Les soft skills se travaillent, pas la personnalité

Sylvia Di Pasquale

[Etude] Tout miser sur son diplôme et son expérience ne suffit plus. Car les recruteurs tiennent de plus en plus compte du potentiel des candidats, donc de leurs « soft skills », ces savoir-être qui complètent les compétences techniques. Pourtant 70 % des cadres estiment que leurs employeurs sous-exploitent certaines de leurs qualités, révèle notre récente étude réalisée avec Michael Page. Marlène Ribeiro, la directrice executive de Michaël Page et Marie Lacroix, directrice scientifique de Cog’X éclairent les différents enseignements de cette étude.

Les invitées

Marlène Ribeiro est directrice executive de Michael Page, l’un des plus importants cabinets de recrutement dans le monde qu’elle a rejoint il y a 14 ans. En France, le cabinet recrute pour ses clients des cadres confirmés à travers ses 17 divisions spécialisées.             

Marie Lacroix, docteure en neurosciences et co-créatrice de Cog’X. En entreprise, ce cabinet met en application les découvertes des sciences cognitives sur le fonctionnement de notre cerveau. Elle tient, avec ses associés, un blog hébergé sur le site de l’Usine Nouvelle, intitulé « Les Blog des experts des neurosciences ».

Lise Ferret est la DRH de Cadremploi. Elle recrute tout au long de l’année divers profils et s’exprime aujourd’hui sur les soft skills que notre site recherche en particulier chez un développeur.

Cliquez ici pour télécharger les résultats complets de l’étude #Soft skills de Michaël Page et Cadremploi

 

>>> Ce que l’on peut retenir du live du 16 mai 2019

Parlez-vous soft skills ?

84 %* des cadres reconnaissent être à l’aise avec ce mot du langage RH qui désigne les compétences comportementales (par opposition aux « hard skills » qui désignent les compétences techniques).

La personnalité est innée, les soft skills se travaillent

Marie Lacroix : Il ne faut pas confondre soft skills et traits de personnalité. La différence, c’est que les traits de personnalité sont immuables. Tandis que les soft skills se travaillent. Utiliser le mot « personnalité » pour parler des soft skills prête à confusion. Savoir communiquer, avoir du leadership, ce n’est pas inné. Il ne faut pas perdre confiance si on n’a pas ces soft skills car ce sont des compétences qui se développent. Contrairement aux traits de personnalité qui restent figés dans le temps.

>> Est-ce que les métiers très techniques, comme ingénieur chez Airbus par exemple, doivent aussi travailler leurs soft skills ?

Marlène Ribeiro : Oui, car vous ne pouvez pas vous reposer que sur votre diplôme et votre expérience, vos compétences techniques doivent évoluer. Et les compétences comportementales, qui vous servent à bien travailler avec d’autres services, se révèlent essentielles.

 

Les soft skills qui valent de l’or

>> Parmi les 10 soft skills à maîtriser selon le World Economic Forum (cf ci-dessous), quelles sont les plus recherchées par les recruteurs ?

Marlène Ribeiro : L’une des soft skills les plus mises en avant par mes clients est la résolution de problèmes complexes. Les tâches les plus simples sont souvent automatisées, donc les personnes que nous recrutons doivent être capables de résoudre ces tâches assez basiques. L’autre compétences comportementales, c’est l’esprit d’équipe. Savoir travailler main dans la main avec l’ensemble des services concourt à la performance de l’entreprise.

Lire aussi >> Soft skills : quelles sont celles que les entreprises s'arrachent ?

 

Que recouvre « l’esprit critique » ?

Marie Lacroix : c’est la capacité à prendre du recul, primordiale notamment pour résoudre des problemes complexes ou pour remettre en question des normes établies. Très utile par exemple pour innover. Ou pour identifier ses biais cognitifs. Par exemple, chasser le biais de confirmation qui consiste à adopter les idées qui confirment ce que l’on pense plutôt que de s’ouvrir à d’autres points de vue. Avoir conscience de ses biais cognitifs permet de les dépasser et d’être plus efficaces collectivement.

 

Quelles compétences recherchez-vous chez un développeur par exemple ?

Lise Ferret : D’abord la capacité à échanger et à partager. Elle complète ses compétences techniques très poussée, difficilement accessible aux autres collaborateurs. On lui demande avec quels autres métiers il aime travailler. S’il reste sur sa communauté de développeur, on va très vite comprendre que ce ne sera pas un « tech lead ». En revanche, s’il a envie d’aller travailler avec des équipes produits ou des équipes communication, on creusera chez lui cette capacité à partager et à avancer avec les autres.

Marlène Ribeiro : Effectivement, le développeur ne travaille plus seul, en silo. Il est obligé d’expliquer ce qu’il fait avec des mots simples aux autres équipes. Et je pense que les développeurs recherchent les entreprises qui vont leur permettre de développer ce type de soft skills. Il faut les former, les aider, les développer sur la partie comportementale des compétences.

 

Les cadres estiment connaître leurs soft skills

Merci les collègues ! 7 cadres sur 10 estiment que leurs collègues les ont aidés à identifier leurs soft skills ainsi que leur entourage proche (63%). Ils ne sont plus que 57% à penser que leur manager a joué un rôle dans cette prise de conscience.

Marlène Ribeiro : Le feedback des collègues est essentiel pour appréhender les soft skills les plus visibles : la capacité à gérer son stress, son temps, la confiance en soi par exemple. En revanche, d’autres capacités sont plus difficiles à appréhender tant qu’il n’y  a pas eu de mise en situation. Je pense à la prise de recul ou la résolution de problèmes complexes par exemple.

