Travaille-t-on mieux dans un bureau de rêve ?

Imene Besbes

[Interview Vidéo] - Espaces détente dignes d'un hôtel, hamacs géants, salles de jeux et même parfois spas ... Certains bureaux ressemblent de plus en plus à des hôtels 5 étoiles. Mais y travaille-t-on mieux qu'ailleurs ? Pour débattre de ce sujet, Cadremploi a reçu deux experts de la qualité de vie au travail.

Les invités

  • Jean-Pascal Foucault est enseignant-chercheur à l'Université de Compiègne et fondateur de TBmaestro, une société spécialisée dans la gestion des actifs physiques. C'est un passionné du bureau qui peut décortiquer le sujet à travers l'évolution de nos générations.
  • Camy Puech est fondateur et dirigeant de QualiSocial, une société de conseil et d'accompagnement pour le bien-être et l'efficacité au travail. 

 

On vient de voir des témoignages de salariés. Qu'en pensez-vous ? C’est quoi un bureau où il fait bon travailler ? 

Jean-Pascal Foucault : La qualité de vie au travail passe avant tout par de bonnes relations avec ses collègues. 

Camy Puech : Dans la qualité de vie au travail, on retrouve trois éléments essentiels : le sens qu'a notre travail, le rôle social, et les conditions matérielles de travail. Il y a des bureaux qui favorisent l'échange, d'autres non. En plus de l'aspect confort au bureau, il est important qu'il y ait une communauté de collaborateurs qui travaille bien ensemble.

 

Mieux vaut investir dans une chaise confortable ou un babyfoot ? 

JPF - On vise l'ergonomie de l'école des relations humaines dans le domaine de la gestion. Nous vivons dans une époque qui fuit les troubles psychiques, qui ne veut pas être submergée par les emails et la technologie... Cette réalité managériale amène d'autres défis, au-delà de l’environnement physique.

Parler de frigo m'a interpellé car c’est représentatif d'une réalité dans la gestion des immeubles. On cherche des moyens d’économiser de l’énergie. C'est dans ce cas que l'on retrouve souvent des environnements de travail où les températures ambiantes sont très basses, c'est à dire 19 degrés. Pour des gens assis sur une chaise, c'est très bas, mais les concernés ont trouvé des stratégies de contournement en plaçant des petits chauffages à leurs pieds par exemple. L'histoire du frigo ressemble à cette anecdote. C’est une stratégie de contournement pour pallier un élément manquant pour le collaborateur. Peut-être n’a-t-il pas d'endroits où stocker sa nourriture…

 

Doit-on reproduire notre chez soi au bureau ? 

JPF - C'est l'effet générationnel. Dans les générations vivantes, il y a la génération silencieuse, qui est née avant la deuxième guerre mondiale. Ensuite, il y a celle du baby-boom qui a bénéficié des trente glorieuses, de la paix, de la croissance, de la prospérité. Elle était dans une logique un peu ostentatoire avec la construction de la défense, des bureaux magistraux qui avaient pour but d'impressionner le voisin. En même temps, elle créait des environnements de travail classiques, normalisés, structurés.

A suivi derrière, la génération X qui est entrée dans le marché du travail à partir des années 90. Les personnes de cette époque sont arrivées dans un moment de moins grande prospérité et cela a généré des emplois dans le domaine de la banque, de l'assurance et de la technologie. Cela a amené, par exemple, la Silicon Valley et la création de start-up avec Jeff Bezos (Amazon) et Larry Page (Google). Des icônes de cette époque-là. Ils ont débuté avec le fauteuil de leur grand-mère et la cuisine de leurs parents pour faire leur bureau.

Les bureaux que l'on souhaite retrouver aujourd'hui, plus somptueux, sont amenés par un changement de génération. Lorsque les baby-boomers partent à la retraite, un besoin de jouvence des usages dans les bâtiments tertiaires fait son apparition. Ce besoin est impulsé par la volonté des générations Y et Z qui suivront. Ils veulent reconstituer le côté cool des start-up. Les tendances se sont sophistiquées depuis, notamment avec le design et le côté récréatif à la Walt Disney. Il y a vraiment eu un coup de plumeau dans la façon de revisiter la start-up et son aménagement.

 

Quels ingrédients doit avoir un bureau pour que l'individu travaille bien ? 

CP - Nous avons des outils qui pilotent l'engagement, l'humeur et l'ambiance au travail. On a, par exemple, un outil qui demande au collaborateur s'il a passé une bonne journée et pourquoi. Cela peut être par le biais d'une application, d'un buzzer physique ou d'un mail. On communique différemment selon le métier des personnes mais peu importe on retrouve quand même une tendance : 

 

40 % des mauvaises journées sont liées aux conditions de travail, au sens matériel.

