« Nos bureaux étant toujours désertés, je les ai fermés ! »

Aurélie Tachot

INTERVIEW - En septembre 2020, alors que les salariés reprenaient le chemin du bureau, Émilie Legoff, CEO de Troops, résiliait le bail du sien. Dans cette start-up d’une soixantaine de collaborateurs, chacun a aujourd’hui la liberté de choisir comment et depuis quel lieu il souhaite travailler. Ce mode de fonctionnement ne s’est pas imposé de lui-même suite à la pandémie, comme l’explique l’entrepreneure.
« Nos bureaux étant toujours désertés, je les ai fermés ! »

Un passage au 100% télétravail pour tous pendant la pandémie

 

Cadremploi : Après avoir testé le « full remote » suite à la pandémie, où en êtes-vous aujourd’hui ?

Émilie Legoff : Lorsque nous avons dû basculer en full remote du fait de la pandémie, tout s’est bien passé. Nous avions déjà, avant la crise sanitaire, environ 30 % de notre effectif qui travaillait de cette manière car nous rencontrions des difficultés pour recruter à Lyon. Lorsqu’en mai 2020, nous avons été autorisés à rouvrir nos locaux en respectant les contraintes sanitaires, nous l’avons fait. Cependant, aucun de nos salariés n’est revenu. Certains avaient trouvé, avec le full remote, un équilibre entre leur vie pro et perso qu’ils ne souhaitaient pas sacrifier. D’autres avaient déménagé à l’étranger pendant le confinement. En septembre, étant donné que nos bureaux étaient toujours désertés, je les ai fermés. Aujourd’hui, deux ans après, je n’en ai pas repris et nous travaillons quasi exclusivement à distance.

Le fait de pouvoir travailler à distance, depuis le lieu de leur choix, est devenu un acquis pour nos collaborateurs

Plus de locaux mais des places réservées dans des espaces de coworking

 

Un retour en arrière pourrait-il être possible ?

E.L. : Non ! Car le fait de pouvoir travailler à distance, depuis le lieu de leur choix, est devenu un acquis pour nos collaborateurs. Toutefois, pour les personnes qui, comme moi, ne souhaitent pas travailler depuis leur domicile, nous louons des places au sein d’espaces de coworking à Lyon, Bordeaux, Marseille et Berlin. Nos collaborateurs peuvent donc travailler au plus proche de chez eux et recréer du lien social. Notre culture d’entreprise a donc beaucoup évolué depuis la pandémie. Mais contrairement aux idées reçues, nous n’avons pas perdu notre créativité. Deux à trois fois par mois, nous organisons des bootcamps qui mobilisent les équipes marketing, produit, Tech... sur des projets liés à l’innovation.

Des retrouvailles régulières par petit groupe

Vous retrouvez-vous parfois « en vrai » ?

E.L. : Tous les deux mois, nous organisons une semaine de travail « off site » qui consiste à se retrouver dans un espace de coworking afin de travailler côte à côte. À chaque fois, une quinzaine de salariés y participent et, d’une session sur l’autre, ce ne sont pas les mêmes. Globalement, tout le monde est content de se retrouver. C’est toutefois plus marqué chez certains métiers : les commerciaux ont un besoin de sociabilité qui est plus fort que les développeurs. En parallèle, nous organisons régulièrement des séminaires d’équipe « au vert » afin de se retrouver. C’est d’autant plus important que notre effectif est passé de 20 à 65 collaborateurs en deux ans et que nous devons intégrer nos dernières recrues.

 

 

Recrutement d’un RH, mode squad, nouveaux rituels,… : comment Troops s’est adapté au full remote

 

Quid du management à distance ?

E.L. : Trouver le bon mode de management ne s’est pas fait en un claquement de doigt. Du fait du full remote, notre management est devenu plus descendant et notre communication moins transverse. Résultat : les micro-conflits du quotidien, qui se résolvent d’eux-mêmes en présentiel, ont pris d’importantes proportions à cause de la distance. En quelques semaines, les relations entre nos équipes se sont distendues et un climat de tensions s’est installé. Certains collaborateurs étaient sous pression et leurs managers n’ont pas pu le percevoir. Puisque nos échanges se faisaient par Slack, ils étaient plus directs et certains « bonjour » ou « merci », habituellement échangés à la machine à café, manquaient parfois à l’appel, ce qui créait de l’agacement.

 

Comment avez-vous rectifié le tir ?

E.L. : Puisque nous ne travaillions plus physiquement ensemble, nous avons tout processé, de la manière de poser des congés jusqu’à l’utilisation de nos outils de collaboration ! Désormais, nous fonctionnons également par « squad » : nos équipes sont mixtes et travaillent en mode projet. Nous avons aussi recruté une HR Manager, dont le rôle est de faire le lien entre les collaborateurs, de faciliter l’onboarding, de faire remonter les tensions au sein des équipes. Nous avons enfin créé des rituels : trois fois par semaine, les équipes peuvent se retrouver sur notre outil de visioconférence pour échanger entre elles, sans leur manager. Après un temps d’adaptation, nous avons finalement trouvé notre rythme de croisière.

 

Reprendre des locaux n'est pas exclu mais avec du remote

 

Pensez-vous, à l’inverse des GAFAM, que le télétravail est une organisation qui est tenable sur le long terme ?

E.L. : Je reste persuadée que l’avenir du travail, c’est de permettre à ses collaborateurs de choisir le mode de fonctionnement qu’ils préfèrent, dans lequel ils se sentent le mieux. Il n’est désormais plus possible d’imposer un mode de travail aux jeunes générations, notamment. Toutefois, je suis consciente que c’est plus facile de prendre en compte les préférences de chacun et d’apprendre en marchant lorsqu’on est une petite entreprise qu’un GAFAM. Pour notre part, lorsque nous aurons une équipe de 30 personnes à Lyon, il n’est pas impossible que nous reprenions des locaux sans imposer de jours de présence. Nous garderons donc un fonctionnement mixte et « phygital », même s’il est plus onéreux que si nous étions tous en présentiel dans des bureaux.

Aurélie Tachot
Aurélie Tachot

Après avoir occupé le poste de rédactrice en chef d’ExclusiveRH.com (entre autres), je travaille désormais à mon compte. Pour Cadremploi, je contribue à la rubrique Actualités via des enquêtes, des interviews ou des analyses sur les évolutions du monde du travail, sans jamais oublier l'angle du digital.

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