Confinement : même chez les cadres, la charge mentale est plus lourde pour les femmes

Sylvie Laidet-Ratier

Une récente étude Ifop pour ConsoLab révèle que 49% des Français se disputent davantage à cause de la répartition des tâches ménagères et des enfants pendant le confinement. Qu’en est-il chez les cadres en particulier ? Nous avons demandé à trois femmes cadres de témoigner sur leur quotidien de télétravailleuse confinée. Et en bonus, Coline Charpentier, professeure, « daronne » mais aussi auteure d’un livre sur la charge mentale, nous parle des nombreux témoignages qu’elle reçoit sur son compte Instagram. Et vous, comment vivez-vous le partage des tâches par temps de confinement ?
Confinement : même chez les cadres, la charge mentale est plus lourde pour les femmes

Au bout de 3 semaines de confinement, un Français sur deux déclarait déjà se disputer davantage avec son/sa conjoint(e) au sujet de la répartition des tâches ménagères  (étude ConsoLab / Ifop 8 avril 2020) mais aussi à propos de l’éducation des enfants.

Il faut dire qu’avant le confinement, les femmes passaient en moyenne plus d’une heure et demie par jour à s’occuper des enfants contre 43 minutes pour les hommes (source : Ifop, novembre 2019).  Et pendant le confinement, la charge mentale de certaines d’entre elles prend encore plus cher. Les réflexes ont la vie dure. Même en télétravail contraint, beaucoup ont la responsabilité de planifier les séances de devoirs des enfants, les repas, les courses et de veiller à maintenir une bonne ambiance. Certaines en font plus, d’autres moins.  Ecoutons-les.

 

« Je perds plus de temps à déléguer qu’à faire, alors je fais »

Natacha Ordas, directrice channel EMEA chez Forescout Technologies

Profil : cadre supérieure, 3 enfants de 12, 14 et 17 ans, un mari

Échelle charge mentale sur 10 : 12,5

Au début du confinement, elle a bien essayé de répartir les tâches avec son mari, notamment l’aide aux devoirs des enfants. « Mais les réflexes reviennent vite au galop. Chez les enfants, c’est maman qu’on appelle quand il y a un souci. Et puis de mon côté, je ne sais pas lâcher-prise non plus. Je trouve que je perds plus de temps à déléguer qu’à faire, alors je fais. Et puis cela évite comme ça aussi de nombreuses engueulades », résume Natacha Ordas.

Alors, elle jongle entre ses casquettes de manager, de mère, de femme. « Je veux être une wonderwoman partout. Or ce n’est pas possible. Du coup, personne n’est satisfait mais je ne sais pas faire autrement. Ma société me laisse gérer mon temps comme je veux, donc de ce côté-là, je n’ai pas de pression. Je me mets la pression toute seule car je n’ai pas envie d’abuser. Les enfants ne comprennent pas cette situation», reconnait-elle.  Cette période de confinement et de télétravail aura eu, selon elle, au moins une vertu : faire découvrir à tous ce qu’est réellement son boulot. « Avant, j’ étais souvent en télétravail le lundi et mon mari se disait que j’avais un boulot cool dans lequel je passais beaucoup de temps à discuter. Là, quand il me voit recharger mon casque trois fois par jour, être complètement stressée lors du bouclage des comptes du trimestre, etc… il se dit que mon job n’est pas si anodin et si facile que ça », conclut-elle avant d’aller filer un coup de main express à ses enfants.

 

« Je travaille les après-midi et après le coucher des enfants, mais pas le matin »

Émilie Legoff, CEO de Troops

Profil : entrepreneure, 4 enfants de 4 mois, 5, 10 et 11 ans, garde alternée

Échelle charge mentale sur 10 : 9

 

La première semaine du confinement, dire qu’Émilie Legoff était en ébullition est un euphémisme. L’arrêt de la nounou et de l’école, de la femme de ménage, les repas, le cash à aller chercher pour faire tenir sa petite entreprise, ses collaborateurs à passer en télétravail,… Elle a très peu dormi et beaucoup râlé auprès de ses enfants. « En voyant mes copines arrêtées et donc dispos pour s’occuper de leurs enfants, je m’en voulais de ne pas pouvoir en faire autant car je devais à la fois gérer le business, le stress des enfants par rapport au confinement et la maison », raconte-t-elle tout de go.

Alors pour éviter d’exploser en vol, elle a lâché sur certains principes. « Ce n’est pas grave si les enfants oublient de se laver les dents, s’ils trainent en pyjama, s’ils regardent des tablettes, si je ne fais pas de sport tous les jours, etc. Et puis, j’ai également davantage sollicité les deux pères des enfants pour des gardes alternées », illustre-t-elle.