Un mauvais PC, un mauvais outil, un mauvais bureau, etc. Tout ceci contribue aux mauvaises journées de travail. C'est assez colossal parce qu'on fait des économies sur l’acquisition de matériel informatique, mais lorsqu'on demande aux gens pourquoi ils travaillent mal, ils répondent qu’ils ont du mauvais matériel.

J'ai une double casquette, car mon métier est de promouvoir la qualité de vie au travail et les conditions de vie au travail pour favoriser la performance, mais je suis aussi chef d'entreprise, je suis donc confronté à la problématique. Je me fais confiance : quand j'ai envie de venir travailler je travaille mieux que lorsque je n'en ai pas envie, c'est évident mais c'est ça.

Et les locaux de Qualisocial alors ?

CP - Quand on rentre dans ces locaux (photos) qui sont à présent nos anciens locaux, on fait waoo, c’est un endroit magnifique. Mais cette réaction repart rapidement, on oublie la beauté du bâtiment. Si on n'a pas une organisation, des bureaux adaptés à un travail nomade, on ne va pas s'y plaire. Pour mes équipes, un travail nomade c'est : lorsque je veux travailler au cœur de mes équipes, j'ai l'open space, lorsque j'ai envie de m'isoler et de travailler sur un dossier de fond, je peux mettre un casque sur un canapé et être seul sans déranger les autres et si je veux des salles réunion, j'en ai. Je peux me déplacer. 

Les millenials impulsent-ils les changements au bureau ?

JPF - C'est l'héritage du rejet de leurs enfants papyboomers aujourd’hui. Ces enfants arrivent avec une certaine volonté de réinventer le monde à leur façon. Ils ont besoin d'un environnement à leur image. Ils ont grandi dans une forme d'opulence avec le numérique et tous ces objets autour d’eux. C’est le tiers-lieu qui est le plus fascinant et en général cela ne ressemble pas du tout à un bureau. C'est plus le café du coin ou la maison par exemple.

CP - Quand on regarde les études qui font la corrélation entre performance et bien être, on constate le lien direct : plus de bien être favorise le travail. Les gens sont moins absents, il y a moins de turn over, il y a plus de productivité, plus de créativité, plus d'engagement, plus d'investissement.

Ça se résume à une phrase qui est : quand j'ai envie de venir travailler, je travaille mieux que lorsque je n'ai pas envie de travailler.

Il y a le rejet du modèle où on dit que la forme est plus importante que le fond. On s'est aperçu grâce au numérique, en faisant du code, du graphisme, qu’on arrivait à créer énormément de valeur. Les sociétés qui font du numérique, qui sont à la pointe en matière de digital, qui font du business model sur ces sujets sont à des niveaux d'entreprises jamais atteints par le passé. Il suffit de voir les cinq plus grosses capitalisations boursières mondiales : Apple, Google, Amazon qui ne vend que sur internet ... Bref, des sociétés du numérique. Il y a énormément d'argent à faire sur ces métiers et le coût du confort par rapport au bénéfice que cela peut apporter grâce à la révolution numérique est dérisoire. Alors on a envie de dire au codeur, installe-toi comme tu veux, pour que tu sois le meilleur dans ta fonction.

JPF - Lors de la transformation d'un bâtiment, comme celui que l'on a vu en image (ex-locaux de Qualisocial), il y a des coûts importants à mettre en place, pour adapter au désir et plaisir de chacun et cette transformation devient pertinente d'un point de vu investissement dès lors qu'il y a des économies générées derrière. Des économies de mètres carrés, d’énergies, de toute sorte de consommation qu'on n'a plus, parce qu'on a des tiers-lieux pour compenser le déploiement de l'entreprise. C'est vraiment un point important pour une entreprise de transformer son bâtiment pour faire face aux nouveaux enjeux et défis. 

 

Qu'est-ce que vous pensez du flex office ? 

CP – Chez Qualisocial, on n'est pas en flex office, on est fixe + nomade. C'est perso et partagé par les collaborateurs, chacun a envie d'avoir son poste de travail. Dans le flex office, il y a un enjeu d'économie, beaucoup d'industries peuvent se le permettre. Je pense que le collaborateur a besoin de se rattacher à quelque chose, même s’il est vrai qu’on se détache de plus en plus au bureau physique. Beaucoup de sociétés passent en flex office et on retrouve des collaborateurs qui sont perdus parce qu'ils n'ont plus d'endroit à eux et mine de rien, ils appréciaient avoir leur endroit. 

 

On est parti visiter les locaux de Davidson, une société de conseil en ingénierie. Elle a été classée au palmarès du Great Place To Work, qui juge qu’il y fait bon de travailler quatre années de suite. On vous montre les images et on attend vos réactions ...


