En thérapie : dans l’intimité de couples de cadres chez leur psy

Sylvie Laidet-Ratier

TEMOIGNAGES – Que racontent les couples de cadres quand ils consultent un psy ? Le travail fait-il partie des points de tension évoqués lors des consultations ? Inspiré par la saison 2 de la série En thérapie (sur Arte à partir du 7 avril et dès le 31 mars sur Arte.tv), nous avons interrogé Caroline Kruse et Camille Rochet, thérapeutes de couple.
En thérapie : dans l’intimité de couples de cadres chez leur psy

Marie et Sébastien : l'affrontement de deux ambitions cachait autre chose

Dans le cabinet de Caroline Kruse, thérapeute de couple et auteure de « Le savoir-vivre amoureux : les secrets des couples qui durent », (Edition du Rocher)

La situation du couple
« Lorsque Marie et Sébastien sont venus me voir, ils étaient mariés depuis 3 ans. Environ 35 ans tous les deux, intelligents, brillants, amoureux. Marie était économiste, et Sébastien, lui, avait repris l’entreprise de son père. Chacun était passionné par son travail. Chacun admirait l’énergie que l’autre y consacrait. Ils avaient acheté un appartement qu’ils adoraient tous les deux. Ils envisageaient d’avoir un enfant. Pas tout de suite, mais dans pas trop longtemps ».

Pourquoi ça coince dans leur vie pro et perso ?

« La difficulté est survenue le jour où on a proposé à Marie un poste à Dubaï. Un poste dont elle rêvait et qu’elle n’imaginait pas refuser. Marie avait été malade durant son adolescence et ses premières années de jeune adulte. Impossible de voyager. Elle en avait ressenti une grande frustration et la perspective de bouger l’enchantait. De son côté, Sébastien, même s’il comprenait et dans une certaine mesure, partageait la fierté de Marie, ne pouvait pas imaginer quitter Paris, et encore moins la boîte qu’il avait reprise. L’entreprise que son père lui avait transmise et qu’il souhaitait faire prospérer. Ils se trouvaient donc devant une impasse. Et cette impasse mettait au jour certaines divergences latentes qu’ils n’avaient pas voulu remarquer. Le caractère fonceur, aventureux de Marie (« je ne me vois pas, disait-elle, rester toute ma vie au même endroit ») et à l’inverse le côté plus casanier de Sébastien (« Si on veut des enfants il faudra bien se fixer quelque part. »). C’est à ce  moment qu’ils sont venus consulter ».

Qui a eu l'idée de consulter ? 

« Je crois que c’est Sébastien mais Marie était d’accord. Ils s’aimaient vraiment, ne voulaient pas se faire de mal mais ils avaient l’impression, au-delà des questions de carrière qu’ils ne pouvaient plus « s’épanouir, chacun, ensemble »

Qu’ont-ils mis en place durant cette thérapie ?

« Je les ai accompagnés pendant plusieurs mois. Ils ont beaucoup discuté et dans un premier temps, trouvé le compromis suivant : Marie partirait à Dubaï et ils essaieraient de maintenir une relation à distance, en communiquant par visio et en se déplaçant alternativement pour des week-ends prolongés au cours desquels ils revenaient me voir ensemble. C’est une solution qui peut marcher pour d’autres couples mais pas pour eux. Ils avaient du mal à se retrouver. En réalité, et ils s’en sont rendus compte lors d’un entretien que cet affrontement d’ambitions masquait autre chose : une conception de la vie qui finalement ne coïncidait pas : l’un voulait rapidement une vie stable, une famille, des enfants et l’autre ne s’y sentait pas prête ».

Quelle issue pour eux à cette situation ? 

« Ils se sont séparés. Cela peut sembler un échec mais l’un comme l’autre ne l’ont pas senti ainsi. Un jour je leur ai dit « on peut s’aimer beaucoup et ne pas pouvoir vivre ensemble ». Cette phrase les a énormément soulagés, l’un et l’autre. Personne n’avait tort, il n’y avait ni coupable ni victime.

Avoir mené ces entretiens ensemble leur a permis justement de ne pas s’en vouloir ni à soi-même ni à l’autre et aussi de ne pas abimer ce qu’ils avaient vécu ensemble.

Deux ans plus tard Sébastien m’a envoyé un long mail. Il avait rencontré quelqu’un et il se sentait pleinement confiant cette fois. Contrairement à ce qui s’était passé avec Marie, il avait pris le temps de parler avec cette jeune femme de ce qu’il attendait d’une relation en termes de stabilité, de famille et elle partageait cette manière d’envisager l’avenir. Il avait gardé contact avec Marie. Elle allait bien. Elle vivait à présent à Washington. Célibataire, elle, mais toujours passionnée par le travail qu’elle faisait. Ils me remerciaient tous les deux ».

L’œil de la thérapeute

Caroline Kruse, auteur du livre

« Cette histoire est un peu particulière. Il est rare que les couples que je reçois en arrivent à une séparation pour des raisons d’ambitions professionnelles incompatibles. Lorsque cette question est abordée en entretien elle l’est presque toujours de manière rétrospective. « J’ai tout lâché pour te suivre. J’ai mis ma carrière entre parenthèses, j’ai perdu du temps et maintenant, tu t’éloignes de moi, tu ne m’aimes plus, etc. » C’est souvent encore la femme qui s’en plaint mais pas toujours.

