Comment les DAF partent à la conquête de l’intelligence artificielle

Aurélie Tachot

FOCUS MÉTIER - Inflation record, tensions sur les chaînes d’approvisionnement, crise de l’énergie… Les directeurs administratifs et financiers (DAF) vivent des heures sombres. Face à ces incertitudes, où en est la "culture IA" des DAF ? Une récente étude révèle qu’ils sont loin d'être hostiles à l’intelligence artificielle mais que la fiabilité des données les freinent. Éclairage sur les nouveaux contours de leurs missions avec des experts du métier.

Une récente étude dévoile le degré de maturité des DAF dans l'adoption des technologies qui impactent leur cœur de métier, dont l'IA. Eclairage de trois experts du métier.

Comment les DAF partent à la conquête de l’intelligence artificielle
Une récente étude dévoile le degré de maturité des DAF dans l'adoption des technologies qui impactent leur cœur de métier, dont l'IA. Eclairage de trois experts du métier.

Ils témoignent dans cet article :

  • Anne-Claude Tessier, Partner chez KPMG Advisory
  • Samuel Rouayrenc, vice-président régional de BlackLine France
  • Marie-Hélène Pebayle, nouvelle présidente de la DFCG, le réseau national des décideurs financiers qui regroupe 3100 adhérents

Des DAF plutôt technophiles

Pour manœuvrer dans un contexte incertain, les directeurs administratifs et financiers (DAF) ont conscience qu'ils ne peuvent se priver d'outils technologiques avancés. Une étude mondiale* menée par Censuswide pour l’éditeur de solutions BlackLine révèle que les DAF sont plutôt enclins à se tourner vers les nouvelles technologies. L’intelligence artificielle (64 %) et l’IA générative en particulier (69 %) remportent les suffrages, devant le cloud (63 %), la blockchain (56 %) et les cryptomonnaies (54 %). 

Source : Etude BlackLine x Censuswide *

L’IA utile pour dépasser le cœur de métier des DAF

Anne-Claude Tessier

Si les départements finance souhaitent capitaliser sur l’IA pour assurer la performance de leur entreprise, c’est parce qu’ils y voient plusieurs avantages, « notamment celui de décupler leurs capacités d’analyse », souligne Anne-Claude Tessier, Partner chez KPMG Advisory. Mais aussi une amélioration des capacités de prévision (35 %), de meilleures capacités d’audit par l’analyse de données (33 %) ainsi qu’une détection plus fine des fraudes potentielles (31 %), selon l’étude.

Source : Etude BlackLine x Censuswide *

L’adoption de l’IA freinée par la fiabilité des données 

Samuel Rouayrenc

Pour autant, si les DAF sont conscients des opportunités offertes par l’intelligence artificielle, ils ne sont pas tous enthousiastes quant à sa mise en œuvre en interne. D’après l’étude, plusieurs freins subsistent. « Plus de la moitié d’entre eux déclarent ne pas avoir une totale confiance en l’exactitude de leurs données financières », explique Samuel Rouayrenc, vice-président régional de BlackLine France. Faire travailler une IA sur des données erronées ne rimerait à rien.

Un manque de confiance dû à des processus de calcul et de traitement des données trop complexes (26 %), à l’incertitude quant aux compétences des personnes qui saisissent ces données (23 %) et à la trop grande disparité de sources dont elles proviennent (22 %). 

Source : Etude BlackLine x Censuswide *

À ces freins, s’ajoutent d’autres obstacles dont, entre autres, le besoin de se former aux modèles d’IA pour interpréter avec précision les données financières complexes (34 %) et le manque de compétences (31 %).

Les DAF “augmentés” ont de l’avenir

Exit le DAF « number centric » ! En 2024, les profils financiers devront non seulement se former aux nouvelles technologies mais aussi au leadership pour plaire aux employeurs. On est loin de la fonction support qu’on connaissait avant la pandémie.

 Aujourd’hui, le champ d’intervention du cadre financier est large et son rôle devient de plus en plus interventionniste au sein de l’entreprise. Ce "business ârtner" ne se contente plus de trancher sur les sujets financiers, il est également à la manœuvre dans la politique RSE des entreprises notamment. , via sa posture de “business partner”. 

