Réforme des retraites : la face cachée des fins de carrière des cadres seniors

Sylvia Di Pasquale

Pour Muriel Pénicaud, la pénibilité est une réalité, comme le rejet des seniors du monde de l’entreprise. Mais pour autant, la ministre du Travail ne prend pas en compte ces phénomènes lorsqu’ils touchent les cols blancs en fin de carrière. La chaîne LCI publie trois portraits de cadres séniors qui racontent cette période difficile et leurs idées pour faire évoluer les choses. Utiles alors que les discussions sont toujours en cours concernant les départs en retraite au-delà de l’âge pivot de 64 ans.
Réforme des retraites : la face cachée des fins de carrière des cadres seniors

Elle a salué l’allongement de l’espérance de vie « et surtout de vie en bonne santé ». Un préambule évident lorsqu’il s’agit de convaincre du bien-fondé d’un autre allongement : celui des années de travail avant l’accès à la retraite. Invitée de Jean-Jacques Bourdin sur RMC ce mercredi 8 janvier, la ministre du travail Muriel Pénicaud s’est évidemment déplacée pour évoquer la crise du moment, mais surtout les deux dossiers dont elle est particulièrement en charge : la pénibilité et le travail des seniors, l’un comme l’autre constituant évidemment l’un des freins essentiels lorsqu’il est question de travailler plus longtemps.

Il faut changer culturellement le regard.

Côté pénibilité, la ministre a bien entendu égrené les symptômes traditionnels qui la constituent, comme « la température, le bruit, les charges lourdes et les environnements chimiques et toxiques ».

Côté seniors, Muriel Pénicaud a constaté, comme tout le monde, que « les seniors ne sont pas toujours bienvenus dans les entreprises. »  Sa solution ? « Il faut changer culturellement le regard », ou plutôt le regard que les entreprises en question portent sur eux. Certes. Mais pas question de changer le regard des comptables sur les seniors en abaissant le coût du travail des salariés âgés. La ministre veut bien concéder quelques efforts à la marge sur ce domaine, mais sans systématiser cette solution.

 

La mise au placard et la pression : les oubliés de la pénibilité

Et pourtant. Comment "changer culturellement le regard", pour reprendre l’expression ministérielle, sans contraindre les entreprises à le faire ? Comment mesurer la pénibilité du stress, de la pression subie, encore plus difficiles à envisager que la pénibilité physique ? Et comment envisager, et résoudre, les deux problèmes, d’autant qu’ils sont souvent intimement liés ?

On le mesure au travers des trois portraits que le site internet de la chaine LCI, signés Sybille Lauren dans sa rubrique Open-space, a consacré à des cadres seniors. Des témoignages qui permettent de mesurer la violence d’un phénomène qui touche nombre de cols blancs après cinquante ans.

 

Trois cadres seniors témoignent de la violence de certaines entreprises.

 

Marie, 60 ans : virée au cours d’un déjeuner

Cette violence, Marie l’a subie. Aujourd’hui, à 60 ans, elle est en CDD, après s’être faite « virer » d’une entreprise dans laquelle elle a fait carrière. Pendant 30 ans. Le terme « virer » n’est pas trop fort et elle l’emploie elle-même. Son licenciement lui a été annoncé par un manager de transition. « Elle était là pour virer un certain nombre de personnes ». Dont elle. Marie est tombée malade et n’a retrouvé un emploi que trois ans plus tard, à durée déterminée. « Je ne suis plus cadre et mon salaire a baissé de moitié ».

 

Marc, 67 ans : poussé en retraite au cours d’un discours en public

Marc lui, a rebondi. Licencié sèchement, à 54 ans, de l’organisme HLM dont il était le directeur du développement, il retrouve un emploi, toujours dans l’immobilier, mais dans le privé. Une chance. Jusqu’à ce jour où il apprend qu’il… part en retraite. Son boss le lui annonce au cours d’un discours « sans m’en avoir averti ». Il n’a même pas été mis dans la boucle pour établir la fiche de poste de son successeur, un jeune cadre de 27 ans. 

 

Béatrice, 64 ans : au placard en attendant sa retraite

Béatrice, elle a eu plus de chances, si l’on considère que le fait de se retrouver au placard est une chance. Au faîte d’une carrière avec des responsabilités dans les relations extérieures (presse, sponsoring, communication et partenariats) d’une entreprise spécialisée dans l’optique et l’audition, elle est petit à petit dessaisie de ses dossiers, les uns après les autres. Mais elle est élue, au cours d’une élection professionnelle, et donc protégée. Elle évite la porte, et se voit affublée d’un titre de responsable sans vraiment de responsabilités, celui de chargée de projets seniors, créé spécialement pour elle. Elle s’avoue trop payée pour ce job, mais admet que « c’est leur problème, pas le mien ».

 

Des leçons nées des désillusions

Trois carrières impeccables, trois trajectoires stoppées nettes, mais aussi, trois personnes qui livrent des pistes, des solutions, pour que la situation des autres s’améliorent dans le futur.

  • Béatrice, elle donne surtout un conseil aux seniors, les exhortant à anticiper, pour ne pas tomber de haut, comme elle.
  • Marie quant à elle, fait le constat de ses erreurs, comme ce bilan de compétences qui l’on conduit sur une voie dans laquelle elle n’était pas formée.
  • Marc, lui, a découvert, mais un peu tard, que l’expérience et le réseau accumulé au cours des années est un atout évident pour un senior. Il s’en est malheureusement aperçu au cours de son pot de départ.

Toutes ces expériences, et toutes ces idées, pour ne pas se retrouver acculé le moment venu, ne sont, bien entendu, pas arrivée à l’oreille du cabinet de la ministre. Mais s’en priver, c’est se priver de la face cachée de la pénibilité et de l’allongement de la durée de travail chez les cadres, qu'on estime à tort être mieux armés dans ces environnements de travail où ils ont réussi à se faire une place enviable. Sauf que la face obscure des fins de parcours des ces catégories professionnelles est très spécifique aux responsabilités et aux salaires élevés.

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Tags : senior
Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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