Covid-19 et entretien d’embauche : peut-on garder son masque ?

Sylvia Di Pasquale

TEMOIGNAGES – A partir d’aujourd’hui, l’obligation de porter un masque dans les lieux publics clos entre en vigueur. Sauf que les entreprises étant des lieux privés, elles ne sont pas concernées par ce futur décret. Que va-t-il se passer pour un candidat invité à passer un entretien d’embauche et qui ne veut prendre aucun risque ? Peut-il garder son masque pendant tout l’entretien ? Et que faire si le recruteur lui demande d’enlever son masque afin de voir les expressions de son visage ? Témoignages de candidats et de recruteurs.
Covid-19 et entretien d’embauche : peut-on garder son masque ?

Face au risque de reprise de l'épidémie de Covid-19, Jean Castex a décidé d’imposer le port du masque dans les lieux publics clos dès cette semaine. Pour autant, le Premier ministre n’a pas inclus les entreprises privées dans cette obligation. Et pour cause : elles ne sont pas considérées comme des lieux accueillant du public et ne seront pas concernées par le futur décret. Le chef du gouvernement l’a précisé dans un entretien avec les lecteurs du Parisien, invitant les entreprises à « gérer au cas par cas, en fonction des situations. » C’est donc le protocole sanitaire national de déconfinement imposé par le ministère du Travail depuis le 11 mai dernier qui est encore et toujours appliqué dans les entreprises depuis ce lundi. Selon ce même texte, le port du masque n’est pas obligatoire. A la condition que l’entreprise respecte les mesures barrière. Sauf que ces mesures ne sont valables que pour les salariés. Mais quid des visiteurs ? Et quid des candidats qui viennent passer un entretien d’embauche ? Pour ces derniers, deux cas de figure se présentent :

L’entretien d’embauche peut se faire à distance

« Nous laissons le choix au candidat, explique Guillaume Saintagne, le directeur recrutement et marque employeur de Mirakl (éditeur d'un logiciel de marketplace). S’il préfère passer tous ses entretiens en visio, pas de souci. C’est ce que nous faisions déjà pendant le confinement. Jusqu’à présent, nous avions autant de candidats qui venaient que d’autres qui préféraient ne pas venir. »

Notre série d’interviews « Paroles de pro » le confirme : par temps de coronavirus, les premiers entretiens se font de plus en plus systématiquement à distance, par visioconférence. Chez soi, la question du port du masque ne se pose donc pas. Néanmoins, après plusieurs entretiens, il peut être utile de se voir, comme l’explique Marie-Claire Lemaître, directeur général du cabinet Mercuri Urval.

En phase finale, les entreprises vont rouvrir leurs portes aux candidats car ne pas se voir du tout, rajoute de l’incertitude chez les employeurs mais aussi chez les candidats.
Marie-Claire Lemaître, directeur général du cabinet Mercuri Urval
Delphine Ménager, NatUp

Une préférence pour le présentiel exprimée par les managers qui recrutent chez Nat’Up, une ETI coopérative du secteur agricole aux 1700 salariés : « La situation est inédite pour tout le monde , explique Delphine Ménager, sa chargée de recrutement et des relations écoles, alors on s'adapte. Nous avons réussi à recruter intégralement à distance pendant le confinement. Mais maintenant qu'on a le choix, c'est vrai que nos managers préfèrent rencontrer les candidats pour les derniers entretiens. Et les candidats préfèrent aussi venir. » La coopérative recrute au rythme de 10 personnes par mois en moyenne, y compris cet été.

L’entretien d’embauche se déroule en entreprise

Pour le dernier entretien donc, la présence du candidat dans les locaux de l’entreprise peut être de mise, avec sa question corollaire : faut-il, oui ou non, porter un masque ? Car il n’en va pas seulement du bon respect des règles sanitaires. Le port du masque efface la plupart des expressions du visage qui sont autant de données importantes dans un entretien de recrutement, à la fois pour le recruteur mais aussi côté candidat. Reste à déterminer de quelle manière un candidat peut et doit réagir lorsque son interlocuteur lui demande de tomber le masque.

Accepter de tomber le masque lorsque les conditions sont réunies

« Ça m’est arrivé alors que nous étions dans une salle de réunion à environ 2 mètres l’un de l’autre », se souvient Matthieu. Il a passé un entretien la semaine dernière pour un poste de chef de travaux. « J’en étais à mon 3e entretien en visio. Quand ma future N+1 m’a proposé de se rencontrer, j’étais d’accord. On ne s’est pas serré la main le jour J et elle m’a emmené dans une salle de réunion assez grande.  Les distances étaient largement respectées, alors quand elle m’a proposé d’enlever nos masques, j’ai dit OK. »

Ce n’est pas la peine de les faire venir si c’est pour voir moins de choses qu’en visio.
Guillaume Siantagne, directeur recrutement et marque employeur de Mirakl