Selon l’étude de BlackLine, « 45 % des DAF estiment que leur entreprise aura besoin de directeurs financiers expérimentés en matière de pilotage d’entreprise », rappelle Samuel Rouayrenc. On comprend mieux pourquoi ces profils “augmentés” sont de plus en plus pressentis lorsqu’il s’agit de nommer de futurs dirigeants. 

L’IA dans la finance : des exemples de cas d’usage 

  • En matière de contrôle des dépenses, l’IA peut alerter le DAF en cas d’écarts avec le prévisionnel et élaborer des scénarios de gestion de trésorerie. 
  • Véritable casse-tête des DAF, l’analyse du panel des fournisseurs peut être facilitée avec l’IA : cette dernière va les catégoriser, améliorant par la même occasion leur sourcing.
  • L’IA générative facilite le reporting : elle est capable de rédiger des rapports à partir de commentaires financiers sur des éléments préalablement analysés.

Marie-Hélène Pebayle : « Les DAF vont perdre leur suprématie concernant la maîtrise des chiffres »

Marie-Hélène Pebayle est la nouvelle présidente de la DFCG, le réseau national des décideurs financiers qui regroupe 3100 adhérents.

Quel est, selon vous, le niveau de maturité des DAF vis-à-vis de l’intelligence artificielle ? 

Marie-Hélène Pebayle : « Leur niveau de maturité varie en fonction du secteur d’activité dans lequel ils travaillent et de la taille de leur entreprise. Évidemment, les entreprises dont le business model repose sur le digital sont plus matures que les entreprises « traditionnelles », qui sont encore à la phase de dématérialisation. Les grands groupes sont également plus en avance. Les DAF d’Accor et de Carrefour ont par exemple déjà développé des cas d’usages sur le sujet. L’IA est également un sujet générationnel. Aujourd’hui, les DAF ont en moyenne une cinquantaine d’années et sont issus d’écoles de commerce. Le sujet n’est donc pas « natif » pour eux, à la différence des jeunes générations qui arrivent sur le marché.

Comment les DAF appréhendent-ils cette évolution ?

M-H. P. : Puisque les données deviendront davantage accessibles aux opérationnels, les financiers vont perdre leur suprématie concernant la maîtrise des chiffres. C’est, pour eux, une source d’inquiétude. Par ailleurs, s’ils sont confiants vis-à-vis des données qu’ils produisent eux-mêmes, ils émettent des réserves sur celles qui émanent des autres départements de l’entreprise et qui ont été manipulées. Les DAF craignent également que les données stratégiques ne soient divulguées à leurs concurrents, car sauvegardées dans le cloud, parfois en dehors de l’Europe. La question de la souveraineté des données financières est donc un point de vigilance pour eux.

Quelles nouvelles compétences devront acquérir les DAF ? 

M-H. P. : Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, on pourrait croire que le DAF est voué à devenir un data scientist. Ce n’est pas le cas. Pour autant, il devra comprendre ses enjeux et parler le même langage que lui. Puisqu’on attend également du DAF qu’il soit le chef d’orchestre de la transformation digitale de l’entreprise, il devra également développer certaines soft skills comme la communication. Sa capacité à manager en mode projet, à donner un cap, à faire évoluer ses équipes… seront par exemple des qualités très appréciées par les recruteurs. La bonne nouvelle, c’est que les écoles de commerce comme les universités intègrent déjà ces évolutions dans leurs cursus. 

* Etude BlackLine x Censuswide du 7 février 2024 intiulée « Directeurs financiers : prévoir l’imprévisible ou comment maîtriser la résilience des entreprises à l'ère de l'incertitude ». L’enquête a été menée par le cabinet Censuswide pour BlackLine, auprès de 600 cadres supérieurs et 679 professionnels des services F&C sur sept marchés — France (152 sondés de chaque catégorie), États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, Australie et Singapour —, ayant les revenus annuels minimums supérieurs ou équivalents à 20 millions d’euros. L'enquête a été menée en ligne entre le 11 et le 21 août 2023.

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Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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