Municipales 2020 : de plus en plus de cadres à la tête des villes moyennes ?

Gwenole Guiomard

ELECTIONS MUNICIPALES 2020 – Nous sommes partis d’un chiffre étonnant : 60 % des maires des villes de plus de 10 000 habitants relèvaient jusqu'à présent de la catégorie "cadres et professions intellectuelles supérieures". Certains continuaient même d’exercer leur métier pendant leur mandat à temps partiel ou complet. Interrogé par Cadremploi, Martial Foucault, le spécialiste des élus locaux en France et auteur d’un livre sur les maires, explique la « managérisation » des élus qu’il observe à la tête de ces villes moyennes. Nous avons aussi interviewé trois cadres du privé, candidats aux élections municipales. Témoignages et analyse d’une tendance qui crée aussi des polémiques.
Municipales 2020 : de plus en plus de cadres à la tête des villes moyennes ?

Les cadres, grands absents de la vie politique française ? La thèse est séduisante. Ainsi, Jean-Christophe Fromantin, l’entrepreneur et maire divers droite de Neuilly-sur-Seine (60 580 habitants), tête de liste de la liste Fromantin 2020, se plaint d’un monde politique « souffrant d’une monoculture ». Il évoque aussi « une iniquité entre des fonctionnaires pouvant se mettre en retrait et retrouvant facilement leur emploi et des salariés du privé moins favorisés ».

 

16 % des maires sont cadres ou équivalents

Pourtant, cette vision relève en partie de l’image d’Epinal. Le rééquilibrage notamment vers des cadres issus des entreprises, Martial Foucault, l’observe depuis les années 80. Ce spécialiste de la sociologie politique communale en France, directeur du Cevipof (Centre de recherches politiques Sciences Po-CNRS) et auteur d’un récent ouvrage Maires au bord de la crise de nerf » (2020. Editions de l’aube), a fait ses propres calculs :

  • « Si l’on prend l’ensemble des communes, 16,1 % des maires exercent ou ont exercé des fonctions de cadres ou relèvent des professions intellectuelles supérieures*.
  • Mais lorsqu’on focalise sur les communes de plus de 10 000 habitants, on constate que 60 % de leurs maires correspondent à ces catégories supérieures.

Les cadres et professions intellectuelles* sont donc très largement majoritaires dans l’effectif des édiles de ces villes de plus de 10 000 habitants. Du fait de leur poids démographique, ces maires CSP+ dirigent la vie municipale de 30,1 % des Français. »

 

60 % des maires des communes de plus de 10 000 habitants sont cadres ou équivalents.

 

Quid des candidats aux élections municipales des 15 et 22 mars 2020 ? Au 15 mars, les données par catégorie socio-professionnelles n’étaient pas disponibles. Mais Martial Foucault prédit que, parmi les 902 465 candidats se présentant, un pourcentage important des quelque 34 970 maires qui seront élus seront des cadres ou des professions intellectuelles dites supérieures. « Cela est étayé par l’observation de 40 ans de vie politique municipale et 2020 ne dérogera pas à ce mouvement engagé dans les années 1980. »

 

Ronan Pichon

Informaticien à mi-temps chez un éditeur de logiciels et vice-président de la métropole de Brest

Candidat à la mairie de Brest (139 000 habitants)

 

Ronan Pichon, 49 ans, est un bon exemple de la présence des cadres issus du privé dans les villes moyennes. Titulaire d’un DEA (Master 2 aujourd’hui), cet informaticien est salarié, à mi-temps, dans une société privée éditrices de logiciel. Tête de liste de Brest écologie solidarités, il passera à 100 % en politique s’il a le bonheur d’être consacré à la tête de cette commune le 22 mars 2020 au soir.

« J’ai été élu en 2014 sur une liste d’union de la gauche, explique-t-il. Je suis aujourd’hui conseiller municipal et vice-président de Brest Métropole en charge du numérique, de l’économie sociale et solidaire et du développement durable. A part quelques grincements de dents au début, tout s’est bien passé avec mon employeur. Mon activité d’informaticien me sert dans mes fonctions politiques. Je suis ainsi très à même de bien mesurer la qualité des projets numériques, smart city et autres, que des entreprises peuvent proposer à la métropole de Brest. De plus, cela fait des années que je travaille, pour mon employeur parisien, en mode décentralisé, souple et agile. Cela m’aide pour exercer différemment mon mandat, meilleure façon, selon moi et a priori, de gérer un projet politique ».

Des maires gestionnaires vs bâtisseurs

Plus la taille de la ville est importante, plus la fonction se professionnalise. Et plus les compétences techniques sont un atout pour exercer un mandat de maire de plus en plus complexes. « Ces maires cadres sont souvent passés par des partis où ils ont démontré leurs compétences juridiques et financières, précise Martial Foucault.

