Recrutement des séniors : vers des critères de sélection plus favorables. Vraiment ?

Sylvie Laidet-Ratier

Les profils séniors seront-ils plus facilement recrutés ? C’est ce qu’affirme une étude de l’Apec publiée en février 2020. Cadremploi a voulu savoir comment ces ajustements se font sur le terrain. Le manque de candidats provoqué par la fameuse « guerre des talents » obligerait certaines entreprises à s’ouvrir à des profils qu’elles négligeaient jusqu’à présent. Et notamment aux cadres qui affichent plus de 10 ans d’expérience sur les trois fonctions qui recruteront le plus de cadres en 2020 : commercial, R&D et informatique. Témoignages de 3 recruteurs avertis. Vérifications sur le terrain.
Recrutement des séniors : vers des critères de sélection plus favorables. Vraiment ?

Le marché est-il vraiment plus favorable aux profils de cadres séniors cette année ? L’étude Apec* publiée en février 2020 a analysé la situation dans les trois métiers qui recruteront le plus de cadres cette année. Pour avoir leur retour terrain, nous avons appelé trois recruteurs expérimentés :

  • Guillaume Beauvais, manager au sein de Clémentine, cabinet de recrutement spécialisé dans l’IT
  • Solène Le Baut, associée sénior au sein du cabinet Michael Page
  • Cyril Capel, dirigeant de CCLD recrutement, un cabinet spécialisé sur la fonction commerciale

Informatique : des profils séniors davantage chassés par les cabinets de recrutement

Le constat de l’Apec Dans ce secteur informatique qui va concentrer 23% des embauches de cadres cette année, les recruteurs ajustent leurs prétentions en termes d’expérience professionnelle et de niveau de diplôme. Si, pour les embauches en direct dans les ESN, cela joue en faveur des jeunes diplômés, l’Apec affirme que « lorsqu’ils s’ajustent, les recruteurs des cabinets privilégient les profils de cadres plus expérimentés ou plus diplômés ».

La réalité terrain C’est deux poids, deux mesures :

  • Pour des postes de DSI, directeur études, infrastructures, etc., les employeurs sont de plus en plus enclins à engager des séniors. « Ils sont même prêts à faire des efforts budgétaires pour profiter de leur valeur ajoutée et de leur expertise », observe Guillaume Beauvais, manager au sein de Clémentine, cabinet de recrutement spécialisé dans l’IT.
  • En revanche, un cran au-dessous, c’est-à-dire pour les seniors qui ne prétendent pas à ce niveau de responsabilités, les embauches coincent toujours, constate notre expert. Cette fois, ils sont toujours réputés trop chers au regard des postes à pourvoir.

Etudes et R&D : des profils séniors bienvenus sur les créations de poste

Le constat de l’Apec  La fonction Etudes-Recherche et développement va concentrer 16 % des besoins en recrutements de cadres en 2020, notamment pour des créations de postes.  Or, en face, le vivier de candidats reste très restreint. Conséquence, les entreprises sont obligées de réviser leurs prétentions sans pour autant rogner sur les compétences techniques et l’expertise requises. « Ces pratiques d’ajustement permettent aux cadres de plus de 10 ans d’expérience d’accéder à des postes études R&D pour lesquels ils sont surdimensionnés mais pour lesquels ils n’ont pas toujours le niveau de diplôme requis. Les cadres aguerris peuvent ainsi faire valoir leur expérience professionnelle et apporter d’autres savoir-faire comme le management d’équipe et de projet », résume l’étude.

La réalité terrain Solène Le Baut, associée sénior au sein du cabinet Michael Page, confirme : « Lors de créations de poste, si les grilles de rémunérations de l’employeur sont flexibles, nous pouvons considérer des profils plus seniors, pour qui les prétentions ne rentraient pas dans la grille initialement prévue ».

Commercial/vente : toujours pas les séniors d’abord !

Le constat de l’Apec  Même si le sentiment de tension est moins aigu en commercial vente qu’en informatique et en études R&D, 64 % des recrutements restent cependant compliqués selon les recruteurs. Alors, là aussi ils ouvrent l’entonnoir : les profils séniors « surdimensionnés » pour les postes proposés peuvent tout de même y accéder. « De plus, les cadres commerciaux peuvent valoriser une expérience différente de celle escomptée au départ. Ces pratiques favorisent le recrutement des cadres de plus de 40 ans qui représentent 28 % des recrutements en commercial-vente contre 23 % tous postes confondus », relève les auteurs de l’étude Apec.

La réalité terrain Cyril Capel, dirigeant de CCLD recrutement, un cabinet spécialisé sur la fonction commerciale, prévient franchement : « Oui, depuis 3 ou 4 ans, les entreprises sont plus ouvertes à des profils seniors. Mais on ne va pas se mentir. Malgré les discours « senior friendly », les séniors ne sont jamais les premiers choix des employeurs. »

Comment l’explique-t-il ? « En fait, il y a toujours un biais chez les recruteurs qui sélectionnent à leur image. S’ils sont jeunes, ils auront tendance à embaucher de plus jeunes candidats. Les séniors étant perçus comme trop chers et pas ultras dynamiques. Quand ils sont recrutés, les seniors ne parviennent pas nécessairement à obtenir des salaires plus importants. Donc pas d’ajustement de salaire pour eux à moins qu’ils n’apportent de réelles garanties. Par exemple, un portefeuille clients à forte valeur ajoutée. Mais dans ce cas, ce n’est pas la séniorité qui est rémunérée mais la qualité de la base clients », argumente-t-il.

* Etude de l’Apec publiée en février 2020, intitulée Ajuster le profil du candidat recherché pour recruter

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Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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