Marie Lacroix : Il ne suffit pas qu’un collègue nous estime sympathique pour que cela constitue un vrai retour. Car ils ne font pas toujours la différence entre personnalité et compétences. Avoir un langage commun sur les soft skills permet d’améliorer la qualité de ce retour.

La moitié des cadres utilisent soft et hard skills à égalité

Au quotidien, la majorité des cadres sondés s’appuient à la fois sur leurs compétences techniques et comportementales. Mais pour 31% des cadres, les habiletés comportementales déclarent qu’elles leur sont encore plus utiles. C’est encore plus vrai chez les dirigeants (46%) et les commerciaux (39%).

Les soft skills qu’ils pensent avoir ne sont pas celles qu’ils recherchent chez leurs collaborateurs

L’écoute (62%), l’autonomie (58%), l’esprit d’équipe (58%), l’adaptation (55%) et la capacité à trouver des solutions (33%) sont les 5 principales qualités que les cadres sondés pensent avoir.  Mais quand ils recrutent, ils recherchent chez leurs futurs collaborateurs, en plus de ces qualités, la fiabilité (46%) et la motivation (43%).

Marlène Ribeiro : La recherche de « fiabilité » fait sans doute référence aux situations en entretien d’embauche.

La « motivation » est-elle une soft skills ?

Marie Lacroix : non, c’est un état. Ce que les managers mettent derrière la motivation, c’est la capacité à gérer un projet, l’implication, etc. La motivation ne se travaille pas vraiment.

Marlène Ribeiro :  au moment de l’entretien d’embauche, les managers font très attention aux motivations des candidats pour s’assurer que la personne choisit l’entreprise pour les bonnes raisons, qu’il y a le bon matching.

Et la capacité à se concentrer, faut-il la rechercher chez les candidats ?

Marie Lacroix : Oui selon nous car c’est une capacité transverse. Puisqu’on va laisser les tâches à l’IA, les humains vont garder les tâches complexes. Donc la charge cognitive et émotionnelle va être de plus en plus forte. Savoir libérer de l’espace mental devient vital et savoir se concentrer est un préalable. D’autant plus dans un monde digital. Heureusement, ça se travaille.

Marlène Ribeiro : je l’utilise moi-même en entretien. Savoir se concentrer est une qualité essentielle au métier de recruteur ! Quand on écoute des candidats, il faut être concentrée pour être en écoute active.

Comment les recruteurs repèrent-ils les soft skills sur le CV ?

Lise Ferret : sur le CV d’abord, les candidats ont pris l’habitude d’énumérer leur soft skills avec des systèmes de notation avec des étoiles. Puis nous recherchons les engagements annexes dans des associations, des centres d’intérêt, la participation à des événements (course, humanitaire). Et dans le cadre de l’entretien, nous observons ses interactions avec le manager opérationnel, le RH puis les futurs collègues afin de l’observer en situation.

Marlène Ribeiro : nous observons aussi la mise en avant des soft skills dans les CV. Mais c’est en entretien que nous demandons des exemples précis, des situations dans lesquelles le candidat a pu montrer tel type d’aptitude. Il faut donc se préparer avant l’entretien.

Marie Lacroix : ces exemples sont utiles car ils montrent que l’on a acquis ces compétences et qu’elles sont transverses et transférables à d’autres domaines.

Faut-il travailler ses soft skills une à une ?

Marie Lacroix : pas forcément. Travailler la « méta cognition », qui désigne le fait de penser sur ses propres pensées, permet de mieux comprendre son propre fonctionnement. Cette « méta » compétences facilite les autres. Par exemple la capacité à se concentrer, à apprendre à apprendre, ou la créativité. Une fois qu’on a appris quels sont les piliers clés de son cerveau, c’est possible de monter en compétences sur plein d’autres domaines. Y compris avec ses collaborateurs.

70% des cadres pensent que leur soft skills sont sous-utilisées

Certes leurs collègues reconnaissent leurs soft skills mais les cadres témoignent d’une certaine frustration au sujet des soft skills : 7 cadres sur 10 jugent en effet leurs compétences personnelles sous sollicitées (70%) ou non reconnues par leur employeur (72%).

Marlène Ribeiro : les entreprises n’ont pas encore fait leur révolution sur ces soft skills, ce qui explique pourquoi les cadres se sentent sous-exploités dans ce domaine. Autre explication : leurs taches ne leur permettent pas d’aller plus loin dans leur vie professionnelle. Si l’employeur ne met pas le paquet pour développer leurs compétences comportementales, il peut y avoir un tas de raisons pour le cadre de quitter son employeur.

Marie Lacroix : si l’entreprise n’est pas une entreprise apprenante et n’aide pas ses collaborateurs à se former, cela peut effectivement freiner la flexibilité ou l’envie de coopération entre salariés.

L'impact sur le salaire

C'est d'autant plus ennuyeux que 56% des cadres pensent que leurs soft skills ont un impact sur leur salaire.

Lire aussi >> Les soft skills que les entreprises s'arrachent

(cliquer pour agrandir l'image)

Sur le sujet des soft skills, vous pouvez lire aussi >>

 

* Etude réalisée par Cadremploi et Michaël Page  du 1er au 15 Avril auprès de 1641 répondants inscrits sur les bases de Cadremploi et de Michaël Page.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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