
- Comment la maternité entrave grave la carrière des femmes cadres ?
- L’annonce de la maternité vécue comme un problème par les femmes cadres
- Les femmes cadres restent connectées à leur boulot durant leur congé maternité
- Le retour de congé maternité mal préparé, mal vécu et donc délétère pour la carrière des femmes cadres
Comment la maternité entrave grave la carrière des femmes cadres ?
Si une femme cadre continue de gagner 15% de moins qu’un homme (et 7% à profil et poste équivalents), c’est aussi à cause de la maternité. D’abord parce que 47% des femmes ne reprennent pas leur boulot après un congé maternité révèle une étude de l’Apec*, publiée le 8 février dernier. Un chiffre ahurissant !
Et pendant ce temps-là, les hommes continuent de progresser dans leur job et augmentent de facto leur rémunération. En résumé, quand elles s’arrêtent pour leur maternité, c’est souvent la période durant laquelle leur carrière devrait décoller. Absentes des écrans radars, elles passent de facto leur tour et… on connait la chanson.
Quand elles reprennent une activité professionnelle, cela n’est pas beaucoup plus simple pour les femmes en réalité. Charge mentale à la maison, envie d’être une super woman partout et tout le temps (les fameuses injonctions sociales), moins d’horaires à rallonge, elles sont perçues comme moins investies dans leur job, donc pas les premières à qui on pense pour une promotion. Et sans promotion, pas (ou peu) d’augmentation de salaire.
L’annonce de la maternité vécue comme un problème par les femmes cadres
Le bug avec la maternité dans le cadre professionnel commence dès l’annonce de la bonne nouvelle. « L’annonce au manager constitue un premier temps fort, souvent perçu comme angoissant et qui n’a pas de cadre prédéfini. Beaucoup de futures mères cadres ont la sensation d’une mauvaise nouvelle à annoncer. Certaines éprouvent même un sentiment de trahison vis-à-vis de leur entreprise. Elles savent que la façon dont cette nouvelle sera accueillie par leur hiérarchie peut avoir une valeur prédictive concernant la suite de leur parcours professionnel », souligne les auteurs de cette étude Apec.
Alors les femmes déploient des stratégies pour limiter la casse. Elles cherchent à planifier cette annonce, par exemple après la période d’essai, la période des augmentations salariales ou des promotions, pour conserver au maximum leurs avantages. Mais aussi pour ne pas mettre l’entreprise en difficulté.
Aussi, j’ai mis du temps à annoncer que j’étais enceinte, j’avais l’impression de leur faire un truc pas bien, j’ai dit : ne vous inquiétez pas, je serai là, je ne vous lâcherai pas.Consultante en recrutement, 31 ans, 1 enfant [Extrait de l'étude Apec]
Les femmes cadres restent connectées à leur boulot durant leur congé maternité
Passée l’annonce et les premiers mois de grossesse, vient le temps du congé maternité. « Malgré une évolution des conditions de travail, des mentalités, des réglementations, la maternité reste généralement perçue comme un contretemps dans la relation de la femme cadre avec son employeur. Dans certaines entreprises, le congé maternité est traité comme un moment atypique et souvent réduit à une absence pénalisante, un problème à régler, au lieu d’être considéré comme une étape logique et prévisible du parcours professionnel des femmes », résume l’étude. Une absence … mais avec un fil à la patte.
En congé mater, certaines femmes cadres continuent à assurer le suivi des e-mails, des clients, des visios… Tout ça allant à l’encontre de l’obligation légale de ne pas travailler durant cet arrêt de travail.
Comment les futures mères le vivent-elles ? « Comme un abus ou une intrusion (parfois à la limite du harcèlement). Il leur est aussi parfois difficile de “lâcher” leur travail, surtout quand elles ne sont pas remplacées ou que le remplacement se passe mal. Pour les futures mères cadres managers, cette injonction est encore plus forte », constate l’Apec.
Je me souviens, je me suis arrêtée à 7 mois et deux semaines avant mon accouchement, j’envoyais encore du travail, on me disait cela te fera oublier les douleurs, donc je bossais… Après il n'y a pas eu de reconnaissance, mais je vivais bien ma grossesse.Cadre commerciale, manager, compagnie aérienne, 40 ans, 2 enfants [Extrait étude Apec]
Ma remplaçante m’appelait tous les jours, c’était presque du harcèlement.Analyste sécurité, manager, assurance, 35 ans, 2 enfants
Le retour de congé maternité mal préparé, mal vécu et donc délétère pour la carrière des femmes cadres
J’ai eu un mail récap de mon collègue des choses en cours à mon retour mais personne n’est venu me voir, ni mon collègue, ni mon nouveau directeur, on n’a jamais eu de vrai échange, je n’ai pas du tout eu d’accueil. Ça été très difficile à vivre.Responsable RH, commerce, 48 ans, 1 enfant [Extrait de l'étude]
Les premiers jours après le retour de congé maternité
Pour leurs managers et autres collègues, c’est business as usual. Donc ils attendent de la nouvelle mère qu’elle reprenne son boulot comme avant. Sauf que pour elle, ce n’est pas la même histoire.
