Souligner la situation exceptionnelle
A situation exceptionnelle, action exceptionnelle
Thierry Chavel
Dans cette période, les managers doivent faire comprendre que cette décision d’imposer des congés constitue une solution pour pérenniser l’activité. Une vision partagée par Arnaud Pottier Rossi, directeur général de Kalaapa (agence de stratégie d’influence) : « Il est important de rappeler le caractère inédit de la situation, même si tout le monde le sait. On fait suite à plusieurs mois de mouvements sociaux, il reste des cicatrices. Or toucher aux congés, c’est toucher à un acquis social fort en France, qui nous distinguent d’autres pays ».
En appeler à la solidarité
Si toutes les entreprises s’arrêtent, il y aura un effet domino sur les emplois
Pascal Grémiaux
Face aux conséquences du confinement, tout le monde est dans le même bateau. Le manager peut le rappeler pour que le message passe mieux, selon Thierry Chavel, fondateur de CEO Companions (coaching de dirigeants). « Il est nécessaire d’aller chercher les ressorts de l’engagement collectif, de la solidarité, assure-t-il. Pour sauver l’entreprise et sa viabilité, tout le monde doit faire un effort ».
Pascal Grémiaux, le président et fondateur d’Eurécia (SIRH), a utilisé cet argument pour expliquer les circonstances à ses salariés : « Si toutes les entreprises s’arrêtent, il y aura un effet domino qui impactera forcément les emplois de chacun. Si on veut les préserver, il y a un effort de solidarité à avoir ».
Être transparent et sincère
Selon Arnaud Pottier Rossi, « l’un des facteurs essentiels est de bien expliquer aux salariés la situation économique de l’entreprise, les tenir informés des démarches mises en place (prêts de la BPI, paiement des loyers…) et des indicateurs économiques et être le plus transparent possible avec eux ».
Une transparence que Selectra a prôné auprès de ses collaborateurs depuis deux semaines. Pierre Mariage, Chief Financial Officer de ce comparateur d’offres d’électricité s’explique : « L’idée directrice est d’informer les salariés. Il faut les appeler et leur communiquer des informations sur la perte d’activité, avec chiffres à l’appui, sur les mesures du gouvernement et sur les raisons de ce choix, précise Pierre Mariage. Il est nécessaire de communiquer à chaque décision et dire en toute transparence ce qu’on fait, ce sur quoi on peut s’engager et ce sur quoi on ne peut pas s’engager, vue la situation qui évolue chaque jour ».
Si les managers ne peuvent pas toujours être 100% transparents, ils peuvent rappeler que « ce qui était vrai il y a trois semaines a volé en éclat, explique Thierry Chavel. Les congés imposés ne sont qu’un prétexte pour faire évoluer les mentalités et montrer qu’on a basculé dans un autre schéma ».
Rappeler les enjeux
Économiquement, ce n’est pas intéressant pour l’entreprise et les managers de placer ses salariés en congés payés. Ce n’est donc pas une mesure financière, mais bien une mesure pour que l’activité redémarre quand cela sera possible.
Arnaud Pottier Rossi
Montrer l’exemple
« Rien n’est plus contagieux que l’exemple », écrivait La Rochefoucauld. Autant appliquer la règle aussi en tant que manager. « On ne peut pas imposer des congés payés et ne pas le faire soi-même, » affirme l’expert en influence, Arnaud Pottier Rossi. « Il peut y avoir des exceptions, je pense aux collaborateurs indispensables à la survie de l’entreprise », complète le directeur général de KE France (stores d’extérieur), Jérôme Foucault.
Montrer l’exemple en tant que manager renforce aussi la confiance dans les équipes, selon Pierre Mariage : « Tout le monde est dans le même bateau. En montrant l’exemple, on renforce le lien de confiance entre les salariés et le management. Et l’on évite de donner une impression de déconnexion ».
Ne pas imposer
Si la loi du 23 mars utilise le mot « imposer » en évoquant les congés, mieux vaut le prendre avec des pincettes. Pascal Grémiaux estime que « l’objectif est de ne pas passer en force mais d’expliquer que pour la survie de l’entreprise et donc des emplois, cela apparaît comme la solution du moment. Imposer des congés arrive en dernier ressort, si l’effort n’est pas consenti de la part du salarié ».
