Femmes cadres et féministes, elles témoignent

Sylvie Laidet-Ratier

C’est sur leur lieu de travail que certaines femmes défendent ce légitime besoin d’égalité entre les droits des femmes et des hommes au quotidien. Féministes déclarées ou militantes de l’ombre, elles racontent comment leur engagement n’est pas toujours facile à vivre.
Femmes cadres et féministes, elles témoignent

Avec la mise en place du nouvel index visant à réduire les inégalités femmes-hommes au travail, le sujet de l’égalité s’invite de nouveau dans les entreprises françaises. Heureusement certaines femmes n’ont pas attendu cet outil pour faire valoir les droits des femmes avec les hommes. Même lorsqu’elles siègent dans un comité de direction.

 

Etre féministe, c’est avoir envie d’une société qui donne les mêmes droits aux femmes et aux hommes et qui les applique.

 

« Emmerdeuse de service »

Emmanuelle Jardat se souvient précisément être passée pour « l’emmerdeuse de service » lors de la présentation interne d’un film sur le lancement de la 5G. « On y voyait un père expliquer à sa fille tous les avantages de cette technologie. Et évidemment pas une mère, s’adressant à son fils. Là, on était dans le cliché du père sachant et de la fille ignorante. J’en ai explicitement fait la remarque lors d’un comité de direction. Et ce fut une fin de non recevoir. On m’a même assuré que dans les faits, la situation était celle là », raconte-t-elle volontiers.

 

Féminisme, mot tabou

Pour la présidente du réseau Femmes Mobiles, oui, « on doit être féministe au boulot ». Mais pas question pour elle d’affirmer que cet engagement assumé, est facile. « Dès qu’on se déclare féministe, on embête le monde », assure-t-elle. « En entreprise, le féminisme est encore très assimilé aux femen seins nus et génère donc beaucoup de fantasmes », ajoute Olga Trostiansky, présidente du Laboratoire de l’égalité et cadre supérieure dans le secteur privé.

 

En entreprise, les féministes pures et dures, ça effraie aussi bien les hommes que les femmes

 

« Dès lors que vous parlez égalité professionnelle, un certain nombre de personnes vous taxe de féministe dans le mauvais sens du terme. Si vous êtes une militante acharnée, vous manquez nécessairement de recul et de capacité d’analyse », renchérit Catherine Bonneville-Morawski, dirigeante du cabinet de conseil en mixité Eragina. Dommage car être féministe c’est simplement « avoir envie d’une société qui donne les mêmes droits aux femmes et aux hommes et qui les applique », souligne Charlotte Groppo, vice-présidente du Comité national ONU Femmes France, en charge du plaidoyer.

 

 « En entreprise, les féministes pures et dures, ça effraie aussi bien les hommes que les femmes qui considèrent que l’on n’est pas là pour défendre des idées personnelles », insiste Catherine Bonneville-Morawski, également fondatrice du Club Comelles.

 

Etre dans une logique réformiste et pas révolutionnaire

Pour faire passer un engagement féministe sur son lieu de travail, le plus judicieux n’est peut-être pas de l’afficher tout de go. Mais de « ruser ». « Il faut avoir des éléments de communication et des arguments adaptés aux différents niveaux hiérarchiques et y aller par étape. Ne pas présenter le sujet comme un combat mais plutôt avancer des arguments factuels et notamment économiques. Moi, je n’emploie pas le mot féministe mais plutôt des mots comme mixité, qui permettaient d’embarquer plus de gens », illustre Olga Trostiansky.

Une rhétorique que n’approuve pas Charlotte Groppo : « si on compte 100 hommes et une femme, c’est mixte. Et pourtant loin d’être égalitaire ». Selon elle, pour faire bouger les lignes dans le monde du travail, les femmes doivent connaître leurs droits en matière d’égalité professionnelle afin de savoir s’ils sont respectés. « Pour repérer si les écarts de salaire entre les femmes et les hommes, il ne faut plus avoir peur d’aborder les questions d’argent », estime-t-elle.

>> Lire aussi : Le nouvel index sur les écarts de salaires femmes-hommes sera-t-il plus efficace ?

 

De même, nos expertes recommandent de se fédérer entre femmes, voire avec les hommes. « Mieux vaut s’inscrire dans un collectif pour commencer à dire haut et fort les choses. Par exemple dans un réseau de femmes interne ou externe ou dans une organisation syndicale. On peut également travailler avec un sponsor. En tout état de cause, amener le sujet doucement et pas frontalement. Bref, ne pas être dans une logique révolutionnaire mais plutôt réformiste et le faire au rythme de la culture de l’entreprise », explique Olga Trostiansky.

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Féminisme et carrière, un combo gagnant ?

« Je suis persuadée que mon engagement féministe a eu un impact sur ma carrière, affirme Emmanuelle Jardat, également présidente du collectif WHAT. J’ai 5 enfants et depuis l’arrivée du quatrième, j’ai été rétrogradé. Afficher mon féminisme n’est pas un problème pour moi car je tire ma satisfaction personnelle ailleurs que dans le travail. Si j’avais vraiment voulu gravir les échelons, cela aurait posé problème, c’est sûr ».

Olga Trostiansky confirme que ce type d’engagement peut avoir un « effet limitant sur une carrière ».

 

>> En video : Tonie Marshall, réalisatrice de Numéro une : "Il faut des réseaux mixtes, pas uniquement féminins"

 

« Il suffit d’être perçue comme féministe, donc sans même être ouvertement déclarée tel, pour que l’avancement devienne compliqué. Et si le mouvement #Metoo a fait un peu avancer le sujet des violences faites aux femmes dans la société, il ne fait pas comprendre les inégalités femmes-hommes au travail », déplore-elle.

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Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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