente de l’Observatoire des métiers du futur et auteure du livre « Les métiers du futur »
  • François Pichon, Marketing Lead EMEA au sein de l’éditeur d’outils de sales enablement Seismic

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Les comportements d’achats évoluent

La crise du Covid-19 a profondément bouleversé les modes de consommation des Français. Depuis les confinements et avec le développement du télétravail, la part des achats sur Internet progresse à vitesse grand V.  Selon la Fédération de l’e-commerce (Fevad), la part des ventes en ligne dans le commerce de détail est par exemple passé de 9,8 % à 13,4 % en 2020. Et ce n’est que le début.

L’autre phénomène, également lié à la pandémie, c’est que les Français sont moins accros au shopping qu’avant. Une étude menée en juin 2020 par la société de conseils C-Ways révèle que 53 % souhaiteraient moins consommer.

Isabelle Rouhan
Isabelle Rouhan

Dans un contexte où les Français font de plus en plus leurs achats sur Internet – lorsqu’ils achètent – l’avenir des commerciaux (notamment B to C) est-il compromis ? La question est légitime, d’autant que ces profils sont en première ligne dans la relance économique des entreprises.

En réalité, la fonction commerciale n’est pas en péril. Mais ceux qui l’exerceront sans s’adapter aux nouveaux phénomènes, ou pas assez vite, risquent gros. « Il n’y aura pas moins de commerciaux à l’avenir. Cependant, ils travailleront différemment et pourront ainsi monter en compétences », estime Isabelle Rouhan, présidente de l’Observatoire des métiers du futur.

 

Des compétences en risque d’obsolescence

Aujourd’hui, les cadres commerciaux disposent de compétences qui ne sont pas tout à fait alignées avec celles requises par les employeurs. Une étude menée en novembre 2021 par le cabinet de recrutement Uptoo avec Opinionway jetait un pavé dans la mare.

Selon cette étude, seul un tiers des professionnels de la vente s’estimait suffisamment formé pour faire face aux évolutions du métier. 61 % disaient vouloir être accompagnés dans la digitalisation de leurs pratiques.

Didier Perraudin
Didier Perraudin

« Ce décalage de compétences s’explique par plusieurs facteurs dont le manque de formations commerciales. Les écoles de commerce se sont toutes transformées en école de management. Résultat : aucune ne forme à la vente et à ses fondamentaux, à l’exception de quelques écoles disruptives comme Rocket School ou IconoClass », explique Didier Perraudin, PDG d’Uptoo.

 

Pour tenir leurs compétences à jour, les commerciaux doivent compter sur eux-mêmes. C’est d’autant plus vital que la fonction caracole, chaque année, en tête des profils les plus recherchés. « En France, les besoins de commerciaux sont toujours volumiques, que ce soit pour les premiers niveaux de vente ou les cadres, dans le BtoB ou le BtoC », confirme Martin Villelongue, Executive Director chez Michaël Page.

  

Outils technologiques : aide ou menace ?

En mal de compétences digitales dans un contexte où elles deviennent justement incontournables, les cadres commerciaux sont donc en danger. Enfin c’est ce qu’on pourrait croire. « Les entreprises ont des enjeux complexes à adresser, du fait de l’inflation causée par la pandémie. Il leur sera donc difficile de garder les commerciaux qui seront en sous-performance », admet Didier Perraudin.

Pour autant, cela ne signifie pas qu’ils seront jetés aux oubliettes. Et pour cause : les outils technologiques qui déferlent aujourd’hui dans les entreprises sont majoritairement des outils d’aide à la vente. Ils ne constituent pas une menace pour la fonction commerciale.

« Ces outils facilitent le job plus qu’ils ne le menacent. Puisqu’ils agrègent un grand volume de datas, ils permettent par exemple aux commerciaux de gagner du temps dans la phase de prospection et dans l’analyse de leur portefeuille clients. Ces outils sont vertueux pour les commerciaux : ils les aident à monter leur niveau de jeu, donc leur rémunération », analyse Didier Perraudin.

 Ils leur permettent par ailleurs de se concentrer sur leur vraie valeur ajoutée : « la négociation, la vente de services additionnels et le relationnel », selon Martin Villelongue.

 

Qui sera remplacé par un chatbot ?

À l’inverse des cadres, les fonctions commerciales de premier niveau liées à la prise de commande et à l’administration des ventes sont d’ores et déjà remplacés par les outils de vente automatisée.

« Les premières étapes de la vente, liées au renseignement du client ou à son orientation, qui étaient jusqu’ici menées par des téléopérateurs ont été digitalisées et sont menées par des chatbots », admet Didier Perraudin. Pourtant, ces profils d’opérateurs ne sont pas en voie d’extinction non plus.

Martin Villelongue
Martin Villelongue

« Toutes les entreprises du e-commerce développent l’équivalent d’un « service client » pour répondre aux questions des internautes, organiser les retours d’articles, gérer les litiges... Les téléconseillers et les téléopérateurs sont attendus sur ces postes. D’autant plus que c’est souvent par l’efficacité du service client que les utilisateurs jugent la qualité d’un site e-commerce », assure Martin Villelongue de Michaël Page.

Les nouveaux comportements des consommateurs encouragent même les entreprises à créer des métiers inédits. « Nous voyons émerger le poste d’animateur de market place, qui a pour rôle de créer du business incrémental sur une place de marché », illustre Isabelle Rouhan.

 

La balle est (aussi) dans le camp des entreprises

François Pichon
François Pichon

Les entreprises ont un rôle important à jouer dans la montée en compétences de leurs forces commerciales. Or, « peu disposent en interne d’une offre de formations suffisante au regard des enjeux. Celle-ci est souvent pilotée à l’année, de manière monolithique. Elle mériterait d’être davantage conçue à la demande », estime François Pichon, Marketing Lead EMEA chez Seismic.

« Les entreprises doivent transformer leurs commerciaux, les aider à mettre en place les bonnes méthodes de vente », confirme Didier Perraudin. Mais aussi les former sur l’usage des datas. « Les outils CRM permettent aujourd’hui de modéliser des ventes au travers de datas, souvent de manière fine et prédictive. C’est une opportunité pour les commerciaux d’accentuer leurs chances d’opportunité d’affaires, à condition qu’ils sachent décrypter ces données », précise-t-il.

Exit le temps où le commercial improvisait, sans véritable technique de vente. Le commercial 3.0 doit être connecté, « data driven » et avoir les « bonnes » soft skills « qui, contrairement aux compétences techniques, n’ont pas de durée de vie », rappelle Isabelle Rouhan.

D’autant que demain, de nouveaux challenges ô combien plus pointus attendent les commerciaux, notamment celui de vendre dans le métavers.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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