CV bashing : qu’en pensent les recruteurs qui reçoivent des CV tous les jours ?

Aurélie Tachot

A QUOI SERT VRAIMENT LE CV – On entend tout et son contraire sur le sacro-saint CV, preuve qu’il fédère autant qu’il divise. Pour rétablir la vérité sur ce "résumé" très challengé sur les réseaux sociaux professionnels, des recruteurs ont accepté de détailler leur véritable utilisation du CV : est-ce un outil de premier contact efficace ? Quelles informations utilisent-ils ? En quoi est-ce différent d’un profil ? Lucie Brunel, Christophe Guérin, Delphine Philippe et Claire Romanet démontent les poncifs qu’ils entendent à longueur de journée sur ce document continuellement critiqué mais toujours pas détrôné.
CV bashing : qu’en pensent les recruteurs qui reçoivent des CV tous les jours ?

Ils témoignent

  • Lucie Brunel, responsable recrutement chez Mazars
  • Christophe Guérin, consultant spécialiste du recrutement de cadres au sein du cabinet Approach People
  • Delphine Phillipe, en charge du recrutement au sein du cabinet Delville Management (management de transition)
  • Claire Romanet, dirigeante du cabinet de chasse de tête Elaee, spécialisé dans le recrutement de profils digitaux

Idée reçue n° 1 : « Le CV est mort »

Ceux qui déclarent que la mort du CV est inéluctable suivent ni plus ni moins une mode.

Ces dix dernières années, le CV a été enterré à maintes reprises. Et pourtant, 73 % des candidats ont vu leur CV utilisé par le recruteur pendant leur entretien d’embauche, selon un sondage Cadremploi à paraître fin novembre. S’il demeure un support pendant l’entretien, il y a des chances qu’il ait été présent dès les premières étapes de la sélection.

Le CV, un support d'actualité

Lucie Brunel

« Le CV est au cœur du processus de recrutement, estime Lucie Brunel, responsable recrutement chez Mazars. C’est le premier outil de communication avec lequel les candidats se présentent aux potentiels employeurs. Ceux qui déclarent que sa mort est inéluctable suivent ni plus ni moins une mode. »

N’en déplaise à ses détracteurs, le profil en ligne sur les réseaux sociaux professionnels n’a pas remplacé le sacro-saint CV. « Un quart des candidats postulent aujourd’hui via leur profil en ligne. Toutefois, lorsqu’on va plus loin dans le processus de recrutement, le CV reste requis », assure Christophe Guérin, consultant spécialisé dans le recrutement de cadres au sein du cabinet Approach People.

Le CV, miroir d’une personnalité

Delphine Phillipe

Si les réseaux sociaux ne détrônent pas le CV, c’est pour une raison simple selon Delphine Phillipe, en charge du recrutement au sein du cabinet Delville Management, spécialisé dans le management de transition : « le profil n’offre pas une information aussi précise et complète qu’un CV », estime-t-elle. Basé sur un gabarit standardisé, la forme du profil est statique, à la différence du CV dont la mise en page est libre. Il offre au candidat la possibilité de maîtriser l’image qu’il veut renvoyer.

Par exemple

  • des listes à puces pour la rigueur
  • des trames pour orienter le recruteur sur certaines infos (bénévolat si on postule dans une association, obtention d'un prix professionnel, etc.)
  • une mise en page élégante pour inspirer le raffinement (utile pour postuler dans le luxe entre autres)
  • des colonnes pour une lecture simultanée des postes et des formations afin de démontrer qu'on se forme régulièrement.

Reste que l’émergence de LinkedIn et Viadeo a fait naître un décalage entre les usages des candidats et les attentes des recruteurs. « Par facilité et parce qu’ils postulent depuis leur téléphone en quelques clics, beaucoup de candidats font souvent acte de candidature via leur profil en ligne. C’est dommage car cela ne dit absolument rien de leur personnalité », regrette Claire Romanet, dirigeante du cabinet de chasse de tête Elaee, spécialisé dans le recrutement de profils digitaux.

Idée reçue n° 2 : « Le CV est ringard »

Le problème, ce n’est pas que le CV soit ringard mais rendu standard.

Le problème n’est pas l’outil mais celui qui l’utilise

Claire Romanet

C’est l’argument numéro 1 des détracteurs du CV. Introduit par Léonard de Vinci en 1482, le CV a, certes, pris quelques rides. « Le problème, ce n’est pas que le CV soit ringard mais qu’il soit rendu standard. Les jeunes diplômés, à qui on apprend à faire un CV à l’école, se retrouvent tous avec le même CV lorsqu’ils intègrent le marché du travail alors qu’ils devraient le personnaliser », regrette Lucie Brunel.