Ne pas jouer le petit chef
Un bon manager apporte une sorte de réassurance
Pascal Grémiaux
Dans les périodes troublées, les comportements peuvent changer. Selon Pascal Grémiaux d’Eurécia, « les émotions individuelles et collectives sont exacerbées. Il faut essayer d’être le plus juste et le plus équitable possible ». Une attitude qui, sur le long terme, aura des conséquences, assure Arnaud Pottier Rossi : « Aujourd’hui, les actes managériaux sont ressentis de manière décuplée. Un bon manager apporte une sorte de réassurance. Un mauvais manager risque de casser la confiance et les collaborateurs ne le pardonneront pas par la suite ». Les managers doivent vraiment « oublier les messages trop directifs », complète Thierry Chavel.
Ne pas être insensible
La question des congés demeure délicate en toute situation et d’autant plus dans cette période de confinement. Face à des collaborateurs qui avaient prévu des congés en mai, lorsque l’activité pourrait repartir, « il faut être dans l’empathie, essayer de comprendre ce qu’ils vivent », explique Arnaud Pottier Rossi. Si des collaborateurs avaient déjà posé des vacances en mai avec des frais non annulables, l’entreprise peut réfléchir à une compensation financière dans le temps ou à un accompagnement pour leur permettre de reporter leurs congés. Le manager a tout intérêt à être dans l’empathie et a essayé de trouver des solutions et des compensations sur le long terme ».
Ne pas faire du favoritisme
Personne ne doit sentir que ces congés imposés sont une sanction
Thierry Chavel
« Il faut adopter une position cohérente et être juste, explique Pascal Grémiaux (Eurécia). On ne peut pas avoir un traitement spécifique pour chaque salarié ». Afin d’aider le manager dans ses explications, Arnaud Pottier Rossi suggère de rappeler que « cette décision d’imposer des congés passe par un accord d’entreprise ou de branche et qu’elle ne constitue en rien une décision personnelle et individuelle ».
Cet argument peut aussi permettre d’éviter de ressortir de vieux écueils sur des congés passés, trop pris par certains salariés par exemple. « Personne ne doit sentir que les congés d’avril sont une sanction, souligne Thierry Chavel. Il ne faut pas se saisir de cette opportunité pour régler des comptes et faire des amalgames avec d’autres moments ».
Ne pas évoquer les prochains congés
Les ponts de mai et les congés d’été arrivent à grande vitesse. Or, l’activité aura repris et toutes les entreprises auront besoin de leurs collaborateurs pour sauver le chiffre d’affaires perdu pendant le confinement. Selon Thierry Chavel, « évoquer les vacances d’été constitue une maladresse en situation de crise. Il faut raisonner à très court terme et ne surtout pas se projeter trop loin car personne ne sait comment la situation évoluera au plan national comme pour l’entreprise elle-même ».
Si certains salariés s’inquiètent pourtant, les managers doivent être très concrets. « Tout le monde navigue à vue. La projection à un mois est déjà très délicate, donc il faut expliquer que l’entreprise fera tout son possible, mais il faut être honnête et montrer que pour l’instant, ce n’est pas la priorité », précise Arnaud Pottier Rossi.
Prendre moins de congés pour rattraper ce que l’on peut rattraper.
Jérôme Foucault
Jérôme Foucault le sait déjà, il faudra rogner sur les congés d’été chez KE France, dont l’activité est saisonnière et devait battre son plein en avril. « Il faut faire preuve de beaucoup de pédagogie pour faire comprendre aux salariés que la situation de cet été changera par rapport à l’année dernière. On devra prendre moins de congés pour rattraper ce qu’on peut rattraper. Ce seront de petits sacrifices par rapport à ceux qu’il y aura sans doute à faire à l’avenir ».
Journaliste indépendante, je m'intéresse au monde du travail et notamment à ses évolutions dans un monde en pleine mutation. Impact du digital, arrivée de nouvelles générations, management innovant sont autant de sujets qui me passionnent.