Le CV anonyme n'a pas dit son dernier mot

Sylvie Laidet-Ratier

Le revoilà. Après avoir été porté aux nues en 2006 dans une loi sur l’égalité des chances puis jeté aux oubliettes faute de décret d’application, le CV anonyme fait son comeback dans certains processus de recrutement.

Le CV anonyme revient sur le devant de la scène. Depuis le 6 janvier et durant 6 mois, le conseil général de l’Essonne expérimente ce dispositif pour le recrutement de ses agents. Le patronyme, le sexe, l'âge, la nationalité, l'adresse sont désormais rendus invisibles sur le logiciel de dépôt de candidatures de la collectivité employant près de 4.700 agents et recrutant plusieurs dizaines de personnes par an. Objectif : éviter les discriminations à l’embauche en faisant disparaître tous les critères susceptibles d’introduire un biais dans l’appréciation du candidat par le recruteur. Seuls subsistent la formation, le parcours professionnel et les compétences. Avant lui, le Conseil régional d’Aquitaine s’était lancé dans cette démarche. « Il n’est pas étonnant que les collectivités s’emparent du sujet. Les concours d’accès à la fonction publique respectent déjà cet anonymat », souligne Jean-François Amadieu, sociologue et directeur de l’Observatoire des discriminations, partenaire de l’expérimentation dans l’Essonne.

Des grandes entreprises comme PSA, Sanofi, mais aussi Unibail-Rodamco et Axa utilisent aussi cette technique pour sélectionner tout ou partie de leurs nouvelles recrues. Mais contrairement à ce qui était prévu dans la loi sur l’égalité des chances de 2006, le CV anonyme ne s’est pas imposé dans les entreprises de plus de 50 salariés. A cela plusieurs raisons : d’abord, 8 ans après la loi de 2006 sur l'égalité des chances, les décrets d’application n’ont toujours pas été publiés. Jean-François Amadieu vient à ce propos d’adresser un courrier au Premier Ministre demandant leur publication.

Ce dispositif a été étouffé dans l’œuf par les résultats de l’évaluation de l’expérimentation du CV anonyme par Pôle emploi. Cette étude conclut « qu’en moyenne, le CV anonyme n’améliore pas les chances d’accéder à un entretien d’embauche pour les publics susceptibles d’être discriminés ». Pire, il aurait un impact négatif. Ainsi, pour les candidats issus de l’immigration ou habitant une zone urbaine sensible, la probabilité d’accéder à un entretien passe de 9,6% avec un CV nominatif à 4,6% avec un CV anonyme. Ce résultat, que les chercheurs qualifient eux-mêmes « d’inattendu », pourrait être lié au fait que le CV nominatif permet au recruteur d'être plus compréhensif face à des carences dans la lettre de candidature, liées au background socio-culturel du candidat. « Malgré tout, le CV anonyme profite aux femmes et aux seniors. Alors pourquoi s’en priver ? », s’interroge Jean-François Amadieu. Cette même étude montre en effet que les femmes ont davantage de chance de décrocher un entretien avec un recruteur masculin, suite à l'envoi d'un CV anonyme qu'à l'envoi d'un CV « sexué ». S’il n’obtient pas gain de cause lors de son rendez-vous à Matignon le 27 janvier prochain, le chercheur se réserve le droit de saisir le Conseil d’Etat.

   

Des entretiens sans CV à Pôle emploi

Pour valoriser des profils de candidats qui ne seraient peut-être pas retenus sur CV en raison de leur âge, de leur sexe et de leur lieu d’habitation, les équipes de Pôle emploi de Seine-Saint-Denis testent la webcam comme outil de sélection. Le chercheur d’emploi, sélectionné à partir de son CV par l’agent Pôle emploi, est formé à la technique d’entretien à distance via différents ateliers. Le jour J, il se rend à l’agence et dispose de 10 minutes pour se présenter et convaincre le recruteur par webcam interposée. « Au delà du gain de temps, la pré sélection par webcam permet au recruteur d’interroger le candidat sur des aspects qui n’apparaissent pas sur un CV ou sur une lettre de motivation. Par exemple l’aisance relationnelle et la motivation », souligne François Buclin, chargé de mission au Pôle emploi de Seine-Saint-Denis. S’il a été convaincant, le candidat est ensuite convoqué à un entretien physique avec l’employeur.

  

Sylvie Laidet © Cadremploi.fr

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

Vous aimerez aussi :