Transposer ses “game skills” au travail : les conseils de recruteurs eux-mêmes "gamers"

Aurélie Tachot

Exit l’image du gamer accroché à ses manettes, sédentaire et désocialisé. Si les fans de jeu vidéo intéressent désormais les recruteurs, c’est parce qu’ils développent des soft skills qui leur sont propres comme la concentration, la pugnacité ou la gestion de conflits. Des compétences qui valent de l’or dans le monde professionnel... Comment les valoriser auprès d’un recruteur ? Comment les transposer dans son poste ? Les réponses de quatre experts, eux-mêmes adeptes du gaming.

Oyez, oyez gamers et gameuses ! Ne cachez plus votre loisir préféré, car vos talents valent de l'or aussi au boulot. Des recruteurs eux-mêmes adeptes des jeux video, donnent leurs conseils pour aborder ces "game skills" sur le CV et en entretien.

Transposer ses “game skills” au travail : les conseils de recruteurs eux-mêmes "gamers"
Oyez, oyez gamers et gameuses ! Ne cachez plus votre loisir préféré, car vos talents valent de l'or aussi au boulot. Des recruteurs eux-mêmes adeptes des jeux video, donnent leurs conseils pour aborder ces "game skills" sur le CV et en entretien.

Ils témoignent

  • Lionel Azran, Talent Acquisition Manager au sein du groupe de prêt-à-porter Céline, 
  • Léo Bernard, formateur en recrutement et co-fondateur de Blendy (ex-bootcamp T-Shaped Recruiter)
  • Ambre Meyer, Talent Acquisition Specialist pour le studio de création de jeux Quantic Dream,
  • Léo Fichet, CEO de l’éditeur de la solution d’assessment par le jeu vidéo Yuzu.

Le gaming améliore les performances cognitives

Si, pendant longtemps, les jeux vidéo ont eu une mauvaise réputation, notamment celle de favoriser des comportements agressifs, ils font désormais l’objet de recherches permettant de démontrer le contraire.

Une étude américaine publiée en octobre 2022 relève par exemple une amélioration des performances cognitives des gamers. Concrètement, ces derniers développeraient de meilleures capacités concernant la mémoire, l’organisation, la gestion de conflits... que les non-joueurs.

Pendant le jeu, le gamer développent des perceptions et une attention très spécifiques : il doit entre autres suivre plusieurs objets en même temps, être capable de rapidement changer d'attention ou avoir une vision périphérique.

Léo Bernard

En réalité, le panel de jeux disponibles sur le marché étant large, les compétences développées le sont tout autant. « Un gamer ne développera pas les mêmes compétences s’il joue seul ou à plusieurs, s’il choisit des jeux ayant des marges de progression ou non », rappelle Léo Bernard, co-fondateur du bootcamp Blendy (ex-T-Shaped Recruiter).

Lionel Azran

Leur façon de jouer a, elle aussi, un impact. « Sur un même jeu, par exemple « The Legend of Zelda », certains joueurs font du speed running et cherchent à le terminer le plus vite possible tandis que d’autres sont complétistes et veulent tout découvrir », illustre Lionel Azran, Talent Acquisition Manager au sein du groupe Céline. Mais globalement, les gamers font preuve de créativité, de capacités d’adaptation et d’appétence dans la résolution de problèmes complexes. Plus spécifiquement, les jeux de stratégie améliorent la persévérance et la prise de décision des joueurs tandis que les jeux d’équipe boostent leur esprit de collaboration et leur communication

Des « game skills » utiles pour certains postes ?

Les qualités développées par le gaming sont particulièrement pertinentes pour certains postes, selon Lionel Azan : « Un directeur commercial qui est adepte d’un jeu aussi répétitif que « Call of Duty » montrera une certaine forme de patience et de ténacité s’il doit, dans son poste, appeler ses clients tous les jours. »

Pour les postes de cadres dans le marketing, la gestion de la data, être un gamer peut également être un atout. « Certains joueurs visionnent leurs parties a posteriori, en replay, pour comprendre leurs erreurs et pouvoir progresser. Or, l’esprit analytique est une compétence recherchée », illustre Léo Bernard. 

L’appétence d’un gamer pour un jeu est toutefois une information à prendre avec des pincettes. Un joueur de « World of Warcraft » sachant créer un grand nombre de troupes ne sera pas forcément un bon manager. 

Par ailleurs, les compétences que développent les gamers ne sont pas si facilement transposables. « Tout au long d’une partie, les joueurs reçoivent des mini-récompenses qui boostent leur sécrétion d’endorphines. Dans le monde du travail, les circuits de récompense sont quasiment absents. Ce décalage peut être perturbant », tempère Lionel Azran.