« Dans un environnement qui a parfois évolué, les mères cadres ne reviennent pas simplement reprendre leur poste. Elles doivent naviguer à vue, s’efforçant de se mettre au courant, de rattraper le temps passé, de parer au plus urgent, de retrouver des repères et des réflexes et de renouer des liens avec leurs collègues », souligne l’Apec.
Une expérience déroutante pour ces mères car non préparées par les employeurs. 71 % des femmes cadres ayant pris un congé maternité dans les dix dernières années considèrent que les entreprises ne s’impliquent pas suffisamment pour favoriser le retour des femmes au travail. Absence d’entretien de retour (pourtant obligatoire), omission de transmission des nouveaux codes d’accès, absence de débriefing des changements qui ont eu lieu pendant le congé maternité, absence de formation pour les nouveaux supports et logiciels informatiques, etc. « Par ailleurs, certaines mères cadres ne sont plus tenues au courant de décisions stratégiques, comme si elles devaient « payer » le fait d’avoir été absentes. D’autres peuvent le vivre comme une obligation de « se rattraper », de donner des gages, de montrer des signes que leur performance est restée intacte », relève l’étude.
Un retour avec double dose de charge mentale
J’étais contente de reprendre et j’étais un peu triste de laisser mon bébé, tout petit, on l’a toute la journée dans les bras… On culpabilise un peu. Il y a une petite schizophrénie, effectivement, j’étais globalement contente d’y retourner, je voulais revoir mes collègues et en même temps, le moment de prendre le métro on se dit dans combien d’heures je retrouve mon petit bout. Oui, il y a deux viesCheffe de projet partenariat, association privée, 41 ans, 1 enfant [Extrait de l'étude Apec]
Le challenge pour les femmes est d’articuler leur maternité et vie personnelle avec leur projet professionnel. On vient de le voir, les entreprises ne sont pas nécessairement aidantes sur le sujet mais elles ne sont pas les seules responsables de cette situation. La charge domestique à la maison est encore trop exclusivement féminine.
Remplacées ou pas, les femmes de retour de congé maternité prennent cher
Si elles ont été remplacées durant leur congé maternité, « les mères cadres prennent conscience de leur caractère substituable sachant qu’une part d’entre elles éprouvent des difficultés à retrouver leur place à leur ancien poste (44 %) » selon l’Apec. « Si le remplacement s’est déroulé dans de bonnes conditions, le risque est plutôt celui de ne pas récupérer son poste initial à son retour, avec, pour les mères cadres, un sentiment d’injustice et de dévalorisation du travail fourni. Dans certains cas, le remplacement bienveillant par les collègues peut être vécu comme une culpabilisation ou entraîner une détérioration des relations de travail ».
Si elles n’ont pas été remplacée (dans 65% des cas selon l’étude Apec) ou mal : le risque est celui d’un retour anticipé ou d’une surcharge de travail au retour avec le danger d’un épuisement pour la reprise de poste.
Remplacées ou pas durant leur absence, les femmes reviennent au boulot avec des priorités supplémentaires (leur enfant) et peuvent parfois avoir le sentiment d’être devenue étrangère dans leur entreprise et une perte de capacité qui la fait se sentir débutante et inutile. « Elle peut se retrouver bloquée dans l’exécution de son travail et est susceptible à terme de subir des situations iniques : une invisibilisation progressive, une placardisation, voire une disqualification financière », insistent les auteurs de l’étude Apec.
Un congé maternité qui n’en finit pas de peser sur la carrière des femmes cadres
74 % des mères cadres considèrent que le congé maternité ralentit la progression hiérarchique des femmes pendant plusieurs années. « Une partie des femmes interrogées évoquent un intérêt réduit pour la suite de leur carrière professionnelle, l’expliquant par une maternité ou un retour difficiles ou par le fait de se vivre d’abord ou essentiellement comme des mères. Elles accordent donc la priorité à leur vie personnelle et optent dans leur parcours professionnel pour une pause qui peut s’éterniser », note l’étude. A cela s’ajoute évidemment les stéréotypes de genre et tous les clichés au tour de la femme-mère réputée moins dispo, moins engagée, moins « tout et son contraire »… Bilan, les organisations, encore très souvent pilotées par des hommes, les sortent de facto des viviers des potentiels à faire grimper. Pour peu qu’elles enchainent des grossesses successives, alors là, elles deviennent parfois carrément transparentes. Il est d’ailleurs fréquent à ce moment-là de leur carrière, les femmes se lancent dans une reconversion professionnelle.
* Etude "Le retour de congé maternité des femmes cadres Des difficultés et trop peu d’accompagnement", Apec 8 février 2024
Méthodologie : les analyses de cette étude reposent sur
- Une enquête qualitative menée en juin 2023 par la société Sorgem auprès de mères cadres : 12 entretiens individuels d’1h30, 6 focus groupes assortis de carnets individuels.
- Une enquête quantitative en ligne menée en janvier-février 2023 par la société CSA auprès de 12 400 cadres en poste dans le secteur privé : 840 femmes cadres ayant eu au moins 1 enfant au cours des 10 dernières années (2011-2022) ont pu être spécifiquement interrogées sur le congé maternité.
Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.