Dis-moi quels mails tu envoies, je te dirai quel cadre tu es. La chercheuse Sophie Bretesché, qui a cosigné l’ouvrage E-bureaucratie - Le travail emmailé des cadres, a tenté de comprendre ce que nos mails révèlent de nous. Avec ses collègues de l’école des Mines de Brest, elle a observé et interrogé les cadres d’une grande collectivité de l’Ouest de la France. Et leurs pratiques, comme l’usage qu’ils font du mail, sont éclairants, bien au-delà de la fonction publique, de notre rapport à cette sacrée boite aux lettres électronique, qu’elle appelle « le métronome du travail des cadres ».
Interrogée par Cadremploi, elle distingue quatre types d’utilisateurs de mails. De ceux qui subissent la déferlante et parfois la contournent, à ceux qui en profitent pour briller ou éviter les heurts :
Les narcisses : des satisfaits du mail
On en connaît tous. Ils sont nos collègues ou nos chefs et, au détour d’une conversation, ils glissent d’une manière récurrente, en s’en plaignant évidemment, qu’ils reçoivent 600 mails par jour. Sur leur smartphone s’affichent 20 000 mails non lus. « C’est un phénomène narcissique, une manière pour eux de se donner de l’épaisseur sociale » a observé Sophie Bretesché. Après la « grosse » voiture de fonction, le « gros » paquet de mails signe leur importance dans l’entreprise.
Les pilotes de planeur ou le refus du conflit
Ils sont cadres encadrants et leurs ordres, conseils, instructions ou réprimandes passent exclusivement par le mail. « Ils s’y surinvestissent, y passent beaucoup de temps. Mais, souvent, ne sont pas très productifs. » Tout en donnant le change grâce à cette avalanche de messages. Surtout, ils managent peu en face à face, pas plus qu’au téléphone. « C’est une manière pour eux de se protéger et d’éviter les conflits, conclut l’universitaire. Car à l’écrit, on est plus posé, et on évite d’être dans le réactif qui peut dégénérer ». Ils semblent piloter l’avion, mais ne font que planer au dessus des conflits.
Les transgressifs briseurs de hiérarchie
Prendre rendez-vous avec son N+2 pour parler de son N+1 est une véritable démarche. Pas toujours évidente. En revanche, lui envoyer un mail, est simple comme un clic. De la même manière, lorsque l’on veut faire valider une idée, obtenir un soutien pour qu’il ruisselle jusqu’à son chef direct, il est tentant de s’adresser directement à dieu plutôt qu’à ses saints. « Une pratique devenue courante et qui a tendance à désorganiser les entreprises ». Comme sa version plus sournoise : le mail mettant la hiérarchie en copie ou, plus fourbe encore : en copie cachée.
Les adeptes du SMS : le sens des priorités
Pour eux, le mail ne sert qu’aux affaires courantes. Ils sont conscients de l’accumulation de messages qui sont souvent survolés, lorsqu’ils sont effectivement lus. « Les messages importants et urgents, ils les passent plutôt par SMS » ou par WhatsApp. Peut-être ces lassés du mail ont-ils été confrontés aux réponses tardives ou aux non-réponses. Et à leurs conséquences. « Certains perçoivent du mépris lorsqu’une réponse à un mail tarde trop, ou lorsqu’il n’y a pas de réponse. Ils peuvent se sentir humiliés ». Ces adeptes du SMS utilisent aussi cet outil en appui du courriel. « J’ai observé que certains cadres envoyaient un SMS à leurs collaborateurs pour leur signifier qu’il venait de leur envoyer un mail » A la manière d’une lettre recommandée.