
La majorité des Français embarqués par les "gilets jaunes"
Fin janvier dernier, l’ObSoCo (Observatoire société et consommation) a réalisé une enquête* visant à identifier avec précision les « gilets jaunes », leurs soutiens et leurs opposants, à préciser leur profil et à comprendre le sens qu’il convient de donner à ce mouvement. A la question « vous qualifiez-vous de "gilets jaunes" ? », 43 % des Français interrogés ont répondu « oui », 54 % « non ». Si on y ajoute les 3 % qui, sans s’être déclarés "gilets jaunes", affirment avoir pris part au mouvement, c’est 49 % des répondants que l’on peut qualifier de "gilets jaunes". Parmi eux, 78 % n’ont participé à aucune action et 12 % à une seule catégorie d’actions – le plus souvent l’intervention sur les réseaux sociaux. Les "gilets jaunes" significativement impliqués dans le mouvement ne représentent pas plus de 10 % de la population totale. Parmi les personnes ne se reconnaissant pas comme "gilets jaunes", 11 % affirment soutenir le mouvement. « C’est donc 60 % de la population qui se trouvent embarqués, à des degrés divers, dans le mouvement », conclut Philippe Moati, co-président de l’ObSoCo lors de la restitution de l’étude.
8 % de cadres parmi les "gilets jaunes"
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’existe pas de portrait type des sympathisants de ce mouvement. « Ils composent un ensemble extrêmement hétérogène dont les caractères socio démographiques ne se distinguent pas significativement de ceux de l’ensemble de la population française », précise-t-il. Tout au plus, observe-t-on de légères sur ou sous représentations. Par exemple, les CSP- et intermédiaires, les personnes peu diplômées, les tranches de revenu basses ou moyennes-inférieures… sont légèrement surreprésentées parmi les « gilets jaunes » comparé à l’ensemble de la population. « Mais on compte également dans leurs rangs une part significative de personnes appartenant aux CSP+, diplômées, et disposant de revenus confortables... », insiste Philippe Moati. La part de cadres et professions intellectuelles chez les personnes se déclarant "gilets jaunes" est de 8 %. 5 % sont très impliqués (ils ont mené 3 actions ou plus), et 8 % plutôt impliqués (deux actions menées).
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Des consommateurs contrariés
L’augmentation du pouvoir d’achat domine très largement la hiérarchie des revendications des "gilets jaunes" : ils sont 28 % à la désigner comme leur première attente et 66 % parmi leurs cinq premières revendications. Chez les cadres, cette question du pouvoir d’achat est également en tête des préoccupations. Et pourtant, leurs revenus sont largement supérieurs à ceux des autres CSP participant au mouvement.
« En fait, le « vouloir d’achat » des "gilets jaunes" progresse plus vite que leur pouvoir d’achat, d’où cette frustration », résume-t-il. On n’est plus dans cette consommation de caste, où certains produits n’étaient accessibles qu’à une certaine frange de la population. « Dans un contexte d’universalisation de la norme de consommation, tout le monde veut son Thermomix et trouve normal de partir loin en vacances. Or au final, tout le monde n’a pas les moyens d’y accéder », précise Philippe Moati. Avant d’ajouter : « les outils marketing de plus en plus pertinents et personnalisés, nous exposent en permanence à une offre de consommation à laquelle nous sommes plus perméables du fait du recul des utopies et des idéaux. On se réfugie dans la consommation mais on a du mal à y accéder, d’où la colère et la frustration constatée au sein du mouvement des "gilets jaunes" ».
Un appel à une démocratie plus participative et durable chez les cadres "gilets jaunes"
Même s’ils ne sont pas en reste sur cette question du pouvoir d’achat, les cadres "gilets jaunes" portent davantage que les autres des revendications à caractère institutionnel. Ainsi, la réduction du nombre des élus et des représentants du peuple est citée parmi les 5 premières revendications par 41 % des cadres « gilets jaunes » contre 32 % pour l’ensemble de l’échantillon. Plus d’un tiers de ces cadres engagés revendiquent la mise en place d’un référendum d’initiative citoyenne (contre 28 % à l’échelle de l’échantillon). La même proportion réclame un renforcement des services publics sur tout le territoire. « Les élites sont perçues comme n’ayant pas de réelles prises sur les événements, voire coupées du monde ou, pire, d’abord soucieuses de leurs propres intérêts », commente Philippe Moati.
Autre spécificité des cadres "gilets jaunes" : leurs préoccupations environnementales. Ils sont ainsi deux fois plus nombreux que les autres à se mobiliser pour le développement d’une offre de transports publics alternative à la voiture individuelle et en faveur d’un grand plan pour l’isolation des logements. Des enjeux très marginaux pour les autres « gilets jaunes ».
* Enquête réalisée en ligne par l’ObSoCo entre le 23 janvier et le 1er février 2019. Echantillon de 4000 personnes représentatif de la population française âgée de 18 à 70 ans. Afin de garantir la représentativité des échantillons, des quotas ont été établis sur la population globale interrogée au regard des critères suivants : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, niveau de diplôme, région de résidence et taille de l’agglomération de résidence.
Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.