« Quand il y a un doute après les premiers entretiens ou quand la connexion internet est mauvaise, mieux vaut se voir, défend Guillaume Saintagne qui continue de recruter tout l'été pour Mirakl, une startup du Next40 qui n'est pas touchée par la crise. En présentiel, on voit mieux ce que le candidat dégage. De plus, je trouve que la communication est moins biaisée notamment parce qu’on ne se voit pas en train de parler sur l’écran, comme en visio. On est tous les deux plus naturels.  Nous avons de grande salle d’entretien donc je propose d’enlever le masque, on ouvre la fenêtre et on reste à distance. » Même processus d'entretien chez NatUp qui reçoit systématiquement les candidats dans de grandes salles de réunion. Delphine Ménager constate que les candidats sont souvent « soulagés de pouvoir enlever leur masque, toutes les conditions sanitaires étant respectées bien sûr. Il y a du gel désinfectant dans la salle, je ne donne pas de plaquette mais je la montre à l'écran.»

Et Guillaume Saintagne de relativiser : « Ce n’est pas la peine de les faire venir si c’est pour voir moins de choses qu’en visio. Cela étant, il n’y a pas de vérité absolue : nous avons conclu des embauches 100% en visio et j'ai fait passer des entretiens en présentiel qui n’ont pas permis de lever le doute. »

Refuser de venir dans les locaux

Concernant le refus de venir passer un entretien dans les locaux de l'entreprise, Guillaume Saintagne met néanmoins en garde car ce refus ne sera plus interprété aujourd'hui de la même façon que pendant le confinement : « Si un candidat est paniqué à l’idée de venir passer un entretien malgré toutes nos précautions sanitaires, cela nous donne aussi des indices. A moins bien sûr qu'il ait une bonne raison de ne pouvoir se déplacer (personnes fragiles par exemple). A partir de septembre, nous allons avoir un nouvel accord de télétravail plus généreux. Mais nous continuerons de refuser le full remote pour les nouveaux embauchés. Si le candidat veut être embauché chez nous, il faudra qu’il accepte tôt ou tard de venir au bureau. »

Selon Delphine Ménager, c'est aussi l'adaptabilité du candidat qui est évaluée face à ce choix : « Si un candidat refuse un entretien en visio, ce n’est pas bon signe. Mais quand un candidat refuse un entretien en présentiel (sauf s'il a des raisons médicales bien sûr), c'est plus grave car c'est comme s'il refusait de travailler avec les autres. »

Préférer garder le masque mais adapter le "non verbal"

Entreprise et candidat peuvent aussi tomber d’accord pour rester masqués pendant l'entretien.  Reste qu’un entretien masqué n’est pas un exercice comme un autre. D'abord, le masque tient chaud, surtout lorsqu'il faut parler pendant 1 heure.

D'autre part, le masque couvrant tout le bas du visage, une grande partie des expressions faciales sont en berne. Il faut veiller à compenser avec le "non verbal" pour réussir à exprimer ce que le masque cache selon ce candidat interrogé par le cabinet Enoa Consulting dans une interview diffusée sur le site du cabinet : « A mon avis il faut exagérer un peu les expressions faciales et les gestes de la main. On capte finalement assez vite un sourire, une approbation ou une désapprobation rien qu’en regardant les yeux d’un interlocuteur. »

Même si un regard peut être très expressif, il ne peut compenser les 21 expressions faciales qu'un visage humain est capable d'émettre, selon des chercheurs de l'Université d'Ohio. Ce sont ces états émotionnels que les recruteurs traduisent en perception durant un entretien et qui leur permettent d'ajuster leur évaluation.

Delphine Ménager tient à rassurer les candidats masqués : « Nous sommes formés à nous appuyer sur plusieurs éléments au cours de l'entretien. Il y a certes les expressions du visage mais aussi les éléments de langage, le regard, la gestuelle des mains, le ton, le vocabulaire... Tout nous sert en entretien. Masque ou pas masque, nous continuons à pouvoir faire le job ! »

Et pour finir sur une touche d'humour, le candidat interrogé par Enoa Consulting précise qu'il ne voit pas d'autre intérêt que sanitaire à porter un masque en entretien d'embauche « à part pour cacher un vilain bouton ou une haleine douteuse. »

La solution entretien balade ou co-walking

Alors, masque ou pas masque pour les visiteurs, et les candidats au sein de l’entreprise ? Coralie Rachet, du cabinet Robert Walters, a testé une troisième voie pendant le confinement : « A Paris, certaines entreprises ont convié des candidats à des entretiens finaux en extérieur, sur les quais de Seine. Ainsi, le candidat et le recruteur ont pu se balader tout en échangeant. » Le fameux co-walking déclinable dès aujourd’hui pour que l’utile sanitaire se joigne à l’agréable. A Paris Plages et ailleurs.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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