Ces lieux, sont-ils un décor ou un lieu propice au travail ? 

JPF - C'est tout à fait d’actualité par rapport à l'envie des générations Z voire Y. Mais avec les Z, qui ont vingt ans aujourd'hui, il faudra se poser des questions. Ils sont encore plus dans une logique de frugalité que les Y. La question qui se pose est : qu'est ce qui arrivera lorsque les vrais YOLO " You Only Live Once", arriveront sur le marché du travail ? Est-ce que ces types de bureaux seront encore adaptés ? Est-ce qu'on aura besoin d'une mouvance continuelle des lieux ?

Les YOLO ont un rapport au matériel qui ressemble à celle de la génération silencieuse, celle de leurs grands-parents. Ils ont appris à vivre avec des moyens financiers moindres que la génération Y. Ils ont peut-être plus besoin de trois mois par année pour faire le tour du monde plutôt que d’être dans des lieux merveilleux. C'est une hypothèse qui mérite d'être validée.

CP - Les locaux de Davidson Consulting sont magnifiques, il y a de super choses à faire là-bas. Il y a aussi des risques dans ces types de locaux. Lorsque nous avons déménagé, on a interrogé tout le monde et nous avons pris la décision collectivement de choisir de nouveaux locaux dans des espaces partagés. Ça nous permet de bénéficier d’énormément d’infrastructures avec moins d'investissements initiaux. 

Le risque que je vois dans des locaux comme ceux de Davidson Consulting, notamment pour les dernières générations, c’est que lorsque l'on met plein d'objets liés au plaisir, le collaborateur se dit « super, je vais commencer par le babyfoot avant d'aller travailler ». Certains n'arrivent plus à choisir entre travail et plaisir et il ne faut pas confondre bien-être et plaisir. 

Il y a plusieurs définitions du bien-être mais celle que je retiens c'est : pouvoir exercer efficacement et avec sérénité son activité. 

Le plaisir ce n'est pas ça, on fait quelque chose à l’instant T qui va procurer un sentiment, qui va procurer un mouvement émotionnel qui n'est pas forcément dans l'intérêt du long terme. Dans des bureaux comme ceux de Davidson, on a l'impression que le plaisir fait partie du travail, que le plaisir c'est le travail, qu'on est payé à jouer au babyfoot, mais c’est faux.

C’est une erreur qui peut retomber sur le dos des générations qui ne comprennent pas pourquoi elles n’évoluent pas, pourquoi elles perdent leur poste etc. Il y a un équilibre à trouver.

 

N’est-il pas possible de s’amuser en travaillant ? 

Cliquez pour retrouver notre article : Bien-être au travail : et si on arrêtait le bullshit ?

JPF - Il faut faire attention à bien dissocier les deux.

CP - Par moment dans l'équipe, il nous arrive de nous amuser parce que ça favorise les liens. Par contre, je demande à chacun de mes collaborateurs d'être responsable. Je leur donne des outils : les locaux, l’ambiance de travail, une vision, un objectif, ce pour quoi on travaille. Mais je ne peux pas travailler à leur place, je ne peux pas prendre les décisions qui vont faire que je vais générer ou non de la valeur ajoutée.

J’ai fait un sondage et je n'étais pas d'accord avec les résultats, car certains collaborateurs plaçaient le plaisir avant le travail et le bien-être. Alors j’ai refusé certaines demandes. Malgré tout en entreprise, il y a un rôle éducatif. Qu'on le veuille ou non, on contribue à l'évolution des jeunes générations qui arrivent. Il faut savoir instaurer un cadre et des règles. Pour nous, c’est plus facile, car nous sommes une société à taille humaine. A l'échelle d'une société de 1000 ou 4000 collaborateurs, c'est beaucoup plus complexe de réussir à expliquer comment on sépare le plaisir, le travail et la valeur ajoutée.

JPF - Je rejoins la distinction entre le plaisir et le bien-être. Cela n'empêche pas d'avoir du plaisir dans le milieu du travail, d'avoir des activités de team building ou même des jeux amusants. Par exemple dans mon entreprise, nous avons une table de billard qui sert en fin de journée pour se détendre et parfois sur l'heure du midi. C'est utilisé avec intelligence, mais c'est aussi une entreprise à taille humaine. Ça crée un lieu de rassemblement, mais effectivement, il faut se poser la question de la confusion entre bien être et plaisir. S'investir mérite une compréhension de l'entreprise. Créer un environnement adapté au bien-être ne mérite pas nécessairement une transformation architecturale qui dépasse l'entendement. 

 

 

 

 

Imene Besbes
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