L’attrait pour ces professionnels s’explique aussi par une évolution : « les électeurs recherchent des maires gestionnaires au détriment des maires bâtisseurs », estime Martial Foucault. Les premiers sont recherchés par les électeurs pour leurs capacités à être avant tout de bons techniciens.

 

Jean-Michel Genestier

Directeur des affaires européennes du groupe SNCF

Maire du Raincy (93) depuis 2014 et candidat aux municipales 2020 (liste "Réussir le Raincy")

 

A 57 ans, ce directeur des affaires européennes du groupe SNCF est aussi maire du Raincy (14 501 habitants) depuis 2014. Jean-Michel Genestier est élu local depuis 1983. Il se représente cette année, toujours tête d’une liste qu’il précise « sans étiquette ». « Je consacre 80 % de mon temps à mon travail comme salarié du privé, précise-t-il. Pour le Raincy, il me reste les pauses méridiennes, le soir et 3 jours, les vendredi, samedi, dimanche. J’enchaine au moins 20 rendez-vous par week-end. Je dors peu, j’ai une équipe de maires-adjoints exceptionnelle, je délègue beaucoup. Ma vie personnelle est réduite à peau de chagrin. Mon portable est mon meilleur allié.

Les compétences acquises dans le privé me permettent aussi de trouver plus rapidement des subventions. Mes réflexes et mon mode de communication sont également ceux de l’entreprise. Cela permet à ma ville de développer une capacité budgétaire plus importante permettant d’autofinancer des investissements comme la rénovation de notre piscine ».

Anne-Claire Boux

Chef de projet dans l’éolien pour EDF Renouvelables

Candidate écologiste à la mairie du 18ᵉ arrondissement de Paris (195 060 habitants

 

Anne-Claire Boux, 33 ans, est un autre exemple de la « managérisation » du personnel politique. La jeune femme a contribué au développement du parc éolien au large de Saint-Nazaire pour EDF Renouvelables. « Depuis janvier 2020, je suis en congé, précise la candidate écologiste qui se présente comme tête à la mairie du 18e arrondissement de Paris. J’ai été accompagnée favorablement par mon employeur. Mais si je suis élue maire, je perdrai en pouvoir d’achat. Mon expérience de manager m’a aidée à mener ce collectif et cette liste. Notre projet est co-construit et j’ai utilisé les techniques de concertation acquises en gérant mes projets dans l’éolien. Par contre, je n’avais pas eu d’expérience de prise à partie sur les réseaux sociaux où l’on peut vous dénigrer ou vous ridiculiser ».

 

Managérisation = standardisation ?

Cette emprise des cadres sur la vie politique locale des villes moyennes implique des programmes peu idéologisés et finalement peu novateurs. Ils se ressemblent ainsi beaucoup les uns les autres. Une sorte de standardisation où l’on retrouve la piétonisation des centres-villes, le développement des places en crèches ou le ticket de transport en commun le plus abordable possible.

Cette « managérisation » des maires va gagner l’ensemble des villes. C’est en tous cas la vision de Martial Foucault. Dans ce cadre, toutes les communes et pas seulement les villes moyennes, vont aussi se standardiser prédit l’expert. La professionnalisation de toutes les équipes municipales est en cours avec une montée en puissance d’une technocratie municipale composée d’un personnel politique et de maires de mieux en mieux formés, maitrisant les normes juridiques, le management, les missions par projets.

Dans cet avenir, les cadres du privé et du public sont les mieux placés pour occuper les postes des communes suffisamment importantes pour embaucher un directeur général des services ou un directeur de cabinet. Une expérience de gestionnaire/manager est un avantage considérable car cela permet à l’édile de moins dépendre des services de la préfecture.

 

* Cadres et professions intellectuelles supérieures : de quoi parle-ton ?

Dans cette large catégorie socio-professionnelle, l’Insee regroupe :

  • Cadres administratifs et commerciaux d'entreprise
  • Ingénieurs et cadres techniques d'entreprise
  • Profession de l'information, des arts et des spectacles
  • Cadres de la fonction publique
  • Professions libérales
  • Professeurs, professions scientifiques
Gwenole Guiomard
Gwenole Guiomard

Je suis journaliste spécialisé dans les questions de formation et d’emploi. L’un ne doit pas aller sans l’autre et la compréhension des deux permet de s’orienter au mieux. Je rédige aussi, tous les deux ans, le Guide des professionnels du recrutement. Je suis aussi passionné d’histoire et amoureux des routes de la soie.

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