La philo, les Indiens Kogis et les cathédrales au secours du management moderne

Céline Husétowski

Et si au lieu d’inventer de nouvelles méthodes, il suffisait de s’inspirer de celles qui font leurs preuves depuis des décennies. Plongée au cœur des sciences humaines, remèdes anciens pour blessures modernes.
La philo, les Indiens Kogis et les cathédrales au secours du management moderne

Au Salon du management les 13 et 14 novembre dernier, trois séminaires brillaient dans le programme par leurs intitulés un peu bizarres :  " Histoire des cathédrales du XIIᵉ au XIVᵉ siècle ", "Philosophie et management et "Les 9 principes de management des indiens Kogis". Une erreur de casting ? « Pas du tout », répond Arnaud Fimat, l’organisateur du salon et associé à la Maison du management. « Avec ces ateliers, nous voulons aider les managers à s’ouvrir l’esprit, sinon ils auront tous les mêmes méthodes de management », explique-t-il. Mais comment peut-on s’inspirer concrètement de la philosophie, de la sociologie et de l’histoire pour trouver du sens à son management ?

Utiliser la philosophie pour questionner le sens des mots

L'atelier sur la philosophie et le management animé par Marion Genaivre, philosophe, et Flore Bernard, manageuse de l’agence Thaé, a attiré beaucoup de monde. Pour y assister, il ne fallait pas obligatoirement se rappeler de ses cours de philo du lycée, mais « juste avoir l’envie de s’interroger sur les mots ». Bon, les cours de philo pouvaient quand même un peu aider à comprendre plus vite les références de l’atelier…

Avec l’avènement du taylorisme (l’organisation scientifique du travail et la division des tâches), beaucoup d’organisations veulent replacer l’être humain au cœur de leur système. Mais comment concilier sens et productivité ?  « En retrouvant le sens des mots », répondent les deux intervenantes.

D’ailleurs, connaissez-vous la racine étymologique du mot manager ? Selon l’Oxford English Dictionnary, il proviendrait du vieux Français mesnager et signifierait l'art d'administrer un ménage.  « Donc travailler ce n’est pas que produire, c’est aussi vivre ensemble sous le même toit et s’occuper du sens des tâches de façon judicieuse », reformulent les deux philosophes. Mais le mot manager vient aussi de l’italien « maneggiare » qui signifie « tenir en main les rênes d'un cheval ».

Le sens que l'on donne au mot a donc de l’importance, « mais on n’a pas forcément la même définition et c’est là où ça bloque », expliquent les co-fondatrices de Thaé. Alors il faut s'autoriser à redevenir un enfant et faire l’effort de se questionner alors que « le cerveau est un peu paresseux », sourit Marion Genaivre.

Il n’y a pas longtemps, elle a accompagné un comité de direction qui n’arrivait pas à travailler de façon optimale : « il n’avait pas la même définition du mot coopération », raconte-t-elle.

Avec des ateliers, et en entretien individuel, elles ont interrogé tous ses membres pour comprendre ce qu’ils mettaient derrière le mot coopération.  « Et ce n’est pas un exercice facile car ça remet en question », analyse la philosophe. Mais ça permet de redonner du pouvoir à ce que l'on pense et de mieux expliquer une décision de management », souligne-t-elle.


S’inspirer de l’intelligence collective de l’époque médiévale

A l’atelier " Histoire des cathédrales du XIIᵉ au XIVᵉ siècle ", la salle était presque pleine. « Je ne pensais pas que vous alliez venir si nombreux »,a lancé l'intervenant qui n'en revenait pas. Mais pourquoi les cathédrales médiévales ont-elles attiré des managers du XXIᵉ siècle ? On ne les voit plus, on passe parfois à côté sans se rendre compte mais la France compte plus de 154 cathédrales. Et il y en a une que tout le monde connait, c’est Notre-Dame de Paris avec sa nef haute de 33,5 mètres, une prouesse technique pour une époque sans technologie.

Commencée en 1163, sa construction s’est achevée 160 ans plus tard. « En tout, 6 générations, 111 corps de métier et plus de 20 équipes se sont relayées pour achever l’œuvre », détaille Yann Harlaut avec passion. Comment fédérer des êtres humains sur une période aussi longue ?  « Celui qui intégrait le chantier savait qu’il avait peu de chance de voir l’œuvre achevée, il devait donc transmettre la vision du projet et son savoir », explique l’historien.

Alors que doit faire le manager du XXIᵉ siècle ? Mettre un costume médiéval pour prolonger l’esprit du chantier ? « Il doit accompagner le développement de l’intelligence collective », répond l’expert des cathédrales.

Concrètement, sur une mission récente dans le secteur du luxe, l’expert a observé « qu’il y avait un fort besoin de main-d'œuvre à cause de la demande. Pour pérenniser leur savoir et le sens du projet de l’entreprise, nous avons expliqué que les ouvriers déjà experts pouvaient devenir des formateurs », explique-t-il.

Et le rôle du manager du XXIᵉ siècle, c’est de devenir « cet accompagnateur du développement de l’intelligence collective », conclut l’historien.

Dialoguer comme les Indiens Kogis

On parle beaucoup des pratiques insolites des tribus dites « primitives » qui vivent en dehors de la société industrielle, mais jamais de leur rapport au management. A l’atelier " Les 9 principes de management des Indiens Kogis ", Éric Julien, consultant et auteur était venu partager ses découvertes, extraites de son dernier ouvrage Le Choix du vivant*.

Sa première rencontre avec ce peuple remonte à 1985. Alors qu’il escalade une montagne en Colombie, il est victime d’un œdème pulmonaire et est soigné par les Indiens Kogis . Dans cette communauté d'environ 20 000 âmes dont l'origine remonte à plus de 4 000 ans, on vit en totale harmonie et dans la paix avec la nature. Particularité de leur civilisation, le mot guerre n’existe pas dans leur langage. De plus, la femme étant considérée comme sacrée, elle participe à chaque décision.

Dans leur organisation, le dialogue est primordial. « Dialoguer, c’est comprendre ce qui emporte les esprits et essayer de réfléchir ensemble à une solution globale », décrit Éric Julien. Ils prennent énormément de temps avant de décider pour que leur décision ne lèse personne », décrit l’auteur. Mais comment font-ils ? Ils pensent de l’égo à l’écho. Autrement dit, ils co-construisent pour agir tous ensemble.

L’entreprise c’est comme un corps, « si l'énergie donc la communication ne circule pas, elle tombe malade », commente Éric Julien.

Un retour aux sources pas forcément évident à mettre en place dans des sociétés à l’organisation pyramidale. A noter tout de même que l’équivalent du manager chez eux, c’est plutôt le chamane qui veut dire guérir. Et son rôle c’est de soigner toutes les relations de la communauté. Le manager serait-il un guérisseur qui s’ignore ?

 


* Eric Julien, Le choix du vivant, M.H. Strauss, Editions Les Liens Qui Liberent, Paris, 2018

Céline Husétowski
Céline Husétowski

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