Côté boulot, sur le papier, elle ne travaille pas le matin mais les après-midi et après le coucher des enfants. « J’ai prévenu l’équipe que je n’étais pas dispo tout le temps sauf pour les clients. Un gros prospect m’a appelé l’autre jour durant le dîner des enfants. En entendant le bruit, il a rapidement coupé court à la conversation. J’étais dégoutée. Heureusement il m’a rappelée quelques jours plus tard. Je constate beaucoup de bienveillance des uns et des autres mais je vois aussi beaucoup d’hommes bien installés chez eux pour bosser et que personne ne vient déranger durant leur télétravail. Pour les femmes, c’est différent », constate-t-elle. Confinée et en télétravail avec ses 4 enfants, elle trouve même que cette situation est un rétropédalage sur la place des femmes dans la société.  

 

« Quand je ne suis pas dispo, je leur demande d’aller voir leur père »

Sabrina Perrin, responsable d’équipe de gestion administrative chez Harmonie Mutuelle

Profil : manager, 3 enfants de 7, 9 et 11 ans, un mari

Échelle charge mentale sur 10 : 5/6

Quand ses trois filles ont besoin de quelque chose ou rencontre un problème sur leurs devoirs, c’est toujours leur mère qu’elles appellent. « Si je peux répondre, je le fais. Et quand je ne suis pas dispo et qu’elles insistent, je leur demande – ou le leur fais signe – d’aller voir leur père », sourit Sabrina Perrin. Un moyen comme un autre pour cette manager d’alléger un peu la charge mentale qui pèse sur ses épaules depuis le début du confinement et la mise en télétravail des 21 membres de son équipe.

« Je dois faire tout ce qui est possible pour que mon équipe se sente bien et pas isolée mais aussi pour accompagner mes enfants dans leurs devoirs et leurs cours en ligne », résume-t-elle. Le tout en gérant les courses au drive (une galère bien chronophage car le site de commande est saturé), en composant les repas d’abord dans sa tête puis en cuisine, en lançant des machines (« je préviens d’ailleurs mon conjoint pour qu’il me fasse penser qu’il y a une machine en route »), en assurant un minimum de ménage quotidien car « à 5 toute la journée… »  

Pour cela, Sabrina Perrin débute sa journée vers 7h30 pour profiter du calme de la maisonnée. « Le midi, j’explique les devoirs de l’après-midi aux filles, je « repars » bosser et vers 18 heures on fait un point avec les enfants sur ce qui a fonctionné ou pas. On ne respecte pas vraiment le rythme scolaire puisque les filles travaillent un peu du lundi au dimanche, mais on n’a pas le choix », illustre-t-elle. Avec son conjoint, elle reconnait un meilleur partage des tâches qu’avant. Et entend bien faire perdurer cette situation lors du déconfinement.

 Lire aussi >> Comment ces parents s'organisent pour travailler et s'occuper de leurs enfants

 

« Les femmes prennent en charge les émotions de tous, au point de s’oublier elles-mêmes »

Quel type de post les femmes cadres déposent-elles sur votre compte Instagram  Taspensea  en ce moment ?

En ce moment, la question du télétravail revient beaucoup dans les posts. Dans un couple de cadres où chacun a le stress de devoir délivrer tel dossier dans tel délai, la pression sur les enfants est grande. Sur le papier, le père et la mère bossent le matin ou l’après-midi. Mais dans les faits, quand les femmes se mettent au travail, elles sont dérangées par les enfants et/ou leur compagnon. Leur temps de travail est saccadé. En refusant d’être dérangés, les hommes montrent également encore que leur boulot est, selon eux, plus important que celui de leur conjointe. Dans les posts, je constate que cette notion de valeur de travail a suscité beaucoup de clashs dans les familles.

Quand les hommes assurent, il faut tout leur préparer à l’avance.

 

Donc pas d’allégement de la charge mentale des femmes durant cette période de confinement ?

Au début, il y a eu un appel d’air. Les familles se sont concertées sur la mise en place des plannings. Mais en pratique, qui assure vraiment la continuité pédagogique au quotidien par exemple ? Les femmes ou quand ce sont les hommes, il faut tout leur préparer à l’avance.

Du coup, les femmes se résignent, c’est ça ?

Oui depuis presque deux semaines, certaines se résignent. Elles se disent « je ne vais pas batailler pour ça, cela va créer une mauvaise ambiance et ce n’est pas souhaitable durant le confinement qui dure ». On parle alors de charge émotionnelle. Les femmes prennent en charge les émotions de tous afin que chacun se sente bien, au point de s’oublier elles-mêmes.  

Bonus sourire : Alexandre Bataille, télétravaileur et père modèle

En temps normal, il essaie des voitures. Mais, confinement oblige, Alexandre continue son métier depuis son domicile tout en assurant les tâches familiales et domestiques. Voici une video qui fait foi de son exemplarité en matière de partage de charge mentale (si vous n'aimez pas les voitures, commencez à 0'28 puis nous vous conseillons de regarder jusqu'à la fin du délire...)

 

Tags : Parité
Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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