Embaucher des filles sexy pour motiver les développeurs mâles ? La Chine n’y voit aucun mal

Gilles Boulot

Selon un rapport du Human Rights Watch, les entreprises de la tech chinoise recrutent des jeunes femmes dans le seul but d’attirer des geeks et de leur permettre de se délasser.
Embaucher des filles sexy pour motiver les développeurs mâles ? La Chine n’y voit aucun mal

La marque employeur prend parfois d’étonnants détours. Il en est ainsi de celle des entreprises de la tech chinoise pour rallier à elles les meilleurs développeurs de l’Empire du Milieu et d’ailleurs. L’idée, aussi vieille que le machisme, est simple : appâter les geeks mâles en leur garantissant qu’au sein de l’entreprise, des filles, plutôt jeunes et jolies seront aux petits soins pour eux durant leurs si longues journées de boulot. Ces filles, BFM Business les appelle « dames de compagnie », avec une pudeur toute économique. Un nom qui convient mieux à des personnes d’un certain âge veillant sur des seniors d’un âge certain. De son côté, Terra Femina les traite de « masseuses » un terme teinté de prostitution, alors que Slate illustre son article sur la question avec la photo d’une pornstar japonaise, tout simplement.

Des vidéos de recrutement ouvertement sexistes

Ce courroux, légitime, est né de la lecture du New York Times où la correspondante en Chine du journal dresse le portrait de l’une de ces employées censées faciliter la vie des développeurs. Mais aussi d’un accablant rapport du Human Rights Watch publié le 23 avril dernier. Baptisé « Gender discrimination in job advertisements in China », ce pavé dans la mare du sexisme aligne les vidéos de recrutement des grandes entreprises de la tech locale qui, de Alibaba à Meituan (autre spécialiste de l’e-commerce) en passant par Baidu et Tencent exhibent de jolies filles censées attirer les développeurs. Elles dansent, court vêtues et surtout, « elles veulent être vos collègues. Voulez-vous être le leur ? » se demande la voix off de cette vidéo d’Alibaba. Le tout est bien entendu assorti de punchlines d’une finesse intersidérale, comme « j’aime les mecs de la tech » ou encore « trouver un job = trouver une femme ».

La geishisation de la tech

Ces vidéos parfois vieilles de quelques années n’ont pas choqué plus que ça un milieu ultra masculin. Alors à quoi bon en rester à la virtualité filmée ? Les grandes entreprises chinoises de la Tech tiennent leurs promesses et recrutent d’accortes jeunes femmes pour détendre ces messieurs. A l’image de Shen Yue, repérée par le New York Times. Son job chez Chainfin.com, une boite spécialisée dans le crédit à la consommation ? Converser avec les programmeurs, les écouter et les masser. Le tout pour 800 euros par mois. Elle est également chargée d’organiser des événements festifs pour l’entreprise, notamment pour l’anniversaire des employés. Un rôle qui n’est pas sans rappeler celui occupé par les geishas au Japon durant des siècles

Les lois chinoises en la matière sont floues et plutôt contradictoires.

Une discrimination d’Etat

Combien de Shen Yue sont ainsi enrôlées dans les entreprises de la Tech chinoise ? Aucune statistique sur la question n’est disponible. Mais sur le jobboard de Baidu, la journaliste du New York Times a repéré 7 annonces similaires sans qu’à aucun moment le législateur n’y trouve à redire. Human Rights Watch, toujours dans son rapport, a épinglé pas moins de 36 000 offres d’emploi à caractère sexiste depuis 2013. En fait, cette discrimination ambiante semble liée à deux problèmes. Les lois chinoises en la matière sont floues et plutôt contradictoires. Les autorités, tout en prônant une meilleure égalité entre les sexes, ont mis en place une armada de restrictions envers le travail des femmes, les empêchant d’accéder à nombre d’emplois pénibles, lorsqu’elles ont leurs règles, lorsqu’elles sont enceintes ou lorsqu’elles allaitent leur enfant. Et ce même gouvernement a publié 55 % d’offres d’emploi « exclusivement réservées aux hommes » pour son ministère de la Sécurité publique.

Le trop plein de testostérone de la tech chinoise

En ajoutant à ce boulevard discriminatoire ouvert par l’autorité publique la très forte présence masculine dans les métiers de la tech chinoise, les dérives observées, loin d'être excusables, sont explicables. Très peu de femmes ont accès aux métiers de développeurs en Chine et encore moins aux postes de dirigeants de ces boîtes. Et lorsque, fait exceptionnel, une entreprise se félicite d’une forte présence féminine, ce n’est pas forcément par goût de l’équité. C’est ainsi qu’Alibaba explique que 47 % de ses effectifs sont féminins, mais il ne s’empêche pas de les exhiber dans des vidéos suggestives.

En France, le numérique reste masculin

Mais cette misogynie de la tech est-elle exclusivement chinoise ? La tech au niveau mondial est un monde d’hommes. En France, selon les chiffres gouvernementaux, elles ne sont que 28 % à travailler dans le numérique et encore, la plupart d’entre elles exercent dans les fonctions support et sont seulement 16 % dans les jobs purement techniques. Pour y remédier, plusieurs ministères se sont alliés : ceux de l'Education nationale et des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes ainsi que le secrétariat d'Etat chargé du Numérique et de l'Innovation.

L’an passé, ils ont mis en place « un plan pour la mixité des métiers du numérique ». Ses effets ne sont pas encore visibles, mais si aujourd’hui des happyness officers féminines sévissent aussi dans quelques entreprises hexagonales, gageons qu’elles ne sont pas recrutées selon les mêmes critères que leurs consœurs chinoises.

>> Lire aussi : Les secteurs masculins à la recherche de cadres féminins

Gilles Boulot
Gilles Boulot

Vous aimerez aussi :