Documentaire TV : « Petits chefs, c’est moi qui commande ! »

Gilles Boulot

Diffusé ce jeudi dans Complément d’Enquête sur France 2, ce documentaire met l’accent sur les abus de pouvoir des managers. Et sur les coachs qui tentent de leur faire entendre raison.
Documentaire TV : « Petits chefs, c’est moi qui commande ! »

Évidemment, il est question de harcèlement moral, de dépression, de stress et de cette vision noire du monde du travail dont les documentaires télévisuels font souvent leur miel. Mais le sujet de Rola Tarsissi, diffusé ce jeudi dans Complément d’Enquête (visible en replay ici) va plus loin. « Petits chefs : c’est moi qui commande ! »  pose des questions rarement abordées. Et qui concernent tous les managers. Comment recadrer sans harceler ? Où sont les limites du pouvoir ? Est-ce que la bienveillance est forcément le contraire de l’autorité ?

Exercer son autorité sans en abuser

Pour tenter de trouver des réponses, le reportage donne notamment la parole à Samuel Bendahan, un spécialiste du leadership en entreprise qui a la particularité d’exercer lui-même le pouvoir puisqu’il est élu au Parlement suisse. Dans le cadre de son travail de chercheur, il  a mené une expérience auprès de cobayes volontaires.

A la moitié du groupe, il a confié des responsabilités lors d’un jeu de rôle improvisé. A l’autre moitié, il a demandé d’être des subalternes, avant de prier tout le monde d’écrire la lettre E, au feutre, sur leur front. Le résultat a quelque peu surpris le chercheur. (voir séquence à 11’ du reportage) C’est un révélateur du degré de considération aux autres. « En fait, en ayant du pouvoir, on renforce l’ego et on affaiblit notre conscience du bien commun. »

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Le risque d’abus de pouvoir

Sommes-nous naturellement auto-centré dès que l’on est en position de pouvoir ? Est on enclin à en abuser ? Ce jeune dirigeant, lui aussi interrogé dans le sujet de France 2, l’a été en tous cas. Créateur d’une société en pleine expansion, il a décroché un important contrat. Et de ce jour, il n’a cessé de mettre la pression sur ses collaborateurs. « J’ai fait du micro-management » analyse-t-il.

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Chaque matin, il organise des morning meetings, demandant des comptes à ses collaborateurs, exigeant qu’ils lui expliquent le boulot qu’ils avaient fait la veille, systématiquement. Les salariés craquent, le boss aussi, jusqu’à l’insulte. « Il te manque une case, » est-il capable de dire à l’un d’entre eux. Mais le jeune patron se rend compte de son état, capable d’avoir « envie de les tuer » comme il le dit à la caméra, tout en se détestant, en se disant « t’es un sale mec ». Une schizophrénie du management. Ce dirigeant s’en est ouvert, à un psy et à un coach. Comme Stéphanie Roels, qui témoigne également dans l’émission.

« Sévère mais juste »

L’ancienne DRH reconvertie a constaté que ses clients confrontés à ce type de problèmes opposent systématiquement « bienveillance et autorité ». Alors que pour elle « un grand leader est bienveillant et autoritaire à la fois. » Le bon vieux concept du « sévère mais juste ? »

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C’est en quelque sorte ce que tend à démontrer le documentaire de Complément d’enquête qui s’ouvre sur l’équipe d’une entreprise de nettoyage menée par un chef que ses employés définissent ainsi. L’un deux résume d’ailleurs très simplement la situation à laquelle beaucoup d’entreprises et leurs managers sont aujourd’hui confrontés ou qui risquent de l’être à cause d’encadrants mal formés, et mal inspirés : «Si je suis dans une société où le chef est agréable, je reste. S’il n’est pas agréable, je m’en vais ».

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Comment ces managers motivent leur équipe chaque matin
12 techniques de management à piquer à des patrons de start-up

 

« Il faut détecter les signaux faibles qui précèdent les abus de pouvoir »

Raphaëlle Laubie est directrice générale du think tank « Le cercle du leadership » et entrepreneuse web. Le pouvoir, sous tous ses aspects, elle l’étudie depuis des années et y a consacré plusieurs ouvrages. La chercheuse revient sur le documentaire de France 2.

« C’est utile de pointer du doigt la problématique du pouvoir. D’autant que, et le documentaire le met en avant, 1 salarié sur 10 est victime des abus de ce pouvoir. Pour les éviter, les managers doivent bien se connaître. Car s’emparer du leadership, est un acte particulier. De nombreux individus ont ce désir, mais ils doivent s’interroger sur leurs motivations. Est-ce pour satisfaire une envie personnelle, un besoin de prestige ? Est-ce que je ne me laisserais pas déborder par mes émotions lors des conflits inévitables ? Mais c’est difficile de réaliser ce travail d’introspection et de connaître ses limites. C’est pour cela, que ceux qui nomment les managers, doivent mettre en place des moyens de détection des bons profils. Un tel est-il suffisamment mature, n’est-il pas trop impulsif ? Surtout, et c’est souvent négligé, il faut éviter de nommer à de tels postes des personnes qui ont une trop faible estime d’eux-mêmes. Car ce type de comportement conduit parfois à des abus de pouvoir : en se dévalorisant soi-même, on dévalorise son entourage et l’on en perd toute notion d’éthique. Reste que cette détection a priori doit s’accompagner d’une seconde, réalisée a posteriori. Il faut être à l’écoute des signaux faibles dès la prise de fonction, car ils peuvent annoncer un véritable abus de pouvoir. Remarquer que des tâches bien accomplies ne sont pas saluées ou récompensées, constater des débuts de démotivations dans une équipe sont autant d’alertes. Une détection qui est d’autant plus simple aujourd’hui que les entreprises fonctionnent de plus en plus sous le signe de la transparence, apparue grâce aux nouvelles technologies et aux millenials en poste. »

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Gilles Boulot
Gilles Boulot

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