Le travail n’est pas le sujet qui a amené la crise pour laquelle le couple vient consulter mais, cette question de la carrière interrompue ou mise en pause sans que la décision ait été suffisamment discutée, vient alimenter le conflit et figure en bonne place sur la liste des griefs.

Quand l’un des deux a l’impression de s’être sacrifié ou de devoir se sacrifier au profit de l’autre, le travail consiste à comprendre pourquoi la relation en est venue à se figer sur ce mode « exploiteur-exploité ». Et on s’aperçoit vite qu’il y a d’autres domaines de la vie du couple où cette dimension relationnelle s’est installée. Le travail consiste à faire en sorte que chaque membre du couple sorte peu à peu du rôle dans lequel il s’est trouvé enfermé. Quitte, pour celui qui dit s’être sacrifié, à reconnaitre et à perdre les avantages secondaires de cette position héroïque. Et, pour celui qui a bénéficié du sacrifice, à  renoncer à devoir une partie de sa réussite à la mise en retrait de son partenaire ».

Sophie et Vincent : renoncer à la séparation grâce au compromis

Dans le cabinet de Camille Rochet, psychologue et thérapeute de couple. Et auteure de « Les 5 croyances qui empêchent d’être heureux en couple » (Larousse).

La situation du couple
« 
Sophie, cadre dans l’industrie (42 ans) et Vincent, un chef d’entreprise de 43 ans, sont deux individus pour qui le travail est essentiel. Ils se sont même construits là-dessus tous les deux. Ils s’admirent mutuellement dans leur réussite professionnelle. Et je précise qu’ils ont trois enfants de 10, 7 et 4 ans ».  

Pourquoi ça coince dans leur vie pro et perso ?

« Un jour, la maitresse de leur fille les a appelés pour les alerter sur les difficultés d’apprentissage de leur aînée. Sophie s’en est voulue de ne pas avoir vu que les nounous et autres baby sitters présentes au quotidien pour gérer l’intendance, n’avaient pas assuré pour les devoirs. Alors, elle a décidé de reprendre en main la gestion des devoirs. Elle est rentrée plus tôt le soir, avant 20 heures, pour s’y atteler. Elle y a passé également beaucoup de temps le week-end. Le tout sans rien lâcher de ses ambitions de carrière. Au quotidien, elle est devenue plus exigeante avec son mari à qui elle reprochait de ne pas suffisamment s’investir dans la vie de famille et notamment dans l’éducation des enfants. Les conflits se sont multipliés. Dans le même temps, Vincent a souhaité développer son business à l’étranger. Ce qui supposait de nombreux et multiples déplacements. Et puis, il lui a dit qu’il était amoureux d’une femme de son boulot, mais sans passage à l’acte. Bref, lui était en pleine crise existentielle ».

Qui a eu l'idée de consulter ? 

« C’est une démarche volontaire réellement commune même si je pense que c’est Sophie qui a pris le rendez-vous ».

Qu’ont-ils mis en place durant cette thérapie ?

« Pendant six mois, je les ai vus séparément ou ensemble une fois toutes les trois semaines environ. Au départ, Vincent disait « je pense que l’on doit se séparer car je ne pourrai pas faire ma carrière avec ma femme à mes côtés ». En fait, il était perdu. Il a débarqué en toute humilité et mis toutes ses questions et ses doutes sur la table. Sophie a fait la même chose. Tous les deux étaient d’accord pour dire que ni l’un ni l’autre ne devait sacrifier sa carrière sur l’autel des enfants ou sur l’avancement professionnel de l’autre. Alors, ils ont trouvé des compromis et des solutions. Après réflexion, Vincent a décidé de faire passer sa famille avant sa carrière en décalant dans le temps ses projets de développement à l’international. Du coup, il a mis un collaborateur sur place à l’étranger en attendant une expatriation plus tard, une fois que les enfants auront grandi. Et sur ce sujet, ils sont d’accord tous les deux. Pour sa part, Sophie bosse toujours autant et a par exemple mis en place des cours particuliers pour sa fille ».

Quelle issue pour eux à cette situation ? 

« Sophie et Vincent sont toujours ensemble et progressent dans leur vie pro et perso en respectant les règles qu’ils se sont fixées. Leur rythme est toujours très soutenu mais cela leur permet de ne pas perdre l’admiration qu’ils ont l’un pour l’autre. C’est comme ça qu’ils trouvent leur équilibre. A noter tout de même que ce couple a une vie amicale très réduite car le peu de temps dont ils disposent, ils le passent avec leurs enfants sinon c’est la culpabilité assurée ».

L’œil de la thérapeute

« Pour ce couple, l’argent n’a jamais été un sujet de discussion ni de conflit. Tous les deux sont très autonomes financièrement. Mais en règle générale, les couples et notamment les femmes, surinvestissent leur travail et ne veulent pas réduire leur rythme par souci d’indépendance. J’entends souvent « je bosse beaucoup par crainte de ne pas être libre de rompre ma relation de couple et de partir si je ne suis pas autonome financièrement ». Il y a cette vieille angoisse de la mère au foyer, dépendante de son mari ».

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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