Les “game skills” vus par des recruteurs-gamers 

Adepte des jeux d’exploration comme « Uncharted » et des jeux d’aventure comme « The Last of Us », Lionel Azran pense avoir développé une hauteur de vue au fil de ses parties. « Dans mon univers professionnel, ma pratique du gaming m’apporte beaucoup : elle me permet de réfléchir « out of the box » et de prendre de la hauteur. Elle me pousse à prendre un problème par un autre bout pour tenter de le résoudre, comme lorsque je suis coincé dans un jeu », témoigne-t-il. 

En plus d’avoir appris l’anglais écrit par le biais de « League of Legends » et « Guild Wars », Léo Bernard a, pour sa part, développé son esprit critique.

Les jeux vidéo nourrissent mon imaginaire, ma créativité. Lorsque je travaille, j’arrive désormais à croiser des choses qui, sur le papier, ne sont pas cohérentes. À force de résoudre des énigmes dans « The Legend of Zelda », j’ai une aisance pour trouver des solutions disruptives, pour sortir des clous, pour penser en dehors du cadre », confie-t-il. En parallèle, sa pratique du jeu lui a permis d’apprendre à mieux relativiser. « Étant habitué à faire des jeux difficiles, par exemple le rogue-lite « Hadès » je sais analyser mes échecs et rebondir rapidement.
Léo Bernard, formateur en recrutement et co-fondateur de Blendy (ex-bootcamp T-Shaped Recruiter)
Ambre Meyer

Pour Ambre Meyer, Talent Acquisition Specialist pour Quantic Dream, la pratique du gaming a boosté sa créativité. « Depuis que je joue, je suis confrontée à des scénarios différents, qui se déroulent parfois en dehors de la réalité. Au fil des années, cela m’a permis de doper ma créativité. Aujourd’hui, je suis sans cesse en train de chercher de nouvelles méthodes de recrutement. Récemment, j’ai par exemple utilisé ChatGPT pour trouver des entreprises concurrentes susceptibles d’employer les profils que je recherche. »

Faut-il l’aborder dans son CV et en entretien ?

Les candidats gamers peuvent tout à fait aborder leurs performances de jeu dans leur CV ou lors de leur entretien d’embauche. À condition, toutefois, que ces dernières soient vraiment dignes d’intérêt. « Un candidat qui serait un « casual gamer », c’est-à-dire qui jouerait de temps en temps à Mario Kart, n’a pas grand intérêt à le préciser. Ça aurait le même impact que d’indiquer aimer les voyages dans la rubrique « hobbies » de son CV. Par contre, un candidat qui pratiquerait du jeu vidéo en compétition doit en parler car ça dit beaucoup de choses sur sa personnalité », estime Léo Bernard. 

Léo Fichet

Un avis partagé par Léo Fichet, CEO de l’éditeur Yuzu. « Un candidat qui précise avoir terminé le jeu « Assassin’s Creed » en 7h32 se démarquera à coup sûr », assure-t-il. 

Léo Bernard se souvient d’un jeune candidat qui avait osé en parler au cours de son entretien. « Il n’avait aucune expérience en matière de gestion de projet, si ce n’est qu’il gérait un club d’e-sport. Son rôle était de trouver des sponsors, de financer les compétitions, d’encadrer des joueurs, de trouver les bonnes stratégies... Il a eu raison d’aborder le sujet car les compétences qu’il avait développées étaient proches de celles des entrepreneurs », raconte-t-il.

Attention, le gaming ne fait pas l’unanimité chez tous les recruteurs

Soyons réalistes, même si 53 % des Français joueraient régulièrement aux jeux vidéo selon l’Edtech Skilleo, seuls les recruteurs passionnés seront véritablement sensibles aux candidats faisant référence à leurs prouesses dans le monde du gaming. « Les autres pourraient percevoir cette activité comme enfantine », concède Lionel Azran. 

Avant d’aborder le sujet en entretien, mieux vaut d’abord « jauger » son interlocuteur et s’adapter à l’univers dans lequel il évolue, au risque de passer pour un « geek ». Sans faire de raccourci, les cadres visant les secteurs où le formalisme est de rigueur comme la comptabilité, la finance, le secteur public... doivent donc la jouer fine. 

Léo Fichet, qui commercialise une solution d’assessment par le jeu vidéo, constate tous les jours que les clichés ont la vie dure. « Même si les mentalités évoluent, il est difficile de faire accepter à des profils de financiers de se faire recruter via des jeux vidéo, souvent pour une question d’égo. Malgré le nombre de joueurs qui est en nette progression, le gaming est encore parfois victime du délit de sale gueule », regrette-t-il.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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