Recrutements abandonnés : les cadres largement concernés

Gilles Boulot

Selon Pôle emploi, entre 200 000 et 330 000 postes ne trouvent pas preneurs chaque année, y compris chez les cadres. Et l’Insee vient de révéler qu’une entreprise sur deux a du mal à recruter. Témoignages de recruteurs.
Recrutements abandonnés : les cadres largement concernés

On se doutait qu’avec l’embellie économique, les galères des recruteurs risquaient de s’amplifier. Bingo, Pôle emploi vient de dégainer ses nouveaux chiffres (1). Selon l’organisme qui a sondé 9 000 recruteurs, le nombre de projets d’embauche abandonnés faute de candidats se situe entre 200 000 et 330 000 postes en 2017, dont un peu plus de la moitié (entre 110 et 181 000) concernent des contrats durables en CDI ou des CDD de plus de 6 mois. Et l’Insee de lui emboîter le pas deux jours après (2) en livrant un constat qui va dans le même sens. Selon l’Institut, 50 % des entreprises de l’industrie, des services et du bâtiment ont du mal à recruter.

Incertitude économique ? Coûts liés à l’emploi ? La faute à la règlementation ? Des motifs, qui, s’ils sont invoqués, arrivent loin derrière la première raison citée par 32 % des entreprises : une main d’œuvre compétente indisponible. Et ce constat vaut pour toutes les qualifications, y compris élevées puisque les abandons de recrutement faute de candidats cadres, agents de maîtrise ou techniciens représentent 5,9 % des offres d’emploi les concernant (contre 4,7 % pour l'ensemble des qualifications).

Commerciaux divas

Avec le plein emploi qui sévit, un chômage à 3,5 % seulement qui les met à l’abri, les cadres sont en capacité de faire la fine bouche face aux offres. Et c’est ce que confirme Youri Lavroff. Son métier ? Il est sourceur au sein du cabinet CV Star dont il est l’un des associés. Et les freins qu’il rencontre concernent avant tout les métiers de la vente. « Les commerciaux sont de plus en plus difficiles à approcher. Ils ont le choix entre d’innombrables offres ». Alors ils sont exigeants. « J’ai eu des cas où la veille de la signature du contrat, certains m’appellent pour m’expliquer que, finalement, non, ils avaient trouvé mieux ailleurs. » Un chemin de croix pour les recruteurs. « Mais il y a pire : ce sont les fonctions IT ». Et d’ailleurs, Youri Lavroff a carrément laissé tomber le sourcing de cette fonction. « Ils ne répondent même plus à nos messages ou coups de fil. »

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Informaticiens introuvables

Du courage, il en faut à l’ensemble des entreprises de l’informatique qui doivent recruter des experts. Développeurs, architectes logiciels, ingénieurs telecom, chefs de projets ou consultants sont ardemment recherchés. Mais difficiles à dénicher. Parmi les 2000 adhérents du Syntec numérique, le syndicat qui regroupe une majorité des entreprises du secteur, « 89 % ont des difficultés de recrutement », constate Godefroy de Bentzmann, son président. Une situation plus qu’embarrassante, puisque 65 % des entreprises en question considèrent que ces difficultés de recrutement limitent leurs perspectives de croissance. Raison de plus pour que, à la tête de la structure depuis un an, son président passe le plus clair de son temps à tenter de déjouer cette pénurie fatale.

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Reconvertis

Comment ? En coopérant avec l’enseignement public et privé pour mieux adapter les formations initiales. Ou en collaborant avec Pôle emploi à un dispositif de POE (préparation opérationnelle à l’emploi). Une manière de combler le vide de candidats en recrutant, rien qu'en 2017, 3340 demandeurs d'emplois non spécialistes du numérique appelés à le devenir. D'autres entreprises attirent des compétences issus d'autres secteurs mais spécialistes d'un domaine, comme  « des ingénieurs automobile, ou issus de l'aéronautique ». Ces nouvelles recrues sont ensuite formées par la branche à grands frais.

Seniors en startups, juniors dans les grosses boites

Mais plutôt que de former des novices du métier, pourquoi ne pas recruter des seniors du numérique, qui, on le sait, ont beaucoup de mal à retrouver un emploi ? « Les entreprises n’en veulent pas et ce, dans tous les domaines, constate Youri Lavroff de CV Star. On a beau tenter de les convaincre, pour un candidat qui a dépassé 45 ans, c’est très difficile. » Et le sourceur de souligner un curieux paradoxe : « ce sont souvent les dirigeants d’un certain âge qui refusent de travailler avec quelqu’un de leur génération, ce qui n’est pas le cas des jeunes start-uppers qui, eux, veulent bien recruter des seniors ».

Ce sentiment, Robin Sappe le valide totalement. Il est DRH en résidence, et son rôle consiste à veiller sur les ressources humaines des start-up dans lequel son employeur investit. Et il confirme. « Pour une startup qui vient de naître, l’investisseur est rassuré de pouvoir compter sur des experts aguerris en leur sein ». Et pas seulement sur les fondateurs parfois beaucoup plus jeunes que ces experts. Entre les seniors qui ne trouvent pas leurs places dans les grandes structures et les juniors qui rêvent de travailler dans des jeunes pousses, Robin Sappe est un recruteur heureux. « Et je n’ai aucun problème de pénurie ». Peut-être que ce DRH serein s’est également adapté à la nouvelle donne : celle des temps de sortie de crise.

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Des rémunérations parfois inadaptées

Car le temps des salaires minimum et du nombre de candidatures maximum est révolu pour l’emploi cadres. « Certaines entreprises ne l’ont pas encore compris », constate Youri Lavroff. Pourtant, l’époque où l’on pouvait dire à un candidat que s’il refuse une offre, dix autres sont prêts à signer, est révolue. Surtout dans les emplois cadre en tension.

 (1) Etude Pôle emploi : Offres pourvues et abandons de recrutement - Éclairages & synthèses n°40, parue le 19/12/2017

(2) Insee Focus n° 106 « La moitié des entreprises signalent des barrières à l’embauche » paru le 21/12/2017

Gilles Boulot
Gilles Boulot

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