Religion au bureau : les managers en première ligne

Ingrid Falquy

Dans le lieu du "vivre ensemble" par excellence qu’est l’entreprise, on peut exorciser ses démons en parlant des attentats, de l’État d’urgence, et même de religion. C’est autorisé par la loi, mais le manager doit veiller au grain pour que ces saines discussions ne débordent pas vers du communautarisme ou du racisme.
Religion au bureau : les managers en première ligne

Contrairement aux idées reçues, la laïcité ne s’applique pas dans les entreprises privées. Les salariés ont le droit de parler de leurs convictions, et même de porter des signes religieux au travail. Le principe de neutralité ne s’applique en effet qu’à l’État et à ses représentants. « Cette liberté fondamentale connaît des limites : celles de la protection des individus et de la bonne marche de l’entreprise », précise Nicolas Cadène, rapporteur de l’Observatoire de la laïcité.

Évacuons tout de suite les cas des signes religieux ostentatoires. Ils peuvent être interdits dans plusieurs cas : s’ils entravent la sécurité des salariés, par exemple un voile sur une machine-outil ; l’hygiène, par exemple une longue barbe dans une cuisine ; ou s’ils empêchent le collaborateur d’effectuer sa mission correctement. L’employeur peut demander à ses salariés de porter une tenue plus neutre, et si le collaborateur refuse, cela peut être un motif de licenciement.Évidemment, le prosélytisme ne peut être toléré. Il est interdit de prêcher pour sa paroisse ou de distribuer des tracts à ses collègues.

Le manager, un médiateur

« Les entreprises sont rarement confrontées à ce genre de situation mais quand cela arrive, c’est assez grave en général. Les managers doivent y être préparés », développe Nicolas Cadène. Pour cela, l’Observatoire de la laïcité a mis en ligne un guide spécifiant ce qui est autorisé ou non. Un support permettant de remettre ses collaborateurs sur les rails, avec une preuve de son illégalité. « Dans tous les cas, il faut toujours que le manager revienne sur des critères totalement objectifs : ce n’est pas la croyance qui pose problème. »

Sanctions et arrangements

« Un manager doit savoir parler à ses équipes, sanctionner avant qu’il ne soit trop tard, et se montrer souple avec ses collaborateurs selon leur situation, mais avec équité », considère Boujema Hadri, du cabinet de formation Very Important Training. Absences lors des fêtes religieuses, horaires décalés, régimes alimentaires : sur tous ces sujets, l’entreprise n’a aucune obligation, mais le formateur conseille aux managers de prendre en considération les besoins de chacun. Même si dans la décision finale, ce sont les besoins de l’entreprise qui priment.

« Autant que possible, il ne faut pas répondre à des prescriptions particulières mais privilégier l’intérêt général », développe Nicolas Cadène. Il donne l’exemple de l’option végétarienne à la cafétéria, qui permet de proposer une alternative à tous les collaborateurs sans que les convictions politiques ou religieuses ne soient soulignées.

Parler, parler, parler

Et quelle est la place du débat religieux en entreprise ? « On ne peut pas empêcher les collaborateurs de discuter de l’actualité, en particulier après de tels événements », concède Boujema Hadri. Et tant qu’il n’y a pas de prosélytisme, ces discussions peuvent être saines. Elles peuvent être un moteur du "vivre ensemble" et de la cohésion d’équipe. Pour éviter les dérapages le manager doit veiller au grain. « Que le sujet soit politique ou religieux, c’est au manager de calmer le jeu si besoin. Il doit faire preuve de pédagogie. » C’est un lourd poids à porter pour un seul homme ou une seule femme, qui peut donc s’appuyer sur la loi pour poser des limites, à défaut d’avoir une connaissance théologique assez poussée pour animer un véritable débat de société.

Ingrid Falquy
Ingrid Falquy

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