Le destinataire non plus n’est pas toujours exemplaire : « C’est la façon dont les recruteurs sélectionnent les candidats, sur le seul prisme du CV, qui peut être considéré comme ringard, car réducteur. Non pas le CV en lui-même », corrige Claire Romanet.

Place au CV augmenté

 S’il s’inspire des codes actuels, notamment en matière de mise en page, le CV n’a rien de désuet, même à l’heure du « tout-digital ». « Les exemples de CV sont suffisamment nombreux sur le web pour que tous les candidats disposent d’un document attractif. Il est donc rare de recevoir un CV ringard ou catastrophique », indique Christophe Guérin. D’autant qu’il est très facile d’y intégrer des éléments multimédias (liens vers des photos, video, blog,…) qui le rendront moins statique. « Nous recevons des CV intégrant des liens URL qui renvoient vers des précédentes réalisations voire des books en ligne pour les métiers de la communication. C’est une excellente manière de rendre un CV plus dynamique », illustre Lucie Brunel.

Video dans le CV et CV video

Le candidat peut également ajouter une image cliquable dans le CV (avec lien hypertexte vers une plateforme video ou un compte Instagram) pour montrer ses réalisations (prototype, prise de parole, pitch video) en veillant à respecter le devoir de confidentialité envers l’employeur bien sûr. Pour certains postes notamment de commerciaux où l’image est importante, le CV au format vidéo est très apprécié. In fine, ce qui importe, c’est qu’il traduise la personnalité du candidat au travail.

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Idée reçue n° 3 : « Les recruteurs ne lisent pas les CV »

C’est un mythe véhiculé par les éditeurs de logiciels.

Les recruteurs, qui reçoivent des dizaines voire des centaines de CV par jour, prennent-ils le temps de tous les lire ? La question obsède un bon nombre de candidats, notamment ceux qui n’ont pas envie de perdre leur temps à bâtir un résumé qui, in fine, sera zappé.

Logiciels vs humains

Christophe Guérin

La réponse est sans appel chez Mazars qui dispose en ce moment de 134 offres à pourvoir sur son site.  « Tous les CV que nous recevons sont ouverts et screenés par nos équipes RH, corrige Lucie Brunel de Mazars. L’idée selon laquelle les recruteurs ne lisent pas les CV est un mythe, véhiculé par les éditeurs de logiciels qui, pendant un temps, recommandaient aux candidats d’intégrer les bons mots-clés au sein de leur CV pour que les logiciels de tri le sélectionnent. » Même démenti pour le cabinet Approach People : « Ce serait une faute professionnelle que de ne pas prendre connaissance des CV que nous recevons », estime Christophe Guérin.

Le CV facilite la lecture rapide

En moyenne, les recruteurs consacrent entre 20 et 30 secondes à la lecture d’un CV, en fonction du degré d’expérience des candidats. Une durée qui peut descendre à 10 secondes pour les recruteurs les plus aguerris à la lecture en diagonale. « Il y a trois informations que je regarde au sein d’un CV : la localisation du candidat, le titre de son CV ainsi que ses trois dernières expériences professionnelles. En fonction de ces éléments, je poursuis ou non ma lecture », illustre Christophe Guérin.

Idée reçue n° 4 : « Le CV est discriminant »

Si la politique de l’entreprise est discriminante, il y a fort à parier que les services RH le soient aussi, quel que soit le document avec lequel les candidats feront acte de candidature.

Biais cognitifs

C’est une affirmation à la fois vraie et fausse. Les critères liés à l’âge, à l’origine ou à l’adresse des candidats peuvent malheureusement encore faire l’objet de discriminations malgré les efforts de la communauté RH pour les éliminer. « Le CV peut être discriminatoire, ne serait-ce que parce que les recruteurs ont des biais cognitifs, dû à leurs propres expériences, qu’ils ont parfois du mal à déjouer, précise Claire Romanet.

Toutefois, les informations qui font l’objet de discrimination peuvent également être un bon atout si elles sont valorisées correctement. Typiquement, une photo sur un CV peut représenter un risque. « Toutefois, si le candidat y est souriant, elle peut également influencer de manière positive le déroulé du recrutement », illustre-t-elle.

Pour Lucie Brunel, ce n’est toutefois pas le CV qui est discriminant, mais l’entreprise qui le trie. « Si la politique de l’entreprise est discriminante, il y a fort à parier que les services RH le soient aussi, quel que soit le document avec lequel les candidats feront acte de candidature », indique la responsable recrutement